Ranida Bonamy
Paris, le 19 septembre 2024
« Saviez-vous qu’il était possible de commencer la pratique clinique dès la première année de psychologie ? Saviez-vous qu’il était possible de commencer le libéral dès l’obtention du diplôme de psychologie ? Saviez-vous qu’il était possible de bien gagner sa vie avec sa pratique clinique ? »
Les membres du RPH – École de psychanalyse rapportent les réticences énoncées par des professeurs de psychologie quant à l’installation en libéral des jeunes cliniciens et veulent témoigner de leurs expériences personnelles retraçant une autre issue possible. En voici quelques réactions.
L’université est un lieu de culture, de rencontres avec l’autre et les apprentissages au commencement de l’âge adulte. Un lieu où les parents ne sont plus sollicités, convoqués : une aube nouvelle, un nouveau départ. C’est un endroit où le présent et l’avenir peuvent paraître rayonnants, car la connaissance permet de rêver un monde meilleur.
À l’université, j’ai rencontré des personnes qui m’ont donné envie de m’intéresser à la psychologie et encore plus à la psychanalyse. Mon intérêt était plus ancien, datait de mes années de collège, mais se trouvait coincé dans une indécision entre la médecine et la psychologie. Lorsque j’ai été reçue à l’université de Saint-Denis, dans le parcours psychologie, ce que j’apprenais me confortait dans ma trajectoire d’étude. C’était là que j’avais envie d’être. Je voulais m’identifier à ces professeurs dont la clinique ou le savoir sauvent des vies. J’avais envie de faire pareil. Cela demandait une abnégation qui résonnait fortement avec ma culpabilité de ne pas faire assez, de ne pas donner assez de moi-même, de n’être pas assez.
Cette abnégation de salaire, de moyens mis à disposition du psychologue était pour moi source d’angoisse et de colère. Ces professeurs sauvaient des vies en étant mal payés en tant que professeurs et en tant que psychologues. Pour ma part, je culpabilisais de ne consentir qu’à moitié à ce sacrifice. Le malaise s’intensifiait au fil des années d’étude, la voie de l’exercice en libéral ne semblait pas être recommandée. « Ne pensez pas au libéral, ce serait inconscient de vous y lancer à votre âge », disaient-ils. D’autres jours, on nous expliquait qu’il nous faudrait attendre « presque dix ans pour décrocher un CDI » ou simplement qu’il n’y avait plus de travail : « On n’embauche plus ». C’était le « ni-ni », ou le néant – ni le libéral ni les institutions de soins publiques.
Une logique de chiffres domine la pensée. Il faut attendre dix ans pour être en CDI. Il faut compter quatre ou cinq CDD pour décrocher un CDI. Il faut avoir deux boulots pour boucler le mois, parce qu’être psychologue ne paye pas bien. Il faut avoir quarante ans pour être assez mature et commencer l’exercice en libéral.
Une logique obsessionnelle de chiffres n’est pas une logique de désir. L’obsessionnel passe son temps à planifier, à compter pour ne pas désirer. Qu’est-ce qui empêcherait un clinicien de bien faire son travail avant les quarante ans ? Qu’est-ce qui empêcherait un étudiant de s’exercer à bien faire ce travail avant l’obtention de son diplôme ? Quelle est la plus-value du clinicien qui a accepté d’emprunter ce chemin de croix des cinq CDD, des dix ans de précarité ?
En parlant de logique de chiffres, deux anecdotes me viennent à l’esprit. La première concerne un ancien superviseur qui m’avait dit un jour que j’étais trop jeune pour recevoir des enfants en bas âge. J’avais trente ans et l’enfant avait deux ans. Ce n’est pas l’âge qui fait la compétence, mais l’exercice clinique. Si je ne pouvais, à mon âge, recevoir les plus jeunes, qui le pouvait ? Y a-t-il un âge pour commencer à travailler avec les plus jeunes ? Enfin, y a-t-il un âge pour que les enfants commencent à souffrir et que cela mérite d’être entendu et traité ? À l’origine, j’avais pris rendez-vous avec ce superviseur pour apprendre le travail de psychologue et non pour subir une limitation hasardeuse de mon désir clinique.
L’autre anecdote concerne ma demande à une analyste quant au passage du fauteuil au divan, qui signe le passage de la psychothérapie à la psychanalyse. Elle m’avait répondu : « Dans la doxa psychanalytique, il faut attendre cinq séances pour passer sur le divan ». Doxa et psychanalyse ne font pas bon ménage ; et puis pourquoi cinq séances et non vingt ? Ces chiffres arbitraires sont des tentatives moïques de maîtrise qui revêtent les apparences de règles. Les règles aident à organiser la vie en société et dans ce cas, ces pseudo-règles, la doxa, confinent la pensée et le désir. Il est possible d’être clinicien en libéral avant quarante ans. Il est possible de gagner confortablement sa vie en libéral et en tant que jeune clinicien.
LE LIBÉRAL APRÈS LES ÉTUDES DE PSYCHOLOGIE, UNE CONSTRUCTION POSSIBLE
Première partie : Une logique moïque n’est pas une logique de désir
Deuxième partie : Invitation aux étudiants de psychologie
Troisième partie : La question de l’idéologie dans le champ de la psychologie