Compte-rendu de la journée d’études « Pour en finir avec le carcan du DSM »
Samedi 5 novembre 2011
Organisée par l’Initiative pour une Clinique du Sujet
Marine Lalonde
Paris, le 7. XI. 2011
Cette journée a été organisée par Patrick Landman suite au travail de l’association de quinze cliniciens ayant rédigé « le manifeste pour en finir avec le carcan du DSM ». Des manifestes similaires ont été élaborés en Espagne, en Italie, au Brésil et en Argentine.
Dès l’introduction de cette journée, la visée est énoncée : contrer la pensée unique du DSM. Dès lors, les propositions du manifeste sont reprises dans les grandes lignes. Cette journée nous propose également de nous interroger sur la nécessité d’une classification unique dans le champ de la psychiatrie. Et, parallèlement, la question de l’élaboration de systèmes de classification alternatifs au DSM est posée, systèmes qui pourraient s’appuyer sur l’existant (la CFTMEA de Misès est alors abordée).
Quatre tables rondes se sont succédé lors de cette journée :
- a) L’enfant et l’adolescent sous DSM
- b) La clinique des psychoses dans le DSM
- c) La nosologie psychiatrique comme cadre de la pensée clinique
- d) Conséquences politiques du DSM
Je soulève certains éléments de ces échanges.
Les interventions de la matinée, qui portaient sur la clinique avec les enfants, les adolescents et auprès des personnes psychotiques, se sont concentrées particulièrement sur la portée actuelle du DSM et sur les effets rencontrés par son instauration dans les établissements psychiatriques. Le DSM érige le symptôme en diagnostic et il fige ce diagnostic, et par conséquent, le traitement du patient. Je ne reprendrais pas ici l’ensemble des expériences cliniques que les intervenants ont présentées et qui ont clairement fait état de la « folie » du DSM : le « manifeste contre le carcan du DSM » souligne ces effets.
Ce qui m’a semblé central dans l’ensemble de la journée, c’est la question du succès qu’a eu le DSM dans le champ de la santé mentale. Outil statistique et diagnostique à l’origine, il est devenu le manuel de référence des troubles mentaux. Et au-delà du champ clinique, les catégories du DSM et le vocabulaire qui le caractérise se trouvent aujourd’hui reprises dans la sphère politique (politique de santé, domaines de la protection judiciaire et de l’éducatif) et également dans des domaines financiers (pharmacologie et sociétés d’assurances par exemple).
Steeve Demazeux a su nous alerter : il est salutaire de distinguer le DSM de son usage, politique et social notamment. Il nous conseille « d’être un peu ami de son ennemi » afin que les critiques qu’on lui adresse tiennent la route et nous invite par-là à mieux connaitre l’histoire et le contexte dans lequel est apparu le DSM avant d’attaquer le modèle, l’outil qu’il représente. Différents intervenants ont d’ailleurs retracé l’histoire du DSM et « l’état d’esprit » dans lequel il a été construit et révisé, en particulier en 1980, sous sa troisième version. Maurice Corcos a mis en lumière le soubassement culturel anglo-saxon qui se repère facilement dans le DSM, réfutant ainsi l’athéorisme dont les auteurs se réclament. Il est aussi important de remarquer, comme l’a fait Steeve Demazeux, que le DSM n’apporte que peu de nouvelles « catégories » à la psychiatrie classique européenne sur laquelle il se fonde. Cependant, dans le DSM, les classifications ont été abrasées, appauvries des éléments psychogènes et dynamiques, centrales dans la culture psychiatrique européenne et surtout française.
Si l’American Psychiatry Association a volontairement écarté la psychanalyse lors de l’élaboration du DSM-III, Dominique Wintrebert a souligné qu’historiquement, la psychanalyse et ses acteurs ont refusé de participer à l’élaboration des premières versions du DSM. Par arrogance disent certains. En tous cas, à l’époque, les psychanalystes ne l’ont pas considéré. D’où l’importance pour les psychanalystes aujourd’hui d’assumer leurs responsabilités et leurs positions, de répondre aux invitations et de se trouver là où le soin psychique est questionné et travaillé.
De la nécessité ou non de se référer à une classification
Secondairement, c’est la question du diagnostic et de la classification qui est posé. François Leguil nous met en garde : la classification ne peut pas échapper au clinicien ! Mais selon lui, le clinicien classe non des troubles mais des plaintes, celles que le patient apporte. Là est donc soulevée la question du diagnostic en lui-même. Parfois dénigré ou ignoré par le passé, il semble important de répondre aujourd’hui à la question : qu’est-ce qu’un diagnostic et comment est-il utilisé ? « Le DSM, y a pas besoin de penser pour s’en servir », soulignait un intervenant.
Qu’est-il proposé à la place ? Pour répondre à cela, Bernard Odier a présenté l’outil d’évaluation que son équipe et lui ont mis au point à l’ASM 13, exposant ainsi une alternative possible aux critères d’évolution présentés dans le DSM (Cf. l’ouvrage « Évaluer les psychoses » chez Dunod). C’est de la confrontation de systèmes de classification pluriels qu’un « espace de pensée » pourra se manifester dans la discipline de la psychiatrie, tant dans la formation des psychiatres que dans les pratiques cliniques, confrontation qui demande une « humilité de la pensée », de loin préférable au carcan d’une pensée unique (Nicolas Gougoulis).
Les enjeux politiques
La dernière table ronde a été très vivante. Ne nous contentons pas d’être indignés, ou des Indignés de la psychiatrie, mais proposons !
Hervé Bokobza, à l’origine des États généraux de la psychiatrie de 2003 et co-fondateur du collectif des 39, appelle, à nouveau, au rassemblement, exempt des querelles de chapelles, contre la pensée unique du DSM. En conclusion, précipitée, de la journée, Gérard Pommier questionne : Que faire ? Avec qui ? En s’adressant à qui ? Et avec quelles propositions ?
Cette journée a été nourrie d’interventions, de critiques, d’arguments contre le maintien du « carcan du DSM ». Mais les propositions d’alternatives restent rares et soulèvent rapidement critiques et désaccords. Affaire à suivre donc quant à l’élaboration d’un discours qui puisse être porté en commun face aux politiques.
Je souligne également la question de la transmission de la psychanalyse et d’une psychiatrie amie de la psychanalyse, entre autre… La journée « Stop DSM » a réuni majoritairement des psychiatres psychanalystes de la génération « des élèves de Lacan » comme j’ai pu entendre. Quid de la diffusion des enjeux de ce mouvement auprès des jeunes générations et auprès également des autres professionnels pris dans ce carcan du DSM ?