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Le libéral après les études de psychologie, une construction possible (II) : Invitation aux étudiants de psychologie

Jeanne Simmou
Paris, le 19 septembre 2024

Un jour sur le divan, je rapporte une anecdote qui me vient à l’esprit : lorsque j’étais étudiante, et cela dès la première année de psychologie, différents professeurs affirmaient sans ciller« N’espérez pas vous installer en libéral et pouvoir en vivre avant au moins vos quarante ans ! » Nous étions donc plus de mille étudiants entassés dans un amphithéâtre pour entendre cette prédiction d’un futur professionnel qui paraissait bien sombre. Cette remarque rejoignait d’ailleurs la réponse d’une personne de mon entourage lorsque j’annonçais m’engager dans les études de psychologie : « c’est le diplôme pour l’ANPE ! ». Étrangement, je ne me suis pas laissé impressionner par cette parole. J’étais pourtant de nature fataliste, mais j’ai tout de même rétorqué : « Si c’est vraiment ce que je veux faire, alors je m’en sortirai. » Mon désir commençait‑il à pointer le bout de son nez ?

Mille étudiants donc, face à un professeur qui nous annonce que nous devrons cumuler les postes, souvent en CDD, dans les structures publiques si nous souhaitions pouvoir payer nos factures à la sortie de l’université. Les professeurs ne cachaient pas la réalité du marché du travail en ce qui concerne les psychologues. Et en tant qu’étudiant, il paraît difficile de se dégager de ce discours d’un Autre occupant une fonction d’enseignement et de transmission. Apprendre du discours de l’Autre et le remettre en question simultanément est contradictoire, voire impossible.

Beaucoup ont abandonné le cursus en cours de route. Certains ont décidé de prendre une voie tactique en se dirigeant vers les masters qui débouchaient sur un marché du travail moins engorgé (psychologie sociale ou psychologie du travail), d’autres encore ont décidé de s’accrocher à leur désir en se préparant à traverser ces prédictions ombrageuses pour le futur, persuadés qu’il n’y avait pas d’autre voie possible. Je faisais partie de ces derniers.

Un pâle sourire me vient lorsque je repense à cette époque, car aujourd’hui âgée de trente-et-un ans, je peux dire que je vis confortablement de la clinique en libéral, et cela depuis déjà plusieurs années. Je peux dire aussi que je n’ai jamais dû travailler dans une structure publique pour apprendre comment conduire une cure. En sortant de l’université avec mon diplôme en poche, il était impensable pour moi d’aller chercher un travail en tant que psychologue, marquée par mes expériences en tant que stagiaire. Pourtant, aujourd’hui, je suis reconnaissante de ces expériences, qui m’ont appris très tôt que ce n’était pas la position que je souhaitais occuper professionnellement. J’y avais été témoin de l’impossibilité des psychologues à conduire une psychothérapie – et encore moins une psychanalyse – digne de ce nom, non parce qu’ils manquaient de finesse clinique, mais parce que le système public actuel ne permet tout simplement pas d’opérer cliniquement et dignement.

Qu’est ce qui a pu faire la différence dans mon parcours ?

Je dirais mon désir couplé à de bonnes rencontres. En ce qui me concerne, l’un ne pouvait pas aller sans les autres. Pendant mes études, je suis moi-même entrée en psychothérapie, puis en psychanalyse, chez une psychanalyste. Au bout d’un certain temps, elle m’informe de l’existence du RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital), dont elle est membre, et me propose de contacter son président, le Docteur Fernando de Amorim, pour rejoindre cette École de psychanalyse. J’étais enchantée par ce que j’entendais, mais en entendant le nom de son président je résistais à l’invitation. Où l’avais-je déjà entendu ? Après quelques recherches, j’ai su pour quelle raison il ne m’était pas inconnu : il avait mauvaise presse auprès de certains étudiants et professeurs de mon université. Je mis alors cette affaire en suspens.

L’année suivante, toujours étudiante, je fis la rencontre d’une camarade de cours qui venait de rejoindre le RPH. Elle me raconta que les étudiants pouvaient commencer à y recevoir des patients. La résistance se leva et un rendez-vous fut pris avec le Docteur de Amorim. Je désirais me former à la clinique et la développer pour m’installer plus tard en libéral, comme je l’avais envisagé avant de m’inscrire à l’université. Avec cette proposition, l’espoir d’éviter l’accumulation des CDD devenait possible. 

En effet, le président du RPH a créé la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP) afin que les étudiants puissent commencer à recevoir des patients et ainsi occuper une position de psychothérapeute ou supposé-psychanalyste dans un local mis à disposition. Tout ceci se faisant bien évidemment sous la responsabilité du Docteur de Amorim, qui assure des supervisions individuelles hebdomadaires. C’est une nouvelle voie pour permettre à un étudiant de se former en tant que clinicien et de commencer, dès ses études, à construire le terrain pour son futur quotidien professionnel, en constituant sa patientèle.

Cette proposition, originale, fait ses preuves. Ma situation actuelle et celle de mes camarades du RPH peuvent en témoigner. S’ajoutent à cela un enseignement précieux et une articulation théorico-clinique régulière qui mettent au travail. Une autre proposition inédite du Docteur de Amorim au RPH permet davantage de rigueur à la position du clinicien : la psychanalyse du psychanalyste sans fin. En effet, le clinicien se doit de continuer à fréquenter le divan d’un psychanalyste tant que lui-même reçoit des patients et des psychanalysants. Ceci met en avant l’importance de la psychanalyse personnelle dans la formation du clinicien.

Devenir moi-même psychanalysante a été ma porte d’entrée pour une construction professionnelle plus satisfaisante que ce que le marché du travail a à proposer pour les carrières de psychologues. Pourtant, je n’y allais en premier lieu que pour soigner une souffrance. En réalité, cela va de pair : céder progressivement sur ses symptômes rend possible une construction du travail plus solide. J’évoquais plus haut ces bonnes rencontres sans lesquelles mon activité en libéral n’aurait certainement pas eu lieu, ou pas si prestement. Mais lorsqu’une main est tendue, l’être a le choix de l’accepter ou de la refuser. J’ai choisi de l’accepter pour ne pas m’engager dans une éventuelle errance clinique une fois diplômée. Ces lignes sont une invitation qui s’adresse aux étudiants de psychologie, ceux qui ont le désir de devenir cliniciens. Il n’y a pas de fatalité quant à cette évidence annoncée par les professeurs, celle d’un marché du travail saturé. Toutefois, cela se fera difficilement sans efforts, sans aller sur le divan et sans tendre l’oreille avec curiosité à ce qu’il se passe en dehors des murs de l’université. Il est de la responsabilité de chacun de construire son existence sans considérer comme parole d’évangile le discours de l’Autre. Il est tout à fait possible de vivre de la clinique rapidement, sans attendre un âge avancé ou une soi-disant expérience indispensable dans le système public.


LE LIBÉRAL APRÈS LES ÉTUDES DE PSYCHOLOGIE, UNE CONSTRUCTION POSSIBLE
Première partie : Une logique moïque n’est pas une logique de désir
Deuxième partie : Invitation aux étudiants de psychologie
Troisième partie : La question de l’idéologie dans le champ de la psychologie