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Aux non de leur dignité

Aux non de leur dignité


Nazyk Faugeras

23 octobre 2023


Dans l’émission radiophonique « Famille & Co » animée par Madame Nadia Daam a été évoqué, ce dimanche 15 octobre 2023, le rôle des parents à l’égard de leurs enfants. Le titre exact est : « Dit-on trop souvent non à nos enfants ? »

Dans son émission, Madame Daam relate les anecdotes et expériences de parents et leurs ressentis divers et variés face aux « 8395 fois par an, soit 23 fois par jour » qu’il leur incombe de dire non en tant que parents. L’article s’appuie sur une étude qui « révèle que ‘non’ est l’un des mots le plus employé par les parents », c’est ça, des parents bons. 

« L’un raconte qu’il a laissé ses enfants trainer en pyjama toute la journée, un autre les a autorisés à petit-déjeuner d’un reste de pizza froide. Rien d’autre que ce qu’on fait nous adulte, quand on a la gueule de bois. En tout cas, ces parents disent avoir découvert qu’il faut savoir choisir ses combats et que dire plus souvent « oui » à leurs enfants ne va forcément saper leur autorité. »

Bien sûr, dire oui ne peut pas saper leur autorité, ce n’est pas suffisant. Mais si l’on se penche sur les fondements de ces oui, ils ne sont justifiés par « rien d’autre que ce qu’on fait nous adulte, quand on a la gueule de bois ».

Ce qui peut saper l’autorité du parent, c’est le manque d’autorité qu’il a vis-à-vis de lui-même.  La réponse est là, si l’adulte lui-même cède sur son désir pour « trainer en pyjama toute la journée », ou « petit-déjeuner un reste de pizza froide » du fait d’une « gueule de bois », il ne pourra pas dire non à son enfant car, ce faisant, il perd sa position d’adulte pour occuper celle de majeur [1].

L’adulte sait dire oui et non car ses réponses sont incarnées. Par quoi ? Par le soin que l’être s’adresse à lui-même. En comptant avec son désir, cette autorité va de soi, et il n’est même plus question de compter combien de non ont été énoncés et combien de oui il faudrait pour les tempérer et rattraper son sentiment de culpabilité.

Le rôle de parents – par essence et par excellence – est celui de participer à la construction du désir de leur enfant, et pour cela il faut en passer par le manque, par d’innombrables non qui ne seront jamais regrettés ou qui ne viendront pas se greffer à sa culpabilité parce qu’un parent ne craint pas de dire non, il dit non car il aime son enfant.

Or, il n’est pas donné à tous d’assumer cette autorité, et d’ailleurs, cela n’est donné à personne. Cela se construit dès le plus jeune âge… grâce aux non de ses propres parents qui ont guidé l’enfant vers la castration symbolique et grâce à la psychanalyse.

Assumer ces non, c’est faire usage de son autorité de manière juste et digne pour sa progéniture. Pour cela, il faut d’abord avoir de l’autorité envers soi-même, autrement dit, être capable de se dire non à soi-même, ou plutôt de dire non à sa pulsion, de ne pas céder à tout, être civilisé, être au courant de sa propre haine pour ne pas en ouvrir les vannes aux risques et périls de ceux qui nous entourent. C’est cela que d’aucuns qualifient de légitime. Oui, il y a la légitimité d’éduquer son enfant parce que c’est la loi. Et dire non, c’est aussi la loi, la loi symbolique, les parents portent la loi symbolique, soit dire non autant de fois que cela bénéficiera à la dignité de leur enfant. 

Éduquer, élever, voir grandir un enfant pour qu’il devienne une femme ou un homme bien, cela n’a pas de prix, et même si l’on sait, depuis Freud, qu’éduquer fait partie des métiers impossibles [2]. Dire non 23 fois par jour, cela a un lourd coût pour celui ou celle qui ne parvient pas à se dire non, ou même à se dire oui. Mais ce coût, ce sont les enfants qui en payent le prix fort, celui de la souffrance dès le berceau.

Nazyk Faugeras

[1] Amorim, F. Une sociétale composée de majeurs, 2022,  https://www.fernandodeamorim.com/details-une+societale+composee+de+majeurs-666.html

[2] Projekt-gutenberg. Sigmund Freud. Die endliche und die unendliche Analyse, chapitre VII, https://www.projekt-gutenberg.org/freud/endlich/chap007.html