Qui gagne ?
Fernando de Amorim
Paris, le 19. X. 2007
Le Monde du 17.X.2007 nous rapporte que « dans un contexte de déficit de la Sécurité sociale », a justifiée Roselyne Bachelot, ministre de la santé, […il n’est pas question] de prendre en charge l’accès à un psychologue [dans le privé, donc non remboursé] ».
Qui donc sera responsable de la prise en charge des 3 000 000 de personnes souffrant de dépression en France ? Il y a des propositions solides. L’une d’entre elles consisterait à compter avec les psychanalystes et sur les consultations publiques de psychanalyse. Cela est pour l’instant impossible puisque les autorités sanitaires n’ont pas (encore) inclus les psychanalystes dans la liste d’adresses de l’INPES.
Une autre encore serait de confier aux associations psychanalytiques la formation des psychothérapeutes qui désirent suivre la voie de l’orientation psychanalytique. Une autre également encouragerait le médecin, généraliste ou psychiatre, pris dans sa position de prescripteur, à adresser, lorsqu’il retiendrait utile de le faire, le patient à un collègue psychiste (psychothérapeute, psychologue ou psychanalyste) de sa confiance, opération qui, au RPH, est appelée cônification du transfert.
Cette politique clinique, que je défends avec insistance, articule le transfert et le désir, désir qui, lorsque l’opération est menée à bien, amène les êtres à s’inscrire Autrement, avec un grand A, dans leur vie. Il y a, en revanche, des propositions étonnantes ; en voici une parmi d’autres : celle que Frédéric Rouillon, chef du service de psychiatrie de Sainte-Anne, a confiée au Figaro du 16.X.2007 en demandant un « véritable cursus de formation pour les jeunes psychiatres et les jeunes psychologues ». Or, nous connaissons des temps de pénurie de psychiatres prescripteurs et monsieur Rouillon veut malgré cela que les nouveaux psychiatres puissent être axés sur « les multiples pratiques et que celles-ci soient correctement évaluées ».
Une telle demande peut-elle même trouver à s’ancrer dans la réalité ? N’est-ce pas pousser ces jeunes psychiatres dans les bras d’une toute-puissance imaginaire, cliniquement indésirable ? Quant aux psychologues (à l’exception de celles et ceux qui mettent la gomme pour savoir sur leur désir en en payant le prix subjectif sur le divan), ont-ils appris la clinique à l’université pour la pratiquer avec aisance ? Un dispositif d’information sur la dépression a été mis en place (500 000 livrets distribués, site internet, spots radio et télé, dixit le Monde).
Avec cette opération, vers qui les autorités entendent-elles diriger la demande ainsi crée ? Les CMP sont pris d’assaut (avec des listes d’attente très importantes), en outre ils n’ont ni local ni personnel supplémentaire pour assurer la demande d’un tel nombre de souffrants. Les généralistes eux aussi sont débordés.
Avec une stratégie si fluctuante qui sera gagnant ? Pas les patients puisque rien ne change pour eux. Ne s’agit-il pas de la mise en place idéologique d’une stratégie de propagande et de vente des techniques comportementales et cognitives ? D’une nouvelle molécule ? Ce même article du Monde nous apprend que le groupe qui a constitué cette campagne publicitaire se réunit depuis deux ans ; il aura fallu deux années pour que ce groupe mette au point cette action politico-médiatique sans aucun fondement clinique et sans aucune stratégie clinique consistante !
Le ministère de la santé aurait-il succombé aux chants des baleines chimiquiers et comportementalistes ? Nourrirait-il en son sein un puissant lobby qui voudrait nous faire gober qu’avec une campagne publicitaire et/ou un diplôme d’université on peut supporter le transfert, c’est-à-dire, produire des effets cliniques tout en se passant des psychothérapeutes et des psychanalystes ?