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Comment articuler psychanalyse et médecine ?

Avertissement aux médecins : Entre vétérinisation et humanisation de la parole

Fernando de Amorim 
Paris, le 25. VII. 2011

« Si le médecin doit rester quelque chose, qui ne saurait être l’héritage de son antique fonction qui était une fonction sacrée, c’est pour moi, à poursuivre et à maintenir dans sa vie propre la découverte de Freud. C’est toujours comme missionnaire du médecin que je me suis considéré : la fonction du médecin comme celle du prêtre ne se limite pas au temps qu’on y emploie ».

C’est en ces termes que s’achève la brève intervention de Lacan sur « La place de la psychanalyse dans la médecine » en 1966.

Saluons aujourd’hui le rapport de la Haute autorité de santé (HAS) qui met en évidence que le médecin d’aujourd’hui est devenu un prescripteur de médicaments, comme si l’unique traitement possible était (psycho)pharmacologique ; comme si les infusions, les gymnastiques, les diètes, la parole qui apaise et soigne, n’avaient pas leurs mots à dire en ce qui concerne la santé des humains !

Et, effectivement, ces techniques, ces disciplines, n’ont pas leurs mots à dire, écrasées qu’elles sont par la machine commerciale pharmaceutique. Machine qui se vante d’être scientifique, mais qui prouve sa scientificité à grand renfort de campagnes publicitaires gigantesques, secondée par des médecins et des visiteurs médicaux, très souvent de jolies femmes et de beaux garçons, distribuant, en plus de leur sourire ultra bright, à tour de bras des cadeaux, petits et moins…

La machine a tant chauffé et tant déversé de sous qu’elle a commencé à dérailler. Le Médiator a donné de l’argent à une logique féroce où le médecin devient serviteur de Servier et non de celles et ceux qu’il a juré servir, à savoir les patients.

Le médecin s’est laissé piéger par une logique qui a fait plus que s’approcher, puisqu’elle a adhéré aux lois du marché de la santé, beauté incluse. Lacan avait dénoncé cela en 1966 et les médecins présents lui ont montré leur désaccord avec ironie, voire mépris. Le temps est venu, malheureusement, de lui donner raison.

Un médecin est formé, entre autres choses, à l’anatomo-physiologie et à la pharmacologie, cette dernière bien sûr largement soutenue par les laboratoires pharmaceutiques. Mais, pour ce qui est de parler de l’importance pour leur patient de rencontrer un psychanalyste, plusieurs de mes collègues médecins ont témoigné avec une franchise touchante, de leur ignorance à savoir le faire. C’est cette raison qui me fit parler de cônification du transfert avec eux, afin qu’ils puissent se saisir de cette formule pour adresser un patient vers un psychanalyste.

Il est important que le psychanalyste soit au quotidien le missionnaire du médecin. Missionnaire dans le sens de celui qui part en mission, qui a comme raison d’être – dans le pays lointain de l’organisme malade – de propager en médecine la doctrine, faisant référence étymologiquement à un enseignement, à un avertissement aux médecins, qu’on ne badine pas avec le désir. Mon désir le plus vif est que le médecin puisse reprendre le flambeau hippocratique par la bonne voie, celle de l’éventail pharmacologique des laboratoires, mais aussi de l’hygiène de vie, des soins diététiques, des gymnastiques, de la parole qui, si elle ne guérit pas, soigne.

Il n’y a pas de clinique sans participation active du patient. Ce n’est pas en devenant impatient qu’il trouve une solution à ce qui le fait souffrir. Selon la cartographie du RPH, c’est en devenant psychanalysant et sujet dans sa relation avec son désir et le monde, qu’il pourra vivre Autrement.

Un dernier mot : il n’est impossible de cerner la réelle utilisation ni de la psychothérapie ni de la psychanalyse, sur le terrain. Il n’y a pas défaut de « traçabilité » concernant ces disciplines. Il est injuste de parler de « faible niveau de preuve scientifique » concernant la clinique de la parole. Je propose aux experts responsables du rapport de la HAS d’organiser une enquête auprès de celles et ceux qui ont vécu le traitement par la parole et ainsi d’extraire de leur témoignage en quoi parler a été, pour eux, utile.

La médecine de ce siècle tendra à s’approcher plus de la vétérinisation de l’organisme que de l’humanisation du corps, si elle ne s’approche pas de la psychanalyse.