Édith de Amorim
Paris, le 26 VI 2019
Un article paru dans Le Figaro du 24 juin 2019 intitulé « Les explorateurs du cerveau à l’assaut de nos rêves », signé Damien Mascret commence ainsi :
Objet de convoitise des sorciers, diseuses de bonne aventure, psychanalystes, les rêves vont-ils nous échapper pour de bon ?
Cette entame taille à la serpe un monde bipartite : d’un côté, il est vieillot, folklo et un poil falot, de l’autre il est « nous », mystérieux, nombreux, explorateurs du cerveau. D’un côté ceux qui convoitent, de l’autre ceux qui attrapent.
D’emblée, on lit sous le burin de Damien Mascret qu’il n’estime pas ces sorciers, diseuses de bonne aventure et psychanalystes. Soit. Mais est-ce une raison suffisante pour les mettre dans un même sac de convoiteurs ? Convoiter, convoitise – avidité à posséder quelque chose qui appartient à l’autre – les mots sont forts et je ne ferai pas l’insulte à Damien Mascret de penser qu’il ignore le sens des mots qu’il emploie, or donc : quelle exagération, pour ne pas dire quel mensonge ! Et quelle place pour ceux-ci dans un article scientifique ? Las ! Bien obligée de constater que la littérature scientifique de ces dernières années a connu quelques bévues, quelques distractions, quelques méprises publiées à compte de grands laboratoires pharmaceutiques dans les revues scientifiques de premier rang. Mais quel est ce monde où le voisin peut être sorcier, ou soudoyé peut-être ?
Mais pour l’auteur il n’y a pas de graissage de pattes, il y a les faits, rien que les faits pour ceux qui « Aujourd’hui lisent dans nos nuits (sic) ont des doctorats en neurosciences, des appareils d’imagerie par résonance magnétique nucléaire et des micro-électrodes… » et n’ont pas l’objectif de « lire l’avenir », il vise certainement les diseuses de bonne aventure. Le problème est qu’avec tous ces beaux appareils et ces diplômes, ils en arrivent à peu près à ce que Sigmund Freud décrit dans L’interprétation des rêves, publié en 1900. Damien Mascret : « De fait, nos rêves ne s’embarrassent pas de logique ni de cohérence… ». C’est un fait, le rêve ne s’embarrasse jamais, il travaille à transposer, condenser, inverser, déplacer ; métaphore et métonymie sont en place, le désir fardé peut se déchiffrer. Mais à lire Damien Mascret, les scientifiques grâce à leurs appareils observent « … la nuit un véritable trafic d’informations vers la mémoire à long terme qui vide la mémoire à court terme afin de la rendre à nouveau disponible pour la mémorisation le lendemain. » ; on croirait entendre Le Lay et son entreprise de mise en vente de temps de cerveau humain disponible !
La conclusion que nous rapporte le journaliste est que ces neuroscientifiques et leurs appareils nous vendent un maux : la noradrénaline – molécule à l’origine du stress – et ce qui peut l’adjuver : la prazosine. Des médecins français, en 2016, ont publié dans la Revue canadienne de psychiatrie leur conclusion sur ce médicament : « … non seulement confirme l’efficacité et la bonne tolérance de la prazosine, mais suggère aussi sa possible utilisation comme traitement pharmacologique de l’état de stress post-traumatique. » Toutefois, Damien Mascret précise que « les auteurs médecins à l’Hôpital d’instruction des armées, notent que « des incertitudes demeurent toutefois quant aux modalités de prescription et aux posologies. »
Cette bipartition du monde de Damien Mascret n’est pas mauvaise, reste que son ordonnancement est faux car les psychanalystes, seuls, ne tiennent pas ce discours de maîtres qui croient qu’ils savent mieux que l’autre sur cet autre-là.