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GPA

Édith de Amorim
Paris, le 9 septembre 2024

Deux professeurs – Messieurs Hamamah et Olivennes – et une docteure – Madame Lherbet –, tous trois spécialistes de la reproduction, ont signé une tribune dans le supplément du journal Le Monde Science & Médecine[1] qu’ils ont intitulée « Il faut dépasser le débat binaire sur la GPA ».

C’est en tant que « spécialistes de l’assistance médicale à la procréation » qu’ils nous saisissent de leur désir de construire une réflexion qui évite « l’instrumentalisation idéologique » de la GPA. C’est donc le point de vue médical qui nous est donné et qui énonce un rappel : « […] la GPA et la transplantation utérine (TU) sont les seules solutions médicales à l’infertilité utérine absolue, un ensemble de conditions de santé qui empêchent une femme de mener une grossesse. » On le remarquera sans trembler : la solution médicale ne colle pas toujours avec la légalité et le conjectural ne l’embarrasse pas outre mesure. Mais le progrès médical étant ce qu’il est, c’est-à-dire une très bonne chose pour l’humanité la plupart du temps, il est d’usage d’y trouver quelques plâtres qui exigent d’être essuyés sans tarder.

Hamamah, Lherbet et Olivennes nous enjoignent de nous déprendre de l’argument du « droit à l’enfant » pour « penser la GPA dite “sociétale” principalement à destination des hommes seuls ou de couples d’hommes […] ». C’est ici qu’on retrouve, sans qu’elle crie gare, le revers de la médaille dudit progrès de la science ; à ce revers est fichée la demande qui commande. Autrement dit, le Réel n’existe pas, seul Dieu-la-Science fiat lux. Une sorte de création d’un monde, mais au lieu qu’il soit simplement divin, autrement dit Réel et donc binaire – dit autrement : féminin et masculin –, il est divinement scientifique, c’est-à-dire à la veut-comme-j’te-pousse.

Nos spécialistes portent leur fer là où – selon eux – ça fait mal : sur l’État qui édicte quels modèles familiaux sont autorisés « sur des arguments souvent symboliques ». Qu’est-ce qu’un argument symbolique ? Mieux : que pourrait bien être un argument qui ne serait pas symbolique ? Un argument-massue ? Aïe !

Il semblerait que nos hommes et femme de l’art reproductif aient oublié lors de leur ascension qu’ils manipulent, outre des éprouvettes et des gamètes – leurs arguments-massues –, des concepts, les arguments symboliques. Le symbolique représente tout de même la capacité propre à l’Homme – et à lui seul – d’utiliser des signes, des symboles, des signifiants ; ainsi, qui parmi nous rêve d’avoir à s’adjoindre une génitrice ou un géniteur en plus d’une mère ou d’un père ?

Nos trois scientifiques ne renoncent pas, ils persistent même : « […] l’interdiction de la GPA est recommandée pour sauvegarder des principes au nom d’arguments “symboliques” […] », principes selon eux périmés au nombre desquels ils rangent la souffrance supposée de l’enfant séparé de la « femme porteuse ». À propos de cette supposée souffrance me revient en mémoire un épisode du début de la guerre en Ukraine qui semble avoir certainement échappé à nos scientifiques : les sous-sols de maternités de Kiev étaient remplis de nouveau-nés nés de mères porteuses qui les ont mis au monde et laissés-là, parties sans demander leur reste puisqu’elles avaient été défrayées, ou payées, ou dédommagées, comment faut-il le dire, madame, messieurs les scientifiques ?

Je ne suppose rien quant à la souffrance de ces nouveau-nés, mais je sais, car mère j’ai été et non génitrice, qu’un nourrisson est un être menacé expressément par son immense dépendance à l’Autre et l’amour est premier dans le soin qu’on doit lui apporter.

Alors qu’en est-il de votre « […] perspective […] plus pragmatique et nuancée en portant sur les conditions matérielles des choix des femmes porteuses, en ce qu’elles conditionnent l’exercice de leurs droits, plutôt que la moralité intrinsèque de la pratique », pour reprendre votre expression dans cette tribune ? La massue du pragmatisme semble vous séduire davantage que le moralisme de la castration symbolique, ce qui est bien dommage mais pas étonnant, car vous êtes éminemment humains en plus que d’êtres spécialistes de la reproduction, madame, messieurs, et les humains ont une sainte horreur de ladite castration symbolique.

Et que penser de votre conclusion qui vous met en lumière, en pied et en majesté : « […] d’autres devront porter la responsabilité d’organiser la réflexion sociétale sur des questions du “faire famille”, médicale dans l’accès à l’AMP, féministe envers les femmes porteuses et politique dans la prise en charge des injustices et des vulnérabilités que la GPA met en lumière. » ? Quelqu’un peut-il me dire ce qu’est une réflexion « sociétale » ? Quelqu’un peut‑il éteindre la lumière que ces savants de la GPA, qui croient atteindre les apogées de leur olympisme, laissent allumée derrière eux sans souci du camp des enfants nés du progrès médical et uniquement de lui ?

Madame, Messieurs, permettez-moi de vous recommander la lecture de la brève de deux de mes consœurs, Julie Mortimore-Billouin et Magali Meslem qui s’intitule Un enfant à tout prix et qui est consultable depuis quelques années sur leur site.


[1] Le Monde – Science & Médecine du Mercredi 4 septembre 2024, p. 7.