Le remède contre l’épuisement
Fernando de Amorim
Paris, le 9. XI. 2011
Au début de mon activité clinique dans les années 80, les médecins étaient confrontés à une maladie dont ils ne parvenaient pas à cerner la logique. Je me souviens d’une collègue dermatologue qui, face à la mort rapide des patients, a vu ses cheveux blanchir en quelques semaines. Ses malades, contaminés par le VIH – nous ne l’appelions pas encore ainsi à l’époque – « tombaient comme des mouches », au grand dam des soignants.
Ce sentiment d’impuissance affectait profondément celles et ceux qui étaient au front des services de médecine et qui ne trouvaient pas dans les livres de réponses à leurs questions.
Parler de syndrome d’épuisement professionnel, ou de burn out, est une tentative contemporaine de quelques soignants de ne pas reconnaître – puisqu’ils ne savent qu’en faire – un point d’impossible du réel. Combler cet impossible avec l’imaginaire s’est accoucher d’un chien à cinq pattes, référence au DSM V qui se prépare chez les alambiqueurs outre-Atlantique.
N’importe quel professionnel de santé est confronté à la frustration. Pour quelle raison quelques-uns sombrent dans une détresse subjective ? Parce qu’ils ne sont pas psychanalysés, parce que « soigner » pour quelques soignants ce n’est pas soigner, apaiser un symptôme ou une maladie, mais sauver la vie de l’être, tout en attendant de ce dernier des faisances imaginaires.
Le dicton populaire dit qu’il est impossible de sauver tout le monde, et pourtant, quelques soignants s’acharnent à vouloir répondre à la demande à n’importe quel prix, même si cela pousse à la création d’une nouvelle maladie, c’est-à-dire, une maladie issue de l’ego de son créateur et répondant à la demande des marchands du temple.
Il y a toujours une étude, un psychologue, un universitaire, un psychiatre prêt à expliquer la détresse, la frustration ou toute autre expression de notre humanité.
Les professionnels « aidants », comme sont appelés celles et ceux qui ont fonction d’aider surtout dans le champ de la santé, de l’éducation ou du social, sont les premiers à donner des indications cliniques d’épuisement, disent ces études.
Le remède contre l’épuisement est le désir. Quand l’être n’est pas dans un « accord intime telle la main droite et la gauche » selon le poète Pessoa, il ne faut pas s’étonner que ça souffre. Et le « ça » ici est le point d’énigme qui doit mener quiconque désire savoir sur ce qui le fait souffrir, à frapper à la porte du psychanalyste.
Le psychanalyste, celui qui dans le silence de son cabinet écoute les phénomènes qui font souffrir, comme la détresse professionnelle, attend patiemment que l’être s’approche, si cela lui est possible par structure, de ce qui est essentiel, c’est-à-dire de ce qu’il fait du désir dans l’existence. Et pour celles et ceux pour qui cette opération est impossible, c’est au psychanalyste de créer une manière de coudre un bout de possible, un quatrième nœud, selon les dires de Lacan.
Il est possible de s’appuyer sur une étude plus ou moins sérieuse, telle, par exemple, celle de H. Freudenberger qui, en 1974, met en évidence la frustration du personnel soignant, très impliqué affectivement dans son métier et qui, en dépit de tant de ténacité, ne parvient à ce qu’il désire.
Que désire un soignant ? Soigner, et quelquefois à tout prix. Un éducateur ? Éduquer, parfois coûte que coûte. Un psychanalyste ? Supporter le transfert, occuper la position d’objet a, position de semblant de l’objet perdu, objet cause de désir.
Cette position permet au patient, voire au psychanalysant, de dire ses pensées librement, sans avoir le sentiment de destruction à l’adresse de celui qui l’écoute, et, quant à ce dernier, de ne pas attendre de l’autre qu’il réponde à son désir de soigner, d’éduquer, de gouverner.
C’est par la voie de l’association libre que l’être se donne plus de moyens de mettre en place la castration du désir. Cette opération est un remède, aussi contre l’épuisement.