Lucie Marconot
Lagny-sur-Marne, le 28 février 2025
Le corps surprend, notre organisme aussi. Dès le début de son enseignement, le psychanalyste Fernando de Amorim en a proposé une définition claire :
« N’oublions pas que la définition que Freud donne de la pulsion est justement celle d’un concept limitrophe entre psychique et somatique. Nous pensons que la bucca nous indique que lorsque le désir dépasse les limites de l’appareil psychique, il tombe dans le champ du corps, le rendant malade. Au-delà de ce champ, nous sommes dans le champ de l’organisme. Ce qui caractérise le champ de l’organisme malade est que le signifiant est sans effet sur lui. Le psychanalyste travaille avec l’appareil psychique pendant que les médecins soignent l’organisme malade. »1
Le corps surprend, dans sa découverte, dans son évolution, dans la maladie ou encore dans l’imprévu. Objet de curiosité dès le plus jeune âge, il est le théâtre des pulsions, du déferlement de la libido, entre Éros et Thanatos. En psychanalyse, le corps est appréhendé différemment. Il est articulé par les trois registres : Réel, Symbolique et Imaginaire, comme enseigné par Jacques Lacan. La question du corps en psychanalyse interroge la perception sensorielle, la structuration du schéma corporel, mais aussi les symptômes corporels qui témoignent qu’il est bel et bien souvent objet de jouissance.
L’une des visées du travail psychanalytique est de pouvoir habiter son corps dignement et avec respect, là où avant il pouvait être un moyen de se maltraiter, de se dénigrer. Ces dernières années, je constate, j’entends, bon nombre de personnes dire « c’est mon corps » et finalement cela questionne : sommes-nous réellement propriétaire de notre corps ?
Je pense à ces paroles de patients qui, dans leurs discours, se distinguent de leurs corps en disant « mon cerveau ne veut pas s’arrêter de penser à ça », « aujourd’hui, je sens que mon corps est fatigué ».
Cette manière de se positionner, non pas comme sujet de son corps, mais comme objet de ce dernier, invite à questionner la différence entre « avoir un corps » et « être un corps », « être en corps ». Nombreuses sont les tentatives de s’approprier son corps, mais il y a toujours quelque chose du Réel qui nous échappe, qui ne se maîtrise pas. Cela peut passer par des modifications corporelles telles qu’un changement de coupe de cheveux, un tatouage, un piercing, des régimes alimentaires, une pratique sportive à risque.
La maladie organique peut également être trompeuse en menant à des prises en charge centrées sur un corps médicalisé, un corps-objet. L’enjeu est ici de pouvoir inviter l’être à dire sur sa manière de vivre son corps, son organisme. Cela peut mener à la possibilité de réaliser par la parole qu’il ne s’appartient plus ou même qu’il ne s’appartient pas.
Je pense ici à une femme que j’ai pu rencontrer à l’hôpital, souffrant d’une leucémie aiguë en rémission et qui venait de terminer son cycle de traitement chimiothérapeuthique. Elle se disait surprise d’avoir (re)découvert son corps autrement. Son cancer et son hospitalisation lui avaient permis de réaliser qu’elle « ne disait jamais stop » et avait des « limites imposées par son corps ». Elle a ainsi pu dire : « Avec mon cancer j’ai pris conscience que j’avais un corps et que je devais faire attention. »
Si la rencontre avec le Réel de la maladie organique peut permettre de construire un autre rapport à son corps, la cure psychanalytique invite à le dire, le subjectiver et à en prendre soin. C’est une invitation à habiter Autrement son corps, et ce par le Symbolique et la libre association, car comme l’a formulé Sigmund Freud : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. »2
Ainsi, à l’occasion du XLVIIIe colloque du RPH, intitulé « Le corps en psychanalyse », les cliniciens de l’École questionneront la singularité du rapport au corps, corps parfois en souffrance, et des effets de la cure psychanalytique.
- Amorim (de), F. (2003). L’entrée en analyse chez le malade organique à l’hôpital et ailleurs, Paris, AFORMAG-RPH, 2003, p. 42. ↩︎
- Freud, S. (1917). « Une difficulté de la psychanalyse », in Œuvres complètes, Vol. XV. Paris, PUF, 2012, p. 50. ↩︎
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