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Combien de temps dure une cure psychanalytique ?

Pourquoi une psychanalyse est longue ?

Fernando de Amorim
Monmartin-le-Haut, le 4. XII. 2011

Pour Édith

Tout d’abord, poser la question à la manière de la vox populi suppose un temps chronologique. Réfléchir de cette manière installe d’emblée un travers dès le départ de la cure, et le travers dans une route maritime ne mène pas le bateau vers le bon port, quand il ne le mène pas à la catastrophe.

Pour répondre à cette question avec le plus de chances de trouver une bonne réponse, il nous faut nous appuyer sur une expérience déjà vécue. C’est, à notre avis, de cette manière qu’avance la science, c’est-à-dire, en faisant des tentatives, avec méthode, de cerner un bout du réel.

Vasco de Gama est le premier navigateur à arriver aux Indes par voie maritime. Il est parti de Lisbonne le 8 juillet 1497. Nous pouvons dire, si nous continuons de filer cette métaphore, qu’il avait commencé sa psychanalyse à cette date-là, car nous défendons l’idée que l’on commence sa psychanalyse quand on est d’accord pour naviguer sur l’océan inconscient.

Le 28 juillet il arrive à l’île São Tiago, à l’ouest du Sénégal. Ce n’est que le 22 novembre 1497 qu’il arrive à la baie de Sainte-Hélène. Pourquoi tant de temps ? Pour quelle raison Vasco de Gama, au lieu de continuer à longer la côte ouest africaine et ainsi suivre la route la plus courte, à savoir le Golf de Guinée, arrivé à la Côte de Palmes bifurque-t-il vers le Sud-Ouest, vers la côte brésilienne quand il veut se rendre en Inde, c’est-à-dire, à Est-Sud-Est, de l’autre coté du continent africain ?

Parce qu’il suit, il y était même obligé, la route du réel.

Cet immense détour fait écho à la question qui intitule cette brève.

Ce détour est l’expression même du réel. Il avait le choix de suivre le courant. L’autre choix aurait été de lutter contre le courant et les vents contraires et, partant, de périr et ne pas découvrir. Cependant, le désir qui anime Gama est de découvrir et non de périr. C’est pour cette raison qu’il n’a pas résisté aux lois du réel. A son époque, pour arriver au sud du continent africain et monter vers l’Inde, il fallait passer par la côte brésilienne, c’est-à-dire, se laisser emporter par l’ainsi nommé Courant du Brésil pour, en approchant de l’Argentine, suivre la dérive vers l’Est. Gama est obligé de suivre le courant Sud-Equatorial. C’est comme ça pour Gama, c’est comme ça pour celui qui veut naviguer dans les eaux de l’océan inconscient. Il y a des lois à respecter pour que le bateau de la cure avance et ainsi faire qu’elle arrive, si possible, à bon port.

Une psychanalyse exige un temps certain puisque on n’accède pas au désir inconscient – notre Inde à nous, à chaque psychanalysant -, selon les lois du moi du psychanalysant, les lois de l’imaginaire du praticien ou des lois du marché de l’industrie pharmaceutique.

Celles et ceux qui promettent une cure rapide, un traitement indolore ou la nouvelles méthode venue des Amériques, sont ignorants ou malveillants.

Une psychanalyse se fait avec les moyens du bord, avec ce qu’on a (il n’a pas d’argent, elle est sourde des deux oreilles, il est borné, elle délire), avec les exigences du réel (parce qu’elle est partie quelques mois à l’étranger et qu’elle désire continuer à parler avec son psychanalyste, ce dernier l’écoute par téléphone) et à partir du désir du psychanalysant (le désir d’ignorer la géographie et le décalage horaire, pour continuer ce qu’elle avait commencé).

Quelques-uns vont réussir à accéder à leur Inde et y retourner, en suivant le courant de Benguela ; d’autres se perdront en chemin ; d’autres encore seront emportés par le courant ; d’autres encore resteront à la dérive dans une psychanalyse sans fin parce qu’un plan possible d’accostage n’aura pas été mis en place dès le début de la cure par celui qui a la responsabilité de conduire la cure.

Une psychanalyse est donc longue parce qu’il n’est pas possible d’accéder à faire le tour de son désir en un clin d’œil, en quelques mois ou au moins avec en temps chronologique préétabli.

Pour cette raison nous nous référons aux premiers navigateurs. Ils n’avaient que leur désir qui les emportait, les poussait ; désir d’arriver à un lieu où personne jamais n’avait été. Les arguments exprimés pour justifier une telle entreprise varient : les richesses, le pouvoir, le prestige. Ce sont les autres noms du désir. Pourquoi accabler un riche s’il est riche pour, avec sa richesse, combler l’objet de son désir ? Pourquoi accabler un pauvre si dans sa pauvreté nous trouvons les privations d’usage pour éviter la castration ?

Nous ne pouvons pas imposer aux règles du réel de fonctionner selon la volonté de notre moi. De là la tromperie majeure de promettre des guérisons rapides et des médicaments efficaces quand l’être ne sait même pas encore naviguer. Et naviguer, comme aimer, cela s’apprend. Cela s’apprend en parlant parce que, si on laisse libre cours à la pulsion, cela va vers la haine, la destruction et la mort.