La psychanalyse ou le moi du psychanalyste
Fernando de Amorim
Paris 75, le 27. III. 2011
Que signifie respecter la décision de quelqu’un de s’autoriser psychanalyste ?
Cette décision, jusqu’à présent était prise par l’autre (le superviseur du candidat à devenir psychanalyste, l’Institut où est formé le candidat, le psychanalyste du candidat en le poussant à un tel acte). Il y a aussi celles et ceux qui décident de s’autoriser d’eux-mêmes.
Toutes ces décisions visent, et réussissent, à échapper à la castration symbolique et à aliéner davantage le moi.
Comment authentifier le franchissement « qui consiste dans le passage de l’analysant à l’analyste » (p. 44 du « Manifeste) ?
Les auteurs du « Manifeste pour la psychanalyse », proposent de laisser ouverte cette question. N’est-ce pas comme de laisser ouverte une plaie, ce qui porte toujours à des conséquences gangréneuses, qui, si elles ne sont pas soignées, pourront se révéler mortelles ?
Ne pas trancher sur l’évidence est une manière de montrer que le psychanalyste a « horreur de l’acte psychanalytique » et choisit le champ du semblant.
Je pense que nous sommes dans une situation où, soit nous nous alignons du côté des psychanalysants pour défendre la cause psychanalytique, soit nous continuons à nourrir le moi des psychanalystes.
Depuis 30 ans les psychanalystes se sont autorisés d’eux-mêmes et de quelques autres. En un mot, c’est l’imaginaire qui prime au détriment d’un symbolique articulé au réel.
L’autorisation vient de la passe, passe qui ne perd pas son piquant quand on sait que quelqu’un, l’autre imaginaire du schéma lambda de Lacan, peut intervenir pour dire, en fin de compte, si le candidat est enfin psychanalyste ou non. C’est un problème pour l’avenir de la psychanalyse que quelqu’un devienne psychanalyste parce qu’il s’autorise de lui-même et de quelques petits autres, car c’est loin d’être suffisant. Et cela n’annule en rien la logique lacanienne. Cependant, si nous voulons faire science, il faut constater une difficulté et essayer d’apporter une solution, qui sans aucun doute sera, et devrait même être, très critiquée, simple manière de savoir si elle tient la route ou non. Dire qu’on passe « de l’analysant à l’analyste » c’est aller trop vite en besogne.
Selon mon expérience de psychanalysant et ma tentative de la théoriser par la « Cartographie », on ne passe pas de psychanalysant à psychanalyste mais de psychanalysant à sujet (Cf. notre Cartographie).
Comment devient-on psychanalyste ?
Parce que pendant sa psychanalyse personnelle ce désir traverse notre esprit, parce qu’il s’impose. C’est en parlant avec son psychanalyste que ce désir peut s’enraciner ou s’évanouir. Supposons qu’il s’enracine. C’est de la responsabilité du psychanalyste d’interroger sur la formation universitaire du candidat. S’il est vraiment désireux de devenir psychanalyste, je ne vois pas pourquoi il ne doit pas faire des études poussées. Theodor Reik n’était pas un inculte. Loin de là.
Au sein du RPH, si ce n’est pas déjà le cas, nous demandons aux personnes désireuses de devenir psychanalyste de faire des études universitaires, de régulariser leur situation auprès de l’Etat. Nous ne sommes pas un groupe de marginaux, la psychanalyse n’est pas l’objet de jouissance du moi et nous ne sommes pas non plus dans une république bananière. Nous pouvons discuter l’élaboration des lois, mais une fois les lois promulguées, nous devons les appliquer. Nous ne sommes pas contents ? Organisons nous en groupe soudé et montrons aux politiques nos crocs. Le un par un ne fonctionne pas socialement. Il faut vraiment être innocent pour croire à cela.
Il me semble que ce qui intéresse les psychanalystes c’est plutôt de continuer à nourrir leur symptôme que soigner l’objet de leur désir. Oui, objet de leur désir, parce que je ne pense pas un seul instant que quelqu’un qui travaille à mi-temps en tant que psychanalyste ou qui se dit psychanalyste, n’est pas touché par le désir psychanalytique. Ce même désir a nourri la lutte quotidienne de Freud et de Lacan.
C’est la précipitation des psychanalysants à vouloir devenir psychanalystes que j’interroge.
Qui donc assure le passage du psychanalysant à la position de psychanalyste ?
Le psychanalysant du psychanalysant. Je m’explique : quelqu’un découvre dans sa psychanalyse qu’il désire devenir psychanalyste. Son psychanalyste, à partir de l’histoire subjective de son psychanalysant, le pousse ou non à nourrir cette idée.
Etudions la voie du possible. Admettons que le psychanalyste parie que son psychanalysant puisse devenir psychanalyste à son tour. Il prendra rendez-vous avec son psychanalysant pour en parler en face à face, dans le cadre d’une supervision. A ce moment, des choses matérielles seront discutées : le local où il recevra les patients, par exemple. Nous avons au sein du RPH un local où les jeunes candidats peuvent recevoir leurs premiers patients, sous la responsabilité d’un superviseur. Mais il y a aussi des candidats qui ont les moyens de recevoir chez eux ou avec un ami.
Supposons maintenant que le psychanalysant continue d’un côté sa psychanalyse et que, de l’autre, il soit mis dans la position de psychothérapeute par un patient. Le patient continue à venir aux rendez-vous avec le candidat qui continue à son tour sa psychanalyse. En posant sa question au grand Autre, le patient devient psychanalysant et le psychothérapeute (notre jeune candidat), devient supposé-psychanalyste. Supposons maintenant que le psychanalysant trouve la porte de sortie de sa psychanalyse. A ce moment, le supposé-psychanalyste deviendra psychanalyste. Effectivement psychanalyste au moins de cette cure-là.
Conclusion
Parler du passage de psychanalysant à psychanalyste est une précipitation logique. Nous défendons l’idée que quelqu’un rencontre le désir de devenir psychanalyste sur le divan, mais c’est son psychanalysant qui authentifiera ce désir en devenant sujet. Le psychanalyste du candidat est responsable de ce que fait le candidat jusqu’au moment où ce dernier a assuré sa première psychanalyse. Dans une logique scientifique, nous n’excluons pas l’avancée de Lacan, nous apportons, à partir de notre expérience, des ajustements nécessaires à n’importe quel discours vif, vivifiant.
Même si la psychanalyse du psychanalysant-candidat (à devenir psychanalyste) et sa formation théorique sur la théorie freudo-lacanienne, l’histoire de la psychanalyse et d’autres disciplines qui s’y rapportent, comme la médecine et la culture générale, nous avons voulu mettre en évidence la procédure clinique qui consiste en la rencontre entre un patient et le candidat (dans la position de psychothérapeute) ; entre un psychanalysant et un candidat dans la position de supposé psychanalyste. C’est quand le psychanalysant devient sujet que le supposé-psychanalyste devient effectivement psychanalyste. Ça c’est le brut de l’affaire, après il faut que le psychanalyste puisse faire le toilettage de sa clinique, l’affiner, la rendre élégante, si cela est dans ses cordes.
Ou bien nous mettons en place un dispositif éthique et clinique pour la formation des psychanalystes visant à soutenir le désir tel qu’il a été défini par Freud et par Lacan, ou bien nous allons continuer à voir le moi des psychanalystes abattre la psychanalyse au nom de leurs symptômes !
Dans une de ses phrases dont elle seule a le secret, Edith de Amorim résume mon long papier ainsi : « C’est au psychanalysant, devenu sujet, que revient la capacité de faire naître le psychanalyste ».