Comment parler avec les médecins ?
Jean-Baptiste Legouis
Paris le 2 mars 2014
Depuis sa création, le Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital vise à mettre en place et théoriser une articulation entre le champ médical et le champ psychanalytique. Fernando de Amorim a nommé cette articulation : «clinique du partenariat ». La liste des colloques du RPH et de l’AFORMAG, depuis vingt ans, montre notre désir d’échanger, de discuter, d’élaborer avec nos collègues du champ médical.
Nos camarades médecins nous demandent de justifier nos hypothèses de travail et notre pratique clinique en nous appuyant sur des faits. Ce qui nous amène à poser plusieurs questions. Qu’est-ce qu’un fait ? Qu’est-ce qu’un fait psychique ? Qu’est-ce qu’un fait psychanalytique ?
Depuis Claude Bernard, la médecine expérimentale moderne se base sur l’établissement de faits, de preuves et de démonstrations. L’observation est au cœur du processus. Nous savons, depuis Schrödinger, que l’intervention de l’observateur n’est pas neutre et que les outils dont il dispose pour observer influent directement sur ses hypothèses et ses déductions. Les faits réels sont parfois bien éloignés de l’observation la plus évidente. Nous voyons tous le soleil se lever et se coucher et nous continuons de désigner ces observations par aube et crépuscule, tout en sachant depuis Copernic et Galilée que c’est notre planète qui tourne autour d’elle-même et du soleil et non le contraire. Ce fait astronomique va donc à l’encontre de l’observation première et intuitive telle que l’humanité a pu la faire pendant des millénaires.
Comment définir un fait psychique. Une pensée, un souvenir, une image, un mot, une émotion sont facilement identifiable comme phénomènes, voire faits psychiques. Mais où placer l’angoisse, phénomène psychique qui se manifeste dans des sensations corporelles (boule au ventre, au plexus, sensation d’étouffement) ? Le point essentiel est que nous avons accès à tous ces faits psychiques par le biais de la parole, c’est l’être qui nous livre, grâce à ses mots, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce qu’il imagine, ce qui l’émeut.
Nous pourrons définir un fait psychanalytique comme l’effet de cette parole prononcée dans un cadre psychanalytique, à savoir, un espace où quelqu’un est invité par un autre à « parler librement ses pensées » (formulation de la règle fondamentale de la psychanalyse, telle que nous l’avons retenue dans notre association). Notre expérience quotidienne nous montre les effets de cette parole, non pas de façon magique et systématique, mais, progressivement, au cas par cas, et nous sommes souvent les premiers surpris. L’aspect physique des patients et patientes évolue, leur façon de parler change, leur rapport aux autres également. J’ai décrit l’évolution, dans son rapport à son corps, d’une psychanalysante atteinte d’un cancer du sein (brève n°170 « Cicatrice réelle et symbolique »). Aujourd’hui cette femme porte une prothèse mammaire à même la peau et elle envisage la possibilité d’une chirurgie réparatrice.
Nous invitons les médecins à nous faire confiance, non pas aveuglément, mais, suffisamment pour nous adresser des patients et observer, avec nous, les effets de la parole sur l’organisme et dans le corps des malades, patients, psychanalysants et sujets.
Nous nous tenons à leur disposition pour leur expliquer ce que sont, pour nous, ces différentes positions subjectives de l’être, ce que nous appelons fantasmatisation et corporéification de l’organisme. La cartographie du RPH, conçue par Fernando de Amorim, et maniée par les membres cliniciens de notre association, vise l’établissement d’une stratégie clinique en partenariat avec le champ médical.
Notre prochain colloque, portant sur la technique psychanalytique, le samedi 5 avril 2014 à la mairie du IXe arrondissement de Paris, serait une excellente occasion de discuter de nos savoir-faire cliniques et de nos attentes réciproques.