Qu’est-ce qu’un symptôme en psychanalyse?
Élodie Chopard
Paris, le 1er juillet 2017
Si nombre de nos états de souffrance constituent un lot quotidien, il existe un point de butée sur lequel chacun peut singulièrement s’accorder à penser : “c’est trop, je n’en peux plus !”
En effet, c’est une chose que de reconnaître combien certaines souffrances entravent notre vie de tous les jours mais c’en est une autre que de sauter le pas pour s’en délester. Ici, ce que la doctrine psychanalytique nous enseigne, c’est que ce point de butée se nomme “symptôme” et que si l’être s’en accommode jusqu’à le faire son partenaire de vie, il peut tout aussi bien se souhaiter des jours meilleurs !
Dès lors, refuser un tel état de fait nous engage à devenir tout à la fois ” l’ami de notre désir ” et l’observateur attentif de cette singulière inimitié.
Rappelons combien le symptôme a ceci de déconcertant pour l’être qu’il s’institue dans sa vie à ses dépens c’est-à-dire de manière inconsciente. Et revêt une valeur de compromis dans l’articulation signifiante entre le désir et la défense. Incontrôlable et secret, le symptôme traverse alors les âges de la vie en sapant chaque effort déployé pour le contrer. Enfin, parce qu’il “fait feu de tout bois” il viendra s’alimenter de nos habitudes les plus banales pour mettre à mal des relations affectives et sociales pourtant si nécessaires à nos projets d’avenir.
C’est le cas par exemple quand, parmi des conduites sociales dites ” classiques “, certaines se font le pli de quelques tentatives de destruction du type des dépendances tabagiques, alcooliques ou sexuelles. Ou encore lorsqu’elles masquent de profonds sentiments d’irritabilité, de fatigue chronique ou de stress au travail. En effet, quand l’être s’installe dans l’insatisfaction, il n’est pas rare qu’il s’éprouve dans une pauvreté affective, sexuelle ou encore professionnelle. Alors, depuis ces positions extrêmes que sont la procrastination jusqu’à la compulsion d’agir, une voie sera ouverte à la liquidation d’affects insupportables. Par des conduites sexuelles à risques par exemple, par un besoin impérieux de jouer en ligne ou encore par une mise en danger de son corps à malmener dans des habitudes alimentaires drastiques (régimes, anorexie, boulimie etc.).
La souffrance psychique dans laquelle gît le symptôme s’annonce comme une force impossible à neutraliser. L’être viendra alors buter contre son désir à s’accomplir en tant que sujet. C’est le cas par exemple des parents pris dans des conflits qui minent leurs relations familiales comme des êtres qui ne parviennent pas à concevoir d’enfant avec leur partenaire. Ou encore de sujets résignés à ne pas vivre l’amour, qui s’accommoderont de pratiques sexuelles insatisfaisantes ou de relations amoureuses conflictuelles.
La mise en échec de sa vie professionnelle peut elle aussi se concevoir en tant que symptôme c’est à dire en tant qu’empêchement à jouir de son labeur. La vie précaire, la stagnation dans son évolution de carrière, l’isolement ou le repli sur soi sont autant de manifestations d’une forte résistance intrapsychique. De même que les vécus d’angoisse propres à la difficulté de supporter le rapport à l’autre ou à l’implication dans les dynamiques de groupe qui attestent d’une conflictualité indépassable pour le sujet donc symptomatique.
Considérons alors que le symptôme c’est ce qui est “toujours du voyage” , ce qu’on emporte avec soi par bon ou mauvais temps et ce qu’on reconnait – à notre corps défendant – comme étant notre identité : ce “c’est tout moi ça ! Je fais toujours tout de travers !” Mais il constitue également ce par quoi nous pouvons nous engager dans un processus de soin, dans une traversée des mers houleuses de la parole dans la cure psychanalytique.
Car, quand la souffrance vient faire corps avec le verbe c’est l’organe même de notre vitalité qui défaille. Et cet impossible à nommer qui s’incarne alors dans une symptomatologie organique prive l’être de son immunité naturelle : atteintes de la sphère ORL (allergies, bronchites ou irritations chroniques, aphasie partielle ou totale sans AVC par exemple etc.), souffrances installées de l’appareil digestif (atteintes lourdes des organes digestifs, ulcère de l’estomac etc.) faiblesse des tissus épidermiques (eczéma, dermatoses diverses, chute massive des cheveux etc.), ou encore infections chroniques de la sphère uro-génitale (cystites et mycoses vaginales à répétition, dyspareunies, troubles de la fécondité etc..). Toutes ces manifestations organiques constituent une voie d’entrée possible vers la prise en charge psychothérapeutique.
Il est commun de dire que ” l’amour a ses raisons que la raison ignore ” mais la haine se fait elle aussi la belle ignorante des désirs de l’être. Car, au delà de la souffrance somatique se cache la souffrance d’un être parlant, donc d’un être désirant. Et, comme en atteste la variété des symptômes corporels qui, lorsqu’ils sont parlés en séance, peuvent révéler leur force de signification (trichotillomanie, colopathie, constipation, douleurs diffuses chroniques, paralysie intempestive d’un ou plusieurs membres etc.) le transfert est la condition pour que le symptôme soit interprétable car sans transfert, le symptôme reste jouissance.
Concluons avec cette pensée de Jacques Lacan : “le désir lui-même reste un point d’interrogation, un x, une énigme, avec le symptôme dont il se revêt, c’est à dire avec le masque.”[1]
[1] Lacan J. (1957-1958), Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Seuil, Paris, 1998, p.326.