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Comment évaluer la pertinence scientifique du complexe d’Œdipe ?

Chloé Blachère

Paris, le 26 octobre 2022

Le 23 octobre 2022, Le Figaro publiait un article intitulé : « Le complexe d’Œdipe existe-t-il vraiment ? »[1] La journaliste y relate les divergences de points de vue concernant l’Œdipe chez les professionnels de la santé mentale.

Dans cet article, le premier élément visant à mettre en doute la consistance clinique du complexe d’Œdipe repose sur l’absence d’utilisation d’un groupe contrôle de la part de Freud, précaution qui pourtant lui aurait permis, selon le professeur de psychologie qui en fait la remarque, de prouver la validité scientifique de sa proposition.

L’article indique plus loin que la pertinence clinique du complexe d’Œdipe est remise en question à l’université, tout en précisant que ce sont des psychologues et des anthropologues qui en testent la validité. Que les concepts à partir desquels une discipline construit ses techniques et ses méthodes pour opérer soient régulièrement évalués est essentiel pour en déterminer le caractère scientifique. En revanche, la manière dont cette évaluation est réalisée l’est tout autant. Car si cette évaluation n’est pas ajustée à son objet, toute tentative d’examen ne peut être que caduque. Or, tel que cet effort de scientificité est présenté dans cet article, le fait que ce concept psychanalytique soit étudié non par des psychanalystes mais par des professionnels d’autres disciplines interroge, dans la mesure où cela introduit d’emblée un biais méthodologique.

Pour évaluer la scientificité d’une discipline, le psychanalyste Fernando de Amorim propose de distinguer la méthode horizontale de la méthode verticale[2]. Si la méthode horizontale convient bien aux disciplines telles que la biologie ou la médecine en ce sens qu’elles peuvent comparer des éléments entre eux pour en tirer des observations puis des conclusions, il ne peut en être de même pour la psychanalyse, pour laquelle l’objet d’étude est l’appareil psychique humain. De fait, l’essence-même de cette discipline vise la singularité de l’être, sa subjectivation. Dans cette perspective, il apparaît hors sens de comparer plusieurs individus (méthode horizontale) dans le but d’en tirer des conclusions. La méthode verticale permet donc d’identifier des repères précis permettant d’évaluer l’efficacité clinique de dispositifs tels que la psychanalyse ou la psychothérapie avec psychanalyste. Parmi ces repères, notons l’entrée en psychothérapie puis la sortie, l’entrée en psychanalyse et la sortie, et avec eux l’examen des souffrances ayant conduits un être à venir consulter, et les constructions réalisées depuis le début de la cure.

Ainsi telle qu’elle est présentée dans cet article, la remise en cause de la pertinence scientifique du complexe d’Œdipe ne dit rien de sa pertinence clinique. Tout clinicien suffisamment formé et sensibilisé par sa propre expérience de psychanalysant est en mesure d’observer quotidiennement que le complexe d’Œdipe est un concept essentiel et repérable dans une cure, non dans un but de « mieux comprendre le processus d’individuation », mais dans un souci de conduire au mieux cette cure et ainsi, de permettre à l’être d’apaiser ses souffrances et de construire son existence[3]. Cette exigence clinique doit être repérable dans l’effort de scientificité qui encadre sa pratique, jusque dans les outils méthodologiques choisis pour l’étudier, au risque sinon de dévier vers une guerre idéologique.

[1] Aimelet, A. « Le complexe d’Œdipe existe-t-il vraiment ? », Le Figaro, le 23 octobre 2022, https://www.lefigaro.fr/sciences/le-complexe-d-oedipe-existe-t-il-20221023.

[2] Amorim (de), F. Brève « L’usage de la libido par le Moi », brève du 3 août 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-l+usage+de+la+libido+en+psychanalyse+-+paris+9eme-540.html; Amorim (de), F. « Le prix de porter la psychologie du Moi au détriment de l’Autre barré (Ⱥ) – IIe brève », brève du 15 mars 2021, https://www.fernandodeamorim.com/details-le+prix+de+porter+la+psychologie+du+moi+au+detriment+de+l+autre+barre-586.html.

[3] Amorim (de), F. « L’Aurore de l’Œdipe », brève du 23 octobre 2022, https://www.fernandodeamorim.com/details-l+aurore+de+l+oedipe-684.html.