Au régime !
Pour une formation du psychanalyste dès l’université
Marine Bontemps
À Paris, le 7 janvier 2022
Une personne de ma connaissance, Madame D., me rapportait il y a peu une situation dont elle avait été témoin sur son lieu de travail. Madame D. n’avait, jusqu’à récemment, aucune connaissance du monde « psy ». Elle occupe actuellement un poste administratif dans une association d’aide à des personnes marginalisées et, pour beaucoup, en détresse. Des psychologues interviennent sur la structure. L’association a recours à une autre association qui « met à disposition » ces psychologues prestataires. Je ne suis pas surprise d’entendre que ces personnes travaillent sous le
statut d’autoentrepreneur et sont assez mal rémunérées. Madame D. m’assure que ce statut et ce revenu leur conviennent : ils ont d’autres contrats par ailleurs et font ça par souci de l’autre, par engagement humanitaire en quelque sorte. Elle semble sincère. Je ne peux être dupe. Depuis longtemps, vouloir le bien de l’autre ne fait plus partie du champ thérapeutique tel que je le conçois. Et quant à ces conditions de travail, je les connais. Elles commençaient tout juste à s’instituer lorsque j’ai débuté ma pratique. Après avoir été diplômée, j’ai eu à m’inscrire au registre des autoentrepreneurs pour occuper mon premier poste de psychologue. C’était bien avant l’ubérisation généralisée qui aujourd’hui s’est répandue. À mon sens, cela ne tire personne vers le haut. Car un désir vers l’entreprenariat, l’indépendance, le travail en libéral ne peut se faire à marche forcée. Il se construit.
À ce moment-là de la discussion avec Madame D., j’éprouve déjà de la reconnaissance d’avoir cherché et trouvé sur ma route un psychanalyste, Fernando de Amorim, et une formation, celle qu’il assure au RPH. J’ai réussi à m’extraire de cette voie aberrante à la Uber.
Madame D. évoque une situation qui l’a récemment beaucoup surprise. Une jeune psychologue – j’apprends qu’ils sortent tous fraîchement de l’université, rien d’étonnant au vu des conditions de travail- s’est trouvée en entretien face à un homme au parcours aussi douloureux qu’inhumain, menaçant sérieusement de se suicider. Elle n’a pas su quoi faire. Je m’étonne : n’y a-t-il pas des supervisions assurées par l’association qui les recrute ? Après tout, cette association a été créée et est pilotée par un psychologue expérimenté. Eh bien non : les psychologues ont à organiser une « intervision » périodiquement, bien que certains aient, de leur côté, une supervision personnelle. Pas de capitaine à bord. Ils n’ont qu’à ramer… dans n’importe quelle direction. Reste que cette jeune femme ne sachant vers qui se tourner a demandé de l’aide à l’assistante sociale de la structure, qui l’a encouragée à faire un signalement au commissariat. Après que cela fut fait, Monsieur le psychologue expérimenté – injoignable jusqu’alors – a trouvé l’attitude inadmissible. Sans préavis, elle fut virée.
Ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal que des jeunes gens se retrouvent à occuper des postes pour lesquels ils ne sont pas formés et sans pouvoir se tourner vers un professionnel expérimenté qui assurera, le temps nécessaire, leur supervision. Le diplôme de psychologue clinicien ne signe pas l’aboutissement d’une formation clinique, pas du tout. Ce n’est pas normal qu’à la sortie de l’université, les diplômés se trouvent, sans formation ni expérience solide, à devoir assurer l’accompagnement – je n’irai pas jusqu’à dire la psychothérapie – de personnes ayant vécu des barbaries et menaçant de porter atteinte à leur intégrité propre ou à celles des autres. Ce n’est pas normal parce que depuis des années, Amorim a élaboré avec le RPH-École de psychanalyse un dispositif pour faire grandir ceux qui ont un désir de devenir clinicien. Pourtant jusqu’ici, quand la proposition d’installer ce dispositif lui est faite, l’université n’y répond pas.
La proposition est pourtant simple : commencer à recevoir des patients dès les premières années d’études universitaires de psychologie, avec supervision hebdomadaire mais aussi dès qu’une urgence se présente. Et cela tout en participant à des groupes d’études, des colloques, des réunions cliniques, des séminaires. Mais avant tout, en s’engageant dans sa cure personnelle. Celle qui est tant passée sous silence à l’université, alors qu’elle est indispensable pour chaque futur clinicien. Pourquoi tant de réserve ? Pourquoi ne pas leur dire, à ces jeunes gens : Allez sur le divan ! Oui, une psychanalyse ça secoue, mais ça soulage.
Je sais bien pourquoi cela n’est pas dit, et ce n’est pas une affaire de réserve. C’est qu’aller sur le divan, y aller pour de vrai, cela équivaut, tôt ou tard, à perdre. Perdre le droit à jouir du symptôme, ce droit auquel le Moi tient tant et qu’il ne veut pas lâcher. Ce Moi auquel l’être souffrant de ses symptômes accorde sa servitude. Aller sur le divan, c’est faire un pas, puis un autre, pour que le règne du Moi cesse. Et cela demande un sérieux changement de régime.
Et avec la proposition supplémentaire d’Amorim – celle de la psychanalyse sans fin du psychanalyste – ce régime s’installe pour la vie, professionnelle tout du moins.
Et certains ne veulent pas se mettre au régime.
Pour ma part, il m’est important de continuer à témoigner de cette formation qu’assure Amorim. Il rappelait récemment au cours d’une supervision du groupe des anciens du RPH, la nécessité qu’il y a à reconnaître celui qui nous forme et nous enseigne. Non pas pour flatter l’ego de celui-ci, ni par amour, ni parce qu’il le réclame par soif de reconnaissance. Mais parce que si nous ne le faisons pas, nous sommes dans la tromperie. Tromperie de l’autre et tromperie du Moi. Laisser à ce dernier la croyance que l’être est arrivé au bout de la formation clinique alors qu’il n’y est pas encore, c’est une mise en péril, pour tous. Pour le clinicien lui-même, pour ceux qu’il reçoit, et pour la formation du
psychanalyste tout entière. Celle-ci passe, nécessairement, par la castration du Moi. Reconnaitre l’autre et reconnaître l’Autre participent de cette castration.