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Horreurs

Édith de Amorim
Paris, le 5 octobre 2024

En cette veille d’anniversaire des outrages du 7 octobre 2023 qui, depuis, diaprent le monde de répliques plus turpides les unes que les autres. En cette veille d’élections nord-américaines qui faillirent entacher à jamais la réputation grand-guignolesque de nos bien-aimés Guignol, Gnafron et Madelon. Sans oublier l’Ukraine, les tempêtes et la vie chère. Et certainement, j’en oublie de ces calamités si grouillantes, abondantes et exaspérantes. Mais je ne résiste pas au plaisir – sans doute sadique car, après tout, il n’y a pas de raison que je sois seule à savoir ça – de vous faire connaître une ultime nouvelle mauvaise.

En Corée du Sud, K-pop et séries mises à part, en ne parlant pas de leur exploitation outrancièrement déraisonnable du charbon et en ne pensant pas à leurs voisins du Nord, ils ont – les Sud-Coréens – de sérieux problèmes de démographie, au point que :

« […] les ventes de poussettes pour chiens dépassent désormais celles des poussettes pour bébés, selon la plateforme d’e-commerce Gmarket ! » (Le Figaro du 2 octobre 2024, p. 12).

Et non seulement les nouveaux nés s’y font rares, mais pire encore, à mon avis, ils ne semblent même plus être désirés, ce qui revient, par ailleurs, à menacer directement l’exponentielle création d’espaces « no kids zones » qui dévore tout le pays actuellement.

« Face à l’urgence, les bureaucrates stratèges, pour la plupart des hommes grisonnants, semblent dépourvus et explorent les idées les plus farfelues. […] quand un think-tank suggère même de décaler d’un an l’entrée des filles à l’école afin de favoriser les rencontres à l’âge adulte ! » (Ibid.)

Que la jeunesse coréenne se console en empoignant le bout de la guerre des sexes ou celui de la société de haute compétition, il n’en demeure pas moins que le désir d’aimer, de chérir, d’imaginer compter puissamment pour un autre est bien là, indestructible lui aussi, et qui traverse le ridicule de la situation d’avoir un chien pour le coller dans une poussette. C’est mauvais pour l’animal, qui a besoin d’exercice, c’est mauvais pour l’humain qui a besoin de s’identifier à des semblables qui peuvent parler ; décidément, non : l’homme et l’animal ne sont pas égaux. Donc j’y reviens.

À quoi sert la poésie ? Entre autres choses, à celle-ci : affirmer sans détour un amour, une hauteur de vue de l’être parlant que nous ne dispute aucun du règne animal. Ainsi, écrit Wisława Szymborska dans son Éloge de la mauvaise opinion de soi [1] :

« Le busard n’a strictement rien à se reprocher.
Les scrupules sont étrangers à la panthère.
Les piranhas ne doutent jamais de leurs actions.
Le serpent à sonnettes s’approuve sans réserve. »

À quoi sert la psychanalyse ? Parmi tant de choses, à celle-ci : dénouer, déjouer, débrouiller et confondre des pensées prétendument évanescentes, mais qui sont adamantines et, tout le temps, admonestent l’être. Ce conflit très armé et sauvage qui révèle ce Surmoi en tant que « (…) cette figure obscène et féroce sous laquelle l’instance morale se présente quand nous allons la chercher dans ses racines. » [2]

On ne le dira jamais assez. Vive la poésie, vive la psychanalyse !


[1] Szymborska, W. Éloge de la mauvaise opinion de soi. De la mort sans exagérer, traduit du polonais par Piotr Kaminski, PoésieFayard, 1996, p. 79.
[2] Lacan, J. (1959-60). Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 15.