Magali Meslem
Paris, le 16 décembre 2024
Au cours d’une visite chez son médecin généraliste pour une grippe, une patiente révèle un inconfort dans son corps : elle est une femme mais se sent homme. Sa voix et la forme de sa mâchoire la gênent, elle se genre au masculin. Elle demande à connaitre les possibilités de traitement qui s’offrent à elle et s’attend à devoir affronter un véritable parcours du combattant. Dans une réponse quasi immédiate, le médecin lui décrit un parcours de transition et d’injections hormonales, à l’issue d’un simple bilan sanguin. La mise en œuvre peut être tout aussi rapide. Quelques questions sur sa situation sociale et ses liens familiaux laissant supposer une stabilité chez la patiente autorisent le médecin à déployer la possibilité d’un parcours de la procédure avec effets transitoires et irréversibles du traitement. Ce médecin est inscrit sur une liste le spécifiant comme spécialisé dans l’accompagnement de patients transgenres ; il peut prescrire un bilan hormonal et réajuster un traitement hormonal féminisant ou masculinisant, pour les mineurs y compris.
Le surprenant de cette consultation, c’est qu’à aucun moment le médecin n’examine le souhait et la demande de la patiente, mais se précipite à y répondre. La déconvenue dans sa peau de femme suffit à la prescription d’un traitement hormonal de son rapport au corps. Ni la singularité de cette dame, ni sa problématique psychique, ni son image du corps, ni le fantasme lié à la demande ne sont envisagés.
Ce médecin fait fi de son ignorance, se positionne en maître sachant, s’incarne comme sujet supposé savoir avec proposition d’injection. Le risque est grand quant à un tel positionnement et l’affaire n’en sera certainement pas réglée. Cette patiente psychotique est fréquemment traversée par des bouleversements émotionnels, le risque d’errance et de décompensation n’est pas à négliger. La proposition médicale peut venir gravement compromettre le travail de cure.
L’actualité sociétale se fait également l’écho des fâcheuses conséquences d’une précipitation de réponse à une demande, dont la lecture fantasmatique n’est pas faite. Car effectivement, c’est de fantasme inconscient dont il est question et de sa mise en exergue (cf. brève du Dr J. Faugeras du 12 décembre 2024 : Quelques incidences psychiques, épistémiques et sociales du fantasme de castration). En outre, les demandes de détransition fleurissent actuellement, la presse en témoigne. Ce phénomène de détransition est sous-estimé, insuffisamment connu, et pourtant l’Académie de médecine l’annonce d’allure épidémique. La détresse de ceux qui regrettent être entrés dans ces démarches et avoir soumis leur corps à des traitements hormonaux ou des gestes médicaux n’est pas à négliger. Les souffrances qui en résultent sont parfois irrémédiables car irréversibles. Précaution et vigilance du corps médical et des parents sont une nécessité face aux risques délétères.
La pratique du psychanalyste n’obéit pas à cet ordre ; bien au contraire, il ne répond à aucun moment à la demande du patient. Pourtant, dans les cures, les demandes sont légion et les patients font preuve de grande inventivité dans leur quête compensatoire. Ils peuvent exiger une réponse à une question, de la compréhension pour un retard, de la tolérance quant à une règle. Ils sollicitent un conseil, l’avis « d’expert » du clinicien, un éclairage théorique, ou encore cherchent à être rassurés ou à introduire dans la relation une connivence… Mais la réponse du clinicien se situe dans une offre de refus. Lacan insistait sur l’instauration de cette coupure « avec le tout venant de la demande »1, dans la cure psychanalytique. Car ce qui se rejoue dans la cure, dans le transfert, a à voir avec le rapport que chaque patient entretient avec ses fantasmes refoulés. Et c’est dans cet espace du transfert qu’il peut découvrir le fantasme qui l’anime. Éviter le piège, ne pas se croire sujet-qui-sait, qui comble, telle est la posture clinique. C’est par ce contournement malicieux que le clinicien invite le patient à la découverte d’un savoir inconscient. Sa demande est alors reconnue dans sa dimension de dignité et non pas comme un besoin à satisfaire. Par son silence, par son abstinence le psychanalyste ne gratifie pas la demande ; il rend possible la régression psychanalytique pour qu’elle débouche sur les fantasmes infantiles et le conflit œdipien du patient. Clinique de l’extraction de signifiants plutôt que celle de l’introduction ou de l’injection, l’offre du psychanalyste « consiste à soustraire plutôt qu’à ajouter »2. Cette position clinique pourrait ne pas être l’attribut du clinicien, mais s’appliquer à d’autres praticiens visant le mieux-être de chacun.
- Soler, C. « L’offre, la demande et la réponse ». Champ lacanien, 2013, n° 13, Éditions EPFCL-France, pp. 9-27. ↩︎
- Soler, C. « Perte et profit ». Champ lacanien, 2007, n° 5, Éditions EPFCL-France, pp. 11 21. ↩︎
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