Désir, où es-tu ?
Ce matin, un patient résistait à associer librement ses pensées et répétait « je ne sais pas ». Je lui rétorque, en ma position de psychothérapeute, qu’il ne pourra rien savoir s’il ne dit pas ce qui lui vient à l’esprit. Ce à quoi il concède et ajoute même qu’en effet, ce sont des paroles libres, des paroles pleines, qui ont eu pour lui de véritables effets. Ce patient, malgré les résistances, a le courage de venir dire, tant bien que mal, sur lui-même. Il a courage de venir jusqu’au cabinet trois fois par semaine, d’associer ses pensées, selon la règle fondamentale dictée par Freud et que m’a transmise un aîné, Monsieur de Amorim, à qui je suis très reconnaissante de ma formation analytique. Il a même le courage de payer pour cela, payer symboliquement sa dette et s’en détacher par la même occasion.
Pourquoi dis-je cela ? Car le RPH-École de psychanalyse, soit celle à laquelle j’appartiens, s’est vu quelque peu maltraitée ces derniers jours par certaines et certains coquins qui préfèrent déverser leur haine derrière un ordinateur que de venir parler de cela en séance. Rien d’étonnant à cela, le courage n’est pas chose aisée. Et chacun a le droit de résister et mener sa vie comme il l’entend, mais de là à diffamer un psychanalyste, Monsieur de Amorim, et à l’insulter parce qu’il a invité une jeune fille à prêter quelque peu l’oreille à son désir inconscient et de se tirer vers le haut, tout de même ? En effet, l’échec est cuisant. Pas pour lui, sûrement pas, mais pour elle certainement. En tout cas pour le moment. Elle prêtera l’oreille, espérons-le, un jour prochain à son désir. Nous le savons, nous tous cliniciens du RPH ou d’ailleurs, certains mettent beaucoup, beaucoup de temps avant d’assumer de vouloir grandir. Parfois toute une vie même.
Certains s’insurgent de notre façon de faire au RPH ? Nous sommes aujourd’hui une quinzaine de cliniciens à avoir réussi cette expérience proposée par Fernando de Amorim. Le désir ne pointe pas son nez comme cela au premier rendez-vous. La jeune fille anonyme ne se questionne apparemment pas du pourquoi elle rend visite à un psychanalyste en libéral, à son cabinet, pour une demande de stage ? Il faut être un clinicien aveugle, ou plutôt sourd pour ne pas y entendre quelque chose d’un désir, bien refoulé certes, mais bien là ! Quel psychanalyste pourrait laisser passer cela et répondre gentiment à la patiente ? Le gentiment est à entendre au sens de la séduction. Un psychanalyste qui répond à la demande, comme nous l’a appris Lacan, sort de sa fonction. Même si celui qui est en demande, serait ravi que le psychanalyste soit gentil, bon, compatissant de sa difficulté. Il en serait ravi mais pas longtemps, juste le temps de flatter l’ego. Car de même que des pères mous font des ravages, des psychanalystes mous entretiennent le symptôme et bouchent la voie au désir. Un psychanalyste digne de ce nom est du côté du patient et non du symptôme.
J’ai une pensée toute particulière pour cette jeune fille anonyme qui m’inspire cette brève parce qu’il n’y a pas si longtemps j’ai été dans une position similaire. J’étais moi-même perdue, petite, très petite même, dans le sens où je n’avais pas encore appris à prendre soin de mon existence et de mes responsabilités d’être parlant, d’être adulte, d’être de désir. J’ai rendu visite à un psychanalyste, le dit Fernando de Amorim, pour lui poser des questions quant à son école de psychanalyse, naïve que j’étais. Le désir de parler ma souffrance n’était donc pas franc. Il m’a accueillie et a mis les pieds dans le plat, comme on dit, ne répondant pas à ma demande mais m’invitant directement à parler ma souffrance et par là même, à me proposer de prendre une autre voie que celle d’une touriste sans emploi, jeune diplômée psychologue sans aucun avenir car n’ayant pas la boussole de mon désir pour me guider.
Ce désir, il l’a suscité parce qu’il n’a pas répondu à la demande, parce que ce n’est pas le genre à faire les yeux doux, parce que sa seule obsession est de tirer l’être vers le haut, même s’il faut être parfois sévère pour cela. Son acte analytique a été entendu, j’en ai été saisie même, et ainsi commençait ma cure. Le rendez-vous était pris pour le lendemain. En sortant, il me demande, comme à son habitude, mais je ne le savais pas encore, si je pouvais régler quelque chose. Bien drapée dans mon ignorance, voire dans ma haine à lui demander du temps et des conseils en pensant ne rien avoir à régler pour cela, je me retrouve bête car je n’ai rien sur moi. Il faut dire qu’en ces temps-là, je n’avais que très peu pour vivre. Mais le lendemain, je lui amenais quelques euros de plus que pour cette deuxième séance et il accepta, car au RPH, les patients payent selon leurs moyens, c’est notre éthique. Au RPH, quelque soit le chiffre que vous donnez au prix de votre séance, ce qui compte est que cela soit le maximum, au sens de ni trop, ni trop peu. Disons, suffisamment pour dire qu’on ne badine pas avec son désir ! Pour certains il s’agit de quelques pièces mais ces pièces-là comptent. Elles comptent d’autant plus que l’être s’engage avec son désir, et cela est notre engagement au RPH de recevoir chacun qui souhaite parler sa souffrance et entamer une psychothérapie, quelques soient ses moyens.
Il m’a fallu quelques années ensuite de cure et de formation au RPH pour aujourd’hui pouvoir me dire amie de mon désir et sortie de ma petite vie de souffrance. Ce mot petite n’a rien d’un jugement moral, il dit ce qu’il dit. Certains préfèrent rester petits, c’est un choix, et d’autres se donnent les moyens de grandir. Parfois, une main tendue arrive et il se peut que cette main tendue soit le désir du psychanalyste qui nous bouscule un peu.
Ma cure m’a rendu possible de vivre sans souffrir, de jouir autrement de la vie que par la voie du symptôme. Autrement dit, plus concrètement, par l’amour, le mariage, un travail que j’aime et qui me permet de gagner dignement ma vie et d’en jouir. Comme le disait Fernando de Amorim dans sa brève, je suis moi-même honorée aujourd’hui de recevoir, toutes les semaines, du matin au soir, des dizaines de patients et psychanalysants qui me font l’honneur de venir me rencontrer, parler leur souffrances, élaborer, perlaborer, rencontrer leur désir, et, s’il est bien au rendez-vous, traverser leur cure psychanalytique.
Ma cure personnelle et ma formation au RPH m’ont permis de rencontrer la voie de mon désir. Il m’a fallu, certes, du courage pour m’accrocher au divan, une cure n’est pas de tout repos. Mais il m’a fallu aussi qu’un psychanalyste me permette de tenir le cap. L’en voilà aujourd’hui remercié. Quant à la qualité de mon travail aujourd’hui, elle ne tient qu’à mon désir de m’accrocher à ma formation, une formation solide et rigoureuse, dispensée par le RPH. Celui-là même qui permet en son sein à tout étudiant ou jeune diplômé, dès que son désir de clinicien pointe le bout de son nez, de recevoir des patients et de pratiquer afin d’acquérir une expérience très rapidement. Le clinicien novice bénéficie pour cela, de l’encadrement rigoureux et solide que suppose la formation analytique au RPH à travers des supervisions, réunions cliniques, séminaires, groupes d’études, colloques. Et bien évidemment, avant tout, sa cure personnelle. A ce jour, aucun autre dispositif n’offre cette possibilité aux jeunes de se former ainsi.
Le RPH n’a qu’une ambition : former des cliniciens à la pratique psychanalytique avec toute la rigueur que cela suppose. Cette rigueur, c’est du désir, et cela ne se trouve que dans sa cure ! On a beau être diplômé « psychologue clinicien » sur le papier après cinq années d’études universitaires, on n’est pas clinicien, on le devient ! Parce qu’un psychologue qui ne reçoit pas de patient n’est pas clinicien, de même qu’un psychanalyste sans psychanalysant sur son divan n’est pas psychanalyste. On devient clinicien à partir du moment où certains nous font l’honneur de venir parler leur souffrance dans notre consultation, et on le devient avant tout grâce à notre désir, qu’il soit né dans notre cure ou avant mais qu’il ait été suffisamment parlé et dépouillé dans sa psychanalyse pour tenir la route. D’où notre travail d’inviter, de susciter le désir chez l’étudiant en demande d’avenir car, la base de tout, c’est la traversée de notre psychanalyse. Sans elle, aucune porte ne s’ouvre ! Et la haine, la frustration et la souffrance redoublent de plus belle tant que les mots et les maux ne sont pas dits.
Un psychanalyste n’offre rien, il demande de payer même. Et heureusement ! Mais le prix à payer pour sa cure est avant tout symbolique, c’est le prix de la castration. Il y a toujours un prix à payer pour tout. Et c’est avec grande joie que je paie aujourd’hui mes séances avec de l’argent que je gagne de mon travail qui me réjouit et de mon désir dont je prends soin. Il faut savoir quitter les jupes de maman un jour ou l’autre. Le plus tôt sera toujours le mieux, mais cela demande du courage, du désir, du transfert et surtout, de lâcher son moi gonflé d’arrogance et de haine.
L’arrogant n’est pas celui qui demande à une jeune fille perdue de demander à « régler quelque chose » pour une invitation à venir entendre son désir, mais il est du côté de celui qui, parce qu’il souffre, parce qu’il est perdu, piétine son voisin qui lui tend la main, le diffame, l’insulte même. Le clinicien aguerri a coutume de cela, c’est légion pour celui qui a choisi d’assumer la position de psychothérapeute, voire de psychanalyste. Il nous faut bien du courage pour proposer à l’être qui souffre de dépasser cela et de bien vouloir compter avec celui qui lui propose une autre voie que celle de sa haine, même si cela n’est pas gratuit. Heureusement, ce courage nous l’avons dans notre travail parce que nous l’avons dans notre cure. Oui car au RPH, la règle est aussi de continuer sa cure tout au long de sa vie, au moins tant que l’on souhaite assumer les responsabilités de la position de psychanalyste.
Ma cure m’a appris qu’on n’avance jamais quand on est brossé dans le sens du poil. Je ne paie pas mon psychanalyste pour qu’il me séduise, me console, m’offre un stage. Je le paie pour qu’il assure sa fonction de semblant d’objet petit a, et que, grâce à sa présence, son silence mais aussi ses mots parfois durs, je puisse retrouver la voie de mon désir. Les mots de mon psychanalyste ont parfois été forts car mes résistances l’étaient tout autant. Et cela fait souvent très mal, mais à l’ego seulement. Quand on a pris goût à ce que peuvent être les effets d’une cure dans sa vie, les blessures d’ego se gèrent de mieux en mieux. Et l’être en sort grandi, et dépouillé de cet ego qui pèse lourd, trop lourd.
Il y a beaucoup de rigueur et beaucoup de travail à fournir si l’on souhaite s’inscrire dans l’aventure du RPH, mais il y a beaucoup de joie et de bienveillance aussi, entre nous tous qui œuvrons pour maintenir, à notre échelle, la psychanalyse vivante et vivifiante ! Le RPH a les portes grandes ouvertes pour qui souhaite nous rencontrer ou nous rejoindre, et notre prochain colloque du 11 avril vous y invite avec joie !
Julie Mortimore