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Bordées d’œdipiens louvoiements d’aveugles, de sourds, d’amnésiques, de refoulés

« Il n’aurait pas fallu rappeler à l’adulte ces antécédents qui, par la suite, lui apparaissent honteux. Il s’est mis à trépigner de rage, si j’ose dire, lorsque l’analyse a voulu lever le voile d’amnésie de ses années d’enfance. Il ne restait plus qu’une échappatoire : les prétentions de la psychanalyse devaient être injustifiées, et ce qui se donnait pour une science nouvelle, un tissu de fantasmagories et de fausses interprétations.

Les fortes résistances à la psychanalyse n’étaient donc pas de nature intellectuelle, mais d’origine affective. »

Freud[1]

Aurore Aimelet, à travers son article « Le complexe d’Œdipe existe-t-il vraiment ? », paru dans Le Figaro du 23 octobre 2022, nous met au travail. Le complexe d’Œdipe est régulièrement remis en cause par la presse et par certains professionnels de santé mentale. Soit c’est la réalité de son existence qui est remise en cause : existe-t-il vraiment ? Est-il universel ? Soit sa pertinence : il ne serait plus efficient dans la vie des êtres parlants ni dans les cures psychothérapeutiques ou psychanalytiques. Ce serait une théorie, une vue de l’esprit qui n’a plus court.

Pour répondre à ces questions, faudrait-il encore se tourner vers des professionnels qui savent de quoi il retourne, ayant fait le tour de la question. Les seuls professionnels à pouvoir parler correctement du complexe d’Œdipe sont les psychanalystes freudo-lacaniens. Les journalistes ne vont pas rencontrer un dentiste pour écrire un article sur le fibrome utérin. Alors pourquoi cette journaliste ne se tourne-t-elle pas vers les psychanalystes pour étayer son sujet ? Seule profession apte à repérer, articuler et manier le complexe tant malmené.

En tant que psychanalyste que pouvons-nous constater du point de vue professionnel, mais aussi personnel et, de plus, dans la position de psychanalysante ?

Primo, nous observons quotidiennement dans notre clinique la présence du complexe fondamental dans la chaîne signifiante livrée par le patient ou psychanalysant grâce à la méthode psychanalytique, du moment qu’il accepte de ne pas trop résister à la technique de l’association libre. C’est parce que le psychanalysant associe librement et qu’il parle son corps et ses rêves, voie royale pour l’inconscient, qu’il peut accéder à ce que Freud a nommé le Complexe d’Œdipe. Nous pouvons lire dans son article « Résistances à la psychanalyse » : « Ceci est si facile à établir qu’il a vraiment fallu un grand effort pour ne le point reconnaître. En fait, tout individu a connu cette phase, mais l’a activement refoulée. »[2]

Seule la clinique psychanalytique permet d’avoir accès à la fonction du complexe d’Œdipe. Le complexe d’Œdipe ne peut être réduit à « aimer papa, haïr maman » ou vice versa. Pour le dire plus clairement, il ne peut être réduit au registre de la relation imaginaire (a—–a’), puisque c’est la traversée et la résolution de ce complexe qui permet à l’être d’avoir accès au registre Symbolique, de s’inscrire dans sa génération, de se sexuer, et d’occuper une position d’adulte. Nous comprenons mieux dès lors pourquoi il est si difficile d’accès : le refoulement, une des trois résistances du Moi, et le fait qu’une majorité de personnes n’ait pas traversé la mer Œdipienne[3], ne le permettent pas.

Secundo, nous pouvons repérer facilement l’un des aspects les plus connus du complexe d’Œdipe dans notre vie personnelle : l’amour pour les parents. Nous avons tous croisé, au sein de nos familles, un enfant déclarant à sa mère ou à son père qu’il veut l’épouser ou qu’il n’aimera que lui ou elle, et qu’il ne veut ni grandir ni quitter la maison plus tard.

Tertio, je peux témoigner en tant que psychanalysante que je le rencontre régulièrement dans ma cure. Je me souviens très bien arrivant, au tout début de ma psychanalyse, très remontée en séance tout en affirmant que « le complexe d’Œdipe était vraiment une grosse connerie », qu’il était impossible que je puisse aimer mon père. Comme l’a si bien décrit Freud, cette pensée m’était insupportable. Ma psychanalyste d’alors n’a pas pipé mot. Elle a supporté, en silence, mon transfert, mes cris, mon ignorance, reconnaissant là l’expression de mon refoulement.

Le complexe d’Œdipe n’existe pas diront certains. C’est facile. De la même façon que certains invalident les structures psychiques fondées par Freud : névrose, psychose et perversion. Ils affirment régulièrement que le complexe d’Œdipe n’existe pas, car 1) ils sont soumis au refoulement repéré par Freud, 2) cette affirmation leur permet de passer à travers les mailles du filet du Symbolique et de continuer à jouir sans limite, 3) enfin, ce refoulement leur évite toute rencontre avec la castration symbolique.

Les psychanalystes du RPH restent psychanalysants durant toute leur vie professionnelle. Ils sont les témoins du quotidien d’une société française qui se refuse de plus en plus à la castration symbolique. Comme le petit enfant de quatre ans qui dit que son sexe ne lui convient pas. Cependant que cet enfant est en pleine construction, tant au niveau organique, que corporel et psychique, alors que les étapes de sa sexuation sont en cours, voilà que les soi-disant adultes s’empressent aussitôt d’agir pour lui donner satisfaction, comme s’il s’agissait de changer de vêtement ! La jouissance civilisationnelle de cette époque répond tout de suite à toutes demandes, sans aucun recul ni réflexion. Depuis quand l’ignorance fait-elle loi ? Et quel référent est donc notre ignorant de parent ? Les psychanalystes, experts de la psyché humaine, sont-ils consultés ? – Non. Refoulés. Tout comme le complexe d’Œdipe.

Nier l’existence du complexe d’Œdipe n’arrangera ni la vie des êtres parlants ni les affaires de la cité policée. Barbarie assurée. Viol, inceste, meurtre, enfants qui n’arrivent plus à se situer dans les générations, jeunes adultes qui ne savent plus à quels genres se vouer, sont du ressort du complexe d’Œdipe.

Si le questionnement à propos du complexe d’Œdipe fait régulièrement surface c’est qu’il est – tout comme la vie psychique des êtres parlants – soumis au refoulement assorti du retour du refoulé, soumis à la dénégation et au déni. Comme ce psychanalysant qui interprète son rêve avec ces mots : « vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve. Ma mère, ce n’est pas elle »[4]. Freud rectifie : « Donc c’est sa mère ». Le complexe d’Œdipe existe d’autant moins pour les médias qu’il n’existe pas pour la foule. Il est simplement refoulé et aux prises aux résistances intramoïques de l’appareil psychique du vulgum pecus.

En aucun cas être refoulé n’est égal à ne pas exister ! En aucun cas disparaître n’est égal à être résolu[5]. Oui, le complexe d’Œdipe existe mais nous ne pouvons empêcher les êtres parlants de le refouler ni de n’en rien vouloir savoir.

Laure Baudiment
Le 07 novembre 2022

[1] Freud, S. (1925). « Résistances à la psychanalyse », Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Paris, PUF, p. 132.

[2]Ibid.

[3] Concept amorimien

[4] Freud, S. (1925). « La négation », Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Paris, PUF, p. 135.

[5] Freud, S. (1924). « La disparition du complexe d’Œdipe », Œuvre complète, tome XVII, 1923-1925, PUF,
p. 27-33.