Parole
Fernando de Amorim
Paris, le 22. XI. 2011
Il est vrai que Lacan a dit que l’unique médium de la psychanalyse est la parole du patient. Nous trouvons cela dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », p. 247 de son « Écrits ». Cependant, rendons-nous service à Lacan et à la psychanalyse, à répéter son enseignement sans l’interroger, sans frotter son savoir de 1953 avec le nôtre en 2011 ?
Le médium de la psychanalyse est la parole, mais cette parole issue de la bouche de l’être dans la position de patient, n’est suffisante ni pour l’être, sujet à advenir, ni pour celui qui l’écoute, psychanalyste à advenir, ni pour la psychanalyse en tant que clinique et science. Elle n’est pas suffisante pour l’être pris dans la position de patient, qui n’apprend pas sur son désir. Elle, la parole issue de la bouche du patient, n’est pas suffisante pour celui qui l’écoute, puisque il ne peut pas s’appuyer sur cette parole comme boussole pour conduire le patient à devenir sujet (Cf. Cartographie in www.rphweb.fr). La psychanalyse n’y gagne pas davantage puisque, dans ces eaux de rivière par où navigue le patient, elle ne risque pas de rencontrer son objet scientifique, sa raison d’être, à savoir, le désir.
La parole dite librement, que ce soit la parole vide ou la parole qui sort par l’enclos des dents – pour paraphraser Homère – propulse le bateau de la cure vers l’avant. Une psychanalyse n’avance pas à partir de sons, mais d’associations libres. Une psychanalyse ne vise pas à développer la parole pas plus qu’à la tarir. C’est une fois que le psychanalysant quitte le bateau de sa psychanalyse et qu’il arrive à bon port, qu’il n’aura plus de raison de pleurer les fantasmes, l’objet du désir perdu à jamais. À la sortie d’une psychanalyse on se met au sec puisque, pendant la traversée, on a gouté, parfois matin, midi et soir, au mouillé, à l’humide, au froid, au chaud, à la bousculade, car on ne traverse pas une psychanalyse à pied sec. Après une psychanalyse le sens ne s’épuise pas, mais le sujet a moins à faire que de chercher à donner du sens et surtout coûte que coûte. Il accepte que, pour beaucoup de choses, entres autres, le sens lui échappe.
Les phrases invariables resteront là, en l’air, dans un coin. Peut-être accoucheront-elles d’une signification, peut-être pas. D’autres phrases surgissent ? La comète de Halley, elle aussi, disparaît pour réapparaître quand le sujet dormira ou quand il aura le regard tourné vers la femme aimée, un enfant, ou vers l’homme qui passe dans la rue Lentonnet avec son chapeau crânement penché vers la droite.
Peut-être même, et cela est bien plus probable,
« Il laissera son enseigne, je laisserai des vers.
Plus tard l’enseigne aussi mourra, et les vers aussi..»
(F. Pessoa, « Bureau de tabac », 1928).
La trouvaille d’un bout sur le désir inconscient est du côté du désir de savoir, la recherche de l’inconscient comme réel est du côté de la croyance imaginaire. Les conséquences pour un être qui traverse une psychanalyse ? Il n’est plus le même et ce jusqu’à son dernier souffle.