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Commentaire à l’article de Monsieur Tahar Ben Jelloun paru dans Le Point du 14 septembre 2018 (version électronique)

Commentaire à l’article de Monsieur Tahar Ben Jelloun paru dans Le Point du 14 septembre 2018 (version électronique)

 

 

Fernando de Amorim

Paris, le 20 septembre 2018

Il est possible de lire cette majestueuse formule dans le titre du dit article : « Apprendre l’arabe c’est s’enrichir ». On dirait une publicité pour me vendre la nouvelle lessive anticalcaire ou la promotion d’un nouvel antidépresseur, l’un ou l’autre aussi puissamment inopérant face au calcaire ou à l’abattement. Cette dernière pensée me vient du fait que Madame Fairouz Nemraoui, membre du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital et inspiratrice de la nouvelle Consultation Publique de Psychanalyse à Créteil (94), a interviewé Monsieur le professeur Bernard Debré pour la Revue de psychanalyse et clinique médicale le 18 septembre sur son nouveau livre, avec le professeur Philippe Even, et intitulé « Dépressions, antidépresseurs : le guide ». C’est cette France que j’aime. Sans ambages, ce Monsieur a accepté de parler de son livre avec une jeune clinicienne. Des rencontres entre deux personnes d’âges et parcours différents qui ne se font pas prier pour échanger sur une question qui les intéresse au plus haut point : la santé des français.

Maintenant venons au cœur de notre affaire. Pour quelle raison ne pas investir massivement dans l’enseignement du français ? « Le français d’abord » exprimant (est-il utile de le préciser ? malheureusement il semblerait que oui) la langue française d’abord.

Si quelqu’un ne veut pas être rejeté, il lui faut entrer dans la danse symbolique, et la danse symbolique en France, c’est la langue française, son éducation, sa culture. Cependant, les adultes trichent avec les enfants. Sans courage, ils n’apprennent pas la langue du pays qui les accueille, qui leur donne une dignité qu’ils n’avaient pas chez eux, mais pire, ils ne laissent pas leurs enfants entrer dans la langue, dans le pays.

Immigré – de la banlieue vers la Capitale, d’Afrique, vers la réussite – c’est être responsable de son désir de naître symboliquement à une vie choisie, et c’est une chaance, au sens du XIIe siècle où l’être, à sa manière, en général favorable, peut tourner un événement, et non dans le sens vulgaire où l’être est à la merci des Parques.

La fonction première des adultes est d’aimer, soigner et éduquer les enfants, et aussi les protéger de l’aliénation humaine. Et cela passe par la culture. La conquête de la culture n’est pas tombée du ciel, elle a coûté du sang et des larmes. Revenir sur le passé pour nous accabler et non pour en tirer des enseignements pour l’avenir va nous tirer, tous – français, européens – vers le pire.

Je fais appel à notre Première Dame, enseignante, qu’elle puisse me lire, qu’elle sache que nous sommes dans une guerre silencieuse entre la civilisation et la barbarie, entre l’esprit qui raisonne et l’abrutissement des esprits et qu’il faut armer les français avec leur langue. Et pour combattre sans coup férir, il nous faut des auteurs français, de l’histoire, du théâtre, du retour vers le grec et le latin. Sortons la grosse artillerie car l’affaire est politique.

La victimisation des uns et la haine des autres sont en train de craqueler la communauté nationale, qui est française et laïque.

Ils ne sont pas étrangers, seuls les touristes sont des étrangers vrais, mais ils ne sont pas français non plus. La faute, dit-on aux français, ces racistes. Non, la faute aux adultes qui n’assument pas d’avoir quitté la dictature, la tyrannie, la sauvagerie la plus humaine, pour un monde meilleur, pour eux et pour leurs enfants ; ils n’assument pas leur désir.

La dame maghrébine de l’exemple de Monsieur Tahar Ben Jelloun l’a taraudé parce que l’affaire n’est pas réglée pour lui, comme pour tant d’enfants qui se sentent obligés d’être attachés à cette bête féroce et obscène qu’est le discours culpabilisant des nations, des hommes, des parents, des adultes, des religions. Le maghrébin, comme l’africain, l’italien ou le portugais ne sont-ils pas objet de haine ? Cette question est-elle déplacée ? Posons-là Autrement (avec l’Autre du langage et de la parole nés il y a deux cent mille ans) : quelle est ma part de responsabilité – en tant qu’arabe, portugais, africain – dans le réveil de la haine de l’autre à mon égard ? Il est possible déjà de s’interroger sur le fait que quelqu’un qui est en France dès l’âge de dix ans et ne se donne pas le droit ni le devoir, pas plus que le plaisir et l’honneur à la France, de prendre la nationalité française. Chercher l’erreur et la victime. Si l’écrivain n’a pas saisi que la suspicion est propre à l’humain, il passe à côté de l’essentiel de l’être parlant. Pour être du groupe il faut entrer dans le groupe et non faire bande à part. Le drame communautariste dans les pays anglo-saxons repose, selon moi, sur le fait que l’être n’est pas accepté dans le groupe. Il sera toujours un pakistanais en Angleterre ou un afro-américain aux Etats-Unis. Le groupe ne veut pas de lui, il vit dans Little Italy ou Chinatown. Les autorités politiques nourrissent toujours davantage une telle logique. C’est la meilleure manière d’exclure un être que de l’installer avec les siens qui ne sont pas miens.

En France, les français accueillent l’étranger, à condition qu’ils deviennent français. Est-ce trop demandé ? Mais non. En revanche, l’étranger qui ne devient pas français, qui ne s’habille pas, qui ne mange pas, qui n’habite pas, qui ne s’éduque pas, mais qui se soigne et gagne sa vie en France, dénigre les français. Etonnant ? Rien de plus humain, pourtant.

Affirmer et que cela soit transcrit par l’écrivain que, les parents de la dame sont morts de fatigue en France, ne choque personne ? Je peux comprendre que l’écrivain soit proche de la sensibilité artistique, mais de là à croire à un tel discours sans faire le travail politique de désaliénation et passer l’information dans un hebdomadaire lu par un nombre important de gens sans ciller c’est pousser loin le bouchon. Que Madame donne à ses enfants une bonne éducation n’a rien d’anormal, c’est même ce qui est attendu d’un adulte, qu’il soit maghrébin ou français. Du dictat religieux, les français se sont séparés depuis fort longtemps. S’ils acceptent leur prière de rue, des habits d’un autre âge et une parole aliénée qui les stigmatise, c’est se laisser coloniser par un tyran domestique. Le moment n’est pas au découragement mais à la prise de responsabilité de chacun. Et cela commence par des actes de civilité, en laissant sa femme vivre à la française, à ses enfants s’intégrer, en ramassant ses mégots et en étant courtois et discret. Avoir l’air sincère, comme écrit Monsieur l’écrivain n’est pas suffisant. Il nous faut du courage d’être français. Le ministère de l’Education Nationale néglige l’arabe comme il néglige le français, sa poésie, sa puissance, son érotisme. La vie ne se passe pas dans les ministères, mais dans les urgences hospitalières, où des mecs ne veulent pas que leurs femmes soient aidées dans leur accouchement par un homme obstétricien. Dans un cas bien précis, le mari a catégoriquement refusé l’accès au médecin et, à la fin de la discussion, quand l’abruti a finalement retrouvé ses esprits et laissé le clinicien faire son travail, sont fils, aujourd’hui âgé de vingt ans, est né handicapé à vie française, je veux dire qu’ici la communauté nationale payera l’aménagement de l’appartement et son allocation handicapée pour le reste de ses jours. La sauvagerie n’a pas de nationalité. Elle est humaine. Un père asiatique empêche des sauveteurs émiratis de sauver sa fille de vingt ans de la noyade car, pour le père, il est préférable voir sa fille morte « que touchée par des mains étrangères ».

Le temps n’est pas à la victimisation mais à l’engagement envers un pays et un peuple qui accueille, soigne et nourrit. En retour, d’aucuns lui crachent à la gueule en se refusant à faire partie de la communauté nationale.

Les enfants qui tombent dans le piège des recruteurs de Daech, comme dit l’écrivain, ne sont pas des rejetés arabes puisqu’il y a aussi des français dans le lot de ses errants. Le dénominateur commun est l’absence d’un père pour aimer et respecter, comme dit le poète Pessoa. C’est l’absence d’une mère qui donnerait l’exemple en s’élevant devant ses filles au statut de femme française. Ses mères arabes qui sont là pour leur fils et qui méprisent leur fille viennent boucler la boucle de ce qui la psychanalyse signale dès son origine, à savoir, un enfant abandonné, c’est la condition propre à l’Œdipe. Nous sommes tous des Œdipe et la psychanalyse travaille, dans son coin, silencieusement, à faire en sorte qu’Œdipe puisse devenir quelqu’un de bien, indépendant, surtout indépendamment, de son père et de sa mère, puisque les géniteurs n’assument pas leur responsabilité de faire de leur progéniture, des gens bien.

Assez de victimisation : que les étrangers sortent de cet état de sidération infantilisante – aliénante car jouissive – et se mettent au travail de savoir leur part de responsabilité dans le rejet qui leur est accordés par leur autre social – rejet légitime, arbitraire, injuste ou illégal.

Pour que le Président de la République participe d’une manifestation organisée par des associations religieuses, il faut que la population dans sa majorité soit d’accord. Le Président de la République représente la majorité des français. Or, la majorité des juifs en France n’impose pas à la société un manque de respect à l’hôte français ou à n’importe qui, français ou non, qui se comporte mal, irrespectueusement ou grossièrement. Que Monsieur l’écrivain puisse juger la prise de position du Président comme ayant raison ou ayant tort est digne de quelqu’un habitué à la liberté démocratique, donc qui n’a pas peur de représailles. J’ai vécu une expérience d’un autre registre : un jour, invité à faire une intervention dans un pays arabe, je me suis laissé aller à commenter, avec humour mais respectueusement, bien évidement, le commentaire d’un journaliste sur l’autorité suprême du pays. Une gêne généralisée a saisi le public et après, le chef de service de gynécologie qui m’avait invité m’avait dit qu’il ne pourrait pas publier la partie drôle, selon ses mots, de mon intervention dans leur revue. Je me suis rendu compte de ce que c’est de vivre dans la peur. Je lui avais dit qu’il avait mon autorisation pour supprimer cette partie de l’intervention, comme n’importe quelle autre qu’il estimerait nécessaire, et même l’intégralité si cela pouvait éviter des déboires à lui et à nos collègues. Je lui avais demandé pardon et me suis proposé de retourner, l’après-midi, pour demander pardon au public. Il m’avait dit que cela ne serait pas nécessaire et que le public avait compris. Avec un sourire il avait dit : « Vous êtes français ! ».

Il faut vivre ailleurs pour aimer la France. Cependant, il y a ceux qui sont en France, français depuis cinq siècles ou dix ans, et la méprisent de bon cœur, avec la même brutalité.

Une langue ne s’apprend pas à l’école, une langue s’apprend en la vivant, en se laissant pénétrer par ses signifiants. Ce n’est pas parce que quelqu’un est né en France qu’il parle français. Il est français, mais s’il ne parle pas le français il aura le passeport, mais ne passera pas la porte de son ignorance de l’Autre barré, lieu du désir, du langage et de la parole. Elevons le débat. Tu veux apprendre à parler l’arabe, l’allemand ou l’Anglais ? Mets du tien, paye tes cours.

Comme tout le monde, je cherche la facilité, les langues que j’appris ce fut au lit, avec des dames généreuses. À part pour l’allemand. Avec l’allemand, j’ai profité de la compétence de Madame W., la préceptrice de mes enfants. J’ai profité de sa présence pendant six ans pour m’instruire. Elle était une dame âgée et très drôle, drôle comme peut l’être un allemand. Oups ! Suis-je devenu germanophobe ?

Les assassins, envieux de la joie de la jeunesse française dans les bars et salle de spectacle étaient-ils germaniques, chinois ou argentins ? Etaient-ils catholiques, protestants, juifs ou bouddhistes ? Ils étaient des gens perdus se croyant empêchés d’entrer dans la Cité. C’est aux musulmans d’aider la société en éduquant leurs sauvages, en soignant leur fou, en dénonçant les psychopathes. Ces aliénés font du mal surtout aux personnes de confession musulmane qui ne se donnent pas en spectacle par leurs habits et leur narcissisme de la petite différence et qui sont intégrés dans l’école et dans la culture de la République.

Tout le monde est sur les dents parce que les êtres ne font ni appel ni confiance à l’Autre barré, ce lieu psychique où tout en chacun fait appel aux paroles pour exprimer leur désir.

Ceux qui s’improvisent imams représentent un problème qui concerne d’abord ceux qui sont musulmans. Comment prendre au sérieux quelqu’un qui dit à un enfant que s’il écoute de la musique il se transformera en porc ? Les français ont déjà quitté ces croyances depuis le moyen-âge, grâce à la philosophie grecque. C’est aux musulmans de s’élever au rang de citoyen français et pas aux français de se soumettre aux caprices des adultes qui croient aux djinns.

Marchons-nous sur la tête ? C’est aux adultes de donner à leurs enfants le désir de s’ouvrir au monde et pas à la société française de casquer pour payer l’incompétence des adultes à être parents. Je suis d’accord pour payer des cours d’allemand à un jeune marocain et d’arabe à un jeune suédois. La visée de la culture et de l’instruction c’est de s’ouvrir au monde et non d’utiliser le savoir pour combler la défaillance des adultes. Cette politique bien pensante du pauvre immigré est déplacée car, en fin de comptes, en arrivant dans ce monde tout le monde est immigré, étranger car Inter faeces et urinam nascimur.

Selon Monsieur, certains musulmans se radicalisent et rompent ainsi le contrat social et républicain. Payons des cours d’arabe aux enfants. Ça ira mieux. C’est pour rire ? Ils rompent le contrat républicain parce qu’ils ne vont pas bien, parce qu’il n’y a pas pour eux ni contrat ni République. Si les musulmans sont classés autoritaires, c’est parce qu’ils se pensent toujours dans un environnement autoritaire et sécessionniste où leurs parents étaient exclus ou où les parents préparent leurs enfants pour les venger, les parents préparent leur enfant pour venger le pays qui a blessé leur narcissisme ? Non, pour se venger contre le pays qui les a accueillis quand ils étaient affaiblis. Ils veulent vengeance d’être en vie, comme n’importe quel humain.

L’arabe, comme n’importe quelle langue, est le fruit d’une transmission domestique, scolaire, sociale, historique et culturelle. Pour cela il faut vivre dans les lieux où on le parle. L’aventure de la transmission commence par les adultes qui entourent l’enfant. A eux, d’abord eux, de se montrer digne de former des jeunes gens en forgeant leur esprit dans l’amour, la dignité et l’honneur de devenir quelqu’un.