Compte-rendu des 7ème rencontres sur les maladies rares
Ouarda Ferlicot
À Nanterre, le 15 décembre 2023
Ce mardi 12 décembre étaient organisées les 7ème rencontres sur les maladies rares à la Maison de la Chimie à Paris.
Cette matinée consacrée aux maladies rares, qui concernent plus de 3 millions de Français, aurait pu s’intituler, de mon point de vue, « Maladies rares où est le sujet ? ». Cela parlait des bases de données, des difficultés d’accès aux tests génétiques, des difficultés de diagnostic et de bien d’autres choses qui m’ont semblé relever de l’aspect technique plutôt que clinique.
Ainsi, tout au long de la matinée se sont enchaînées les interventions de députés, de Professeurs de médecine, mais aussi de directeurs et représentants de la biopharmaceutique, biotechnologie, au cours desquelles a été souligné l’extrême difficulté à poser un diagnostic mettant les patients dans une longue errance.
Il a été rappelé qu’il faut en moyenne cinq ans pour pouvoir émettre un diagnostic et qu’en médecine, sans celui-ci, il est difficile, voire impossible, de proposer une thérapeutique adéquate.
Alors, en écoutant les interventions se succéder à un rythme soutenu, il m’apparaissait que derrière cette difficulté diagnostic se faisait entendre ce sujet singulier qui cherche à émerger et que la médecine moderne, dotée des dernières évolutions techniques et scientifiques en génétique, biotechnologie et en bio-informatique, n’arrive pas à attraper.
En effet, il a été évoqué, que lorsqu’il n’est répertorié en France que 4 ou 5 cas pour une maladie, il est nécessaire de mettre en place une banque de données pour regrouper les cas, les mettre en relation, et favoriser le développement des traitements. Et c’est là où le sujet s’évanouit à nouveau. Le singulier disparaît au profit de la donnée. En effet, la demande d’une banque de données européennes, une bio-banque, aussi appelée « BNDMR » (Banque Nationale de Donnée Maladies Rares) permettrait de mettre en relation les données des patients de toute l’Europe avec une maladie rare. Si cela semble aller dans le sens de faire avancer la recherche, il n’en demeure pas moins que ces données restent déconnectées de la clinique puisqu’elles ne règlent pas la question de leur interprétation en dehors de tout transfert. Comment les interpréter en dehors de l’examen clinique lui-même ?
Finalement, avec les maladies rares, il ressort que le diagnostic est un pivot de la thérapeutique, et même un enjeu vital. Sans diagnostic, il n’est pas possible d’engager une thérapeutique ni même d’envisager la recherche d’un traitement pharmaceutique adéquat.
Notre prochain colloque, qui se déroulera au printemps 2024, aura pour thème « La question du diagnostic en psychanalyse et en médecine ».
Nous voyons bien qu’avec le cas des maladies rares, il est quasiment impossible de soigner sans diagnostic là où en psychanalyse, l’association libre nous permet de naviguer à vue sans qu’aucun diagnostic ne soit posé. Il faut aussi souligner que contrairement à la médecine nous n’administrons pas de traitement médical.
Cette question de la donnée en médecine, m’a fait penser à l’interview de Bruno Falissard dans le journal Libération du 13 décembre 2023, concernant la « filialisation » de la santé mentale – et vous serez sûrement sensible au vocabulaire emprunté au monde de l’entreprise pour parler de la santé mentale d’aujourd’hui et qui traduit l’évolution de la santé de manière générale – soit un service dédié au schizophrène, un service dédié aux symptômes bipolaires et ainsi de suite. Le risque que Bruno Falissard énonce, et je suis d’accord avec lui, est de passer à côté de la complexité du psychisme humain et j’ajouterai que cette découpe symptomatique ou nosographique réduit l’être à un symptôme ou une maladie soit une tentative de réduction qui vise à ne pas entendre ce que le sujet a à dire.
Bruno Falissard dit qu’« en santé mentale les patients sont compliqués. Cela veut dire qu’on ne peut résumer un patient à un diagnostic, on est obligé d’en mettre plusieurs ». Il est vrai qu’en mettant plusieurs diagnostics, le clinicien ne risque pas de se tromper mais dans cette logique, peut-on avancer vers la gauche, la droite et tout droit en même temps ?
C’est ici, que la psychanalyse freudo-lacanienne, enrichie par les apports de Fernando de Amorim, nous sort de cet embarras en nous permettant de ne pas confondre le symptôme et le diagnostic structurel. Sans cette lecture, la pose d’un diagnostic ne peut qu’être faussée. Un symptôme se traite, ce qui n’est pas le cas de la structure.
Par ailleurs, le fait qu’il y ait de plus en plus de services dédiés aux symptômes ou aux pathologies, laisse ouverte la question de tous ces patients pour qui aucun diagnostic n’est posé.
En psychanalyse, les patients ne se présentent pas en première séance muni d’un plateau sur lequel reposerait le diagnostic. Parfois, le diagnostic structurel n’est posé qu’au bout de quelques années parce qu’il est le résultat d’une maturation effectuée au cours d’un travail thérapeutique et pris dans un transfert.
Cela ne veut pas dire que durant ce temps, il ne se passe rien. Bien au contraire, l’être continue de naviguer et se déleste progressivement de ses symptômes. L’absence de diagnostic n’est pas un frein à la thérapeutique psychanalytique contrairement à la thérapeutique médicale. Cependant, le diagnostic, en psychanalyse, nous sert à orienter le bateau de la cure dans la direction adéquate : la possibilité d’une île pour le psychotique, l’autre continent pour le névrosé, le mouillage pour le pervers.