Ouverture
Fernando de Amorim
Paris, le 21. X. 2013
En France, les pathologies psychiatriques se situent au troisième rang des maladies les plus fréquentes.
1) Selon les rapports officiels, moins de la moitié seulement de la totalité des prescriptions de psychotropes est justifiée. Chez nous, les médecins généralistes prescrivent 90 % des psychotropes. Bernard Bégaud, qui est professeur de pharmacologie, nous apprend que, je le cite, « durant leurs études de médecine, le médecin généraliste n’aura droit qu’à une heure d’enseignement sur la schizophrénie ou les troubles bi-polaires, et à peine plus pour la dépression ».
La collectivité débourse environ « un milliard d’euros chaque année » pour des médicaments psychopharmacologiques, quand « la moitié, voire les deux tiers, pourrait être facilement économisé », écrit le journaliste Guy Hugnet.
Il faut compter aussi le prix de dizaines de milliers de journées d’hospitalisations liées aux effets secondaires de l’utilisation aberrante des médicaments.
Voilà pour le rapport entre la santé mentale et la prise en charge pharmacologique.
Passons maintenant au traitement psychothérapeutique :
2) Les psychothérapeutes assurent la prise en charge des troubles psychiques et corporels. La psychothérapie est recommandée internationalement et l’efficacité est une évidence clinique, sociologique et statistique. La psychothérapie est remboursée quand un psychiatre la pratique. Selon Anne Dezetter, dans sa thèse de doctorat en santé publique, « Le coût de la séance a été estimé à 41€, le taux de remboursement par le régime obligatoire à 70% et 60% pour soigner les personnes de 18 à 75 ans souffrant de troubles de santé mentale courants chroniques et/ou sévères. Le coût de la prise en charge psychothérapeutique annuelle s’élèverait à 514 millions d’euros (entre 308 et 347 M€ pour le régime obligatoire), pour traiter 1,033 million de français, soit 2,3% de la population. Pour 1€ investi dans le traitement psychothérapeutique, le ratio coût-bénéfice s’élèverait, selon la symptomatologie, entre 1,14€ et 1,95€ épargnés par ce traitement ».
C’est trop cher. Mes amis. Faisons mieux !
3) Marie-Hélène Viel avait demandé aux candidates et au candidat de se présenter devant vous ce soir pour exposer leur programme sur la santé mentale des parisiens. Peut-être eux-mêmes voudront s’inspirer de vos expériences de femmes et d’hommes de terrain pour nourrir leur programme. Donc, ne soyez pas radins, proposez vos idées si le cœur y est. Essayons tous de faire avancer le projet de santé mentale pour notre ville. La situation économique exige un projet simple, efficace et économiquement viable.
Dans un papier précédent, j’avais déclaré que notre prochain Maire serait une femme. Puis en lisant de manière vagabonde la poésie – pas déprimante pour un sou – de Pessoa, je tombe sur ce qui suit :« Dans tous les asiles il y a des fous détraqués par tant de certitudes ! ».Bien sûr, j’ai pris ça pour moi.
Je ne sais pas de qui la, le, Maire sera fait, mais j’aimerais que cette personne puisse porter une attention toute spéciale à la paix dans la Cité, au sens grec ancien du mot. Et la paix dans la Cité, mes amis, passe par la paix d’esprit, la possibilité de pouvoir aller travailler en paix, tout en sachant que les enfants sont à la crèche ou que les jeunes gens sont protégés des périls de la vie.
Je voudrais exposer ce que notre Ecole, le Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital, le RPH, fait déjà, depuis plus de 20 ans, pour la santé mentale des habitants du grand Paris. La consultation publique de psychanalyse, la CPP, est engagée politiquement, dans un premier temps, à faire rencontrer celles et ceux qui souffrent et qui n’ont pas les moyens de payer un psychanalyste, avec de jeunes étudiants, en psychiatrie et psychologie, et d’ainsi, dans un second temps, de former ceux-ci à la clinique.
A la CPP, les gens qui souffrent amènent leur détresse et leur maximum financier : 2 euros pour l’un, cinq euros pour une autre. Les étudiants, plein de désir de réussite, amènent leur jeunesse et leur désir décidé.
L’ensemble donne la dimension vivante de la clinique française contemporaine.
Voici une question : Recevoir quelqu’un pour 2 euros, dites-vous ? De la charité ?Voici ma réponse : Pas du tout ! Du quotidien psychanalytique français, pur jus.
Voici enfin, une argumentation à laquelle nous pouvons toucher du doigt : celle qui payait 2 euros, vient de terminer ses études d’architecture. Elle a trouvé un travail et paye aujourd’hui 30 euros la séance. De même que le jeune qui l’a reçue il y a quatre ans, il vient de décrocher son diplôme universitaire, en plus d’une assise clinique qu’aucun de ses collègues de promotion n’a. Pendant ses quatre ans, j’étais dans l’illégalité car, nous dit la Loi, il ne faut pas confier des patients à des étudiants.
Il se fait urgent de sensibiliser les autorités au changement de cette Loi.
Celui qui payait 5 euros hier, en paye aujourd’hui 10. Mais son cas est beaucoup plus complexe. Il a la tendance à porter des armes blanches et entend des injonctions sur le retour des nazis à la Porte de la Chapelle. Ce qui lui pousse à vouloir en découdre avec celui qui est à ses yeux, suspect :
« Innombrables sont les dangers de cette vie », dit la bossa nova de Toquinho et Vinicius de Moraes.
La jeune praticienne qui écoute ce Monsieur l’avait rencontré il y a 3 ans. Aujourd’hui elle a aussi son diplôme, mais pendant 3 ans, j’ai supervisé la conduite de la cure et son psychanalyste à elle a supporté ses agitations, agitations face à une folie qui lui rappelle, comme une goute d’eau, la folie de son oncle. Cela sans dire que, parfois, elle se reconnaît dans la violence et dans la virulence du discours du patient.
En un mot, la clinique mentale est nourrie d’embrouille, de confusion, de malentendu, de demi-tour existentiel, de revire-volte où l’apaisement, voire la vie, la sienne, celle de l’autre, tient à un fil. Et vouloir régler cette vie mentale déréglée, qui s’exprime sous forme de haine, d’amour, d’ignorance, vouloir la régler à coup de médicaments, de repos à la campagne ou dans des cliniques, c’est ignorer l’évolution de la clinique française, de Pinel à Lacan.
La loi qui jusqu’à présent, interdit aux étudiants de recevoir des patients, encadrés par des aînés, ne prend pas en considération la clinique du RPH depuis 20 ans. Si le législateur était au courant de nos réussites cliniques, je suis sûr qu’il accepterait que des étudiants reçoivent des patients, bien sûr encadrés par les professeurs universitaires dans son versant théorique et par nous dans son versant clinique.
Cette pratique existe déjà, mais dans l’illégalité. S’il y a un pépin clinique, la Loi se tournera contre moi, l’actuel président du RPH.
Il faut dire que les étudiants d’hier, qui ont commencé avec moi à l’hôpital Avicenne en 1991, sont des professionnels aujourd’hui, qui continuent à faire une place dans leur agenda pour les déshérités sociaux et économiques, comme nous avait demandé Freud en 1918.
J’avais interrogé, au hasard, un de ses cliniciens.
Il est au RPH depuis 6 ans. Il m’a confié que, aujourd’hui, il travaille dans son cabinet, mais qu’il a commencé à notre CPP, au 33 rue Pigalle, dans le 9e arrondissement de Paris. Il n’habite plus chez ses parents et il déclare 80 000€ aux impôts. Il a 30 ans. En un mot, il gagne correctement sa vie, ce qui fait de lui l’unique membre de sa promotion universitaire a avoir réussi à construire sa clientèle, en conséquence de quoi il paye des impôts, il collabore à ce projet psychanalytique freudien qui est d’offrir aux pauvres la possibilité d’accéder aussi aux soins psychiques de qualité. Et cela sans demander un seul centime à « Maman Assistance publique » ou à « Papa l’Etat français ».
Nous ne faisons pas du lobbying associatif puisque nous ne demandons pas d’argent à l’Etat, nous n’avons pas une subvention de 800 000 par an comme quelques associations. Le RPH est porté par ses membres. Dans un système d’auto-gérance. Qu’attendons-nous pour élargir cette expérience ? Je pose la question mais je suis trop désabusé pour attendre une réponse. J’ai fait ma part : j’ai prouvé par a+b, que la psychanalyse est viable dans son rapport au social, qu’elle est une solution, pas un poids mort.
Mais ne soyons pas désabusés longtemps.
Je vous apporte la preuve en chiffres : notre équipe de 12 personnes a assuré en 2012, 7 280 consultations. Ces consultations ont coûté 0 euro au contribuable français, mais elles ont contribué à former à la clinique freudo-lacanienne des étudiants en psychologie et en psychiatrie. Ces consultations permettent l’apaisement au sein des familles, dans la vie professionnelle, dans les couples, dans la Cité. Ces consultations ont empêché des rentrées fracassantes dans les urgences psychiatriques, elles ont aussi diminué la prise de médicaments remboursés et le nombre de jours d’hospitalisation dans les services de psychiatrie et de médecine.
Ainsi, ce que je demande à la nouvelle Maire de Paris est de nous confier quelques pièces en rez-de-chaussée des bâtiments publics, normalement fermés le soir, pour que les étudiants puissent recevoir des patients et montrer, comme le RPH le fait depuis plus de 20 ans, que tout le monde est gagnant dans cette opération : les jeunes, la population, l’Etat.
Le RPH investit dans l’être. Il fait confiance à l’être. Il, le RPH, parie dans le désir.
Cela pouvait même être le slogan de notre Ville : « Pari dans le désir ».
Freud qui a sorti l’hystérique d’une destinée asilaire Ad vitam aeternam, fut pour cela appelé le porc juif par quelques-uns de ses contemporains. Lacan, qui a permis à beaucoup de psychotiques de construire une vie possible, Lacan qui recevait des gens à 40 centimes de francs la séance, 4 fois par semaine, mais dont quelques-uns rappellent uniquement, en le criant à tue-tête, qu’il demandait 500 francs la séance. Et ces quelques-uns de l’appeler escroc. Freud et Lacan nous indiquent la voie d’une autre lecture de la clinique pour les gens qui souffrent de leurs pensées, dans leurs corps et même dans leurs organismes.
Les cliniciens du RPH n’ont pas peur du désir. Pas parce qu’ils sont des sur-cliniciens ou mi-cliniciens. Simplement parce qu’ils ne sont que des cliniciens. Pour cette raison qu’ils n’ont pas peur du loup, de la bête immonde, et toutes ces bêtises créées de toute pièce pour faire peur aux enfants et aux adultes bêtes.
Je tiens à vous signaler que nous avons à Paris, les infrastructures nécessaires et un personnel d’excellence. Pour quelle raison ne pas investir dans ce que nous avons déjà ? Pour quelle raison ne pas investir dans nos jeunes, dans leur désir de réussir tout en affinant leur écoute professionnelle avec des gens en souffrance et qui ne demandent qu’à être entendus ?
Ceux qui ont peur crient au loup. Le poète dira :
« Toi qui consoles, toi qui n’existe pas et pour cela consoles ». Pas de peur, pas de consolation au RPH.
Donnons aux jeunes la possibilité de travailler avec leur désir, parce c’est cela qu’ils ont choisi de faire : écouter la détresse humaine et la rendre vivable, humaine.
Ils n’ont pas de diplômes ! Crie mon détracteur.
Pour l’instant, répondais-je. En outre : depuis quand un diplôme est-il la garantie de l’acte clinique ? L’acte clinique est un acte d’excellence quand nous l’avons répété exhaustivement jusqu’à opérer presque poétiquement. Ni plus ni moins, comme quand un enfant prend notre main, ni plus ni moins, comme quand Stromae danse, ni plus ni moins, comme quand le surfeur descend sa vague. Vous pouvez mettre un jeune dans l’essorage de la clinique, il tiendra bon s’il désire devenir clinicien. Maintenant secouez un arrogant, plein de certitude sur son savoir, et son bras vous restera dans les mains.
Je demande que la prochaine Maire de Paris puisse avoir comme programme la paix des parisiens. Cette paix ne sera jamais acquise – nous ne sommes pas dupes – mais nous pouvons avoir quelque chose d’approchable si nous créons des emplois pour les jeunes cliniciens en les faisant rencontrer un certain nombre de personnes de la population souffrante. Emplois pour les jeunes désireux de devenir des cliniciens et en leur confiant des patients dès leur premiers pas universitaires ; et paix pour la population en générale, qui pourra rencontrer ces jeunes et parler de ce qui la fait souffrir. L’écoute des candidats à devenir des cliniciens au sein de notre école, contribue à un apaisement social, crée des emplois, participe à l’économie nationale, sans demander un sou en retour à la Cité.
Pour quelle raison une telle démarche ne se propage-t-elle pas ? Parce que l’être hait la vie. Que ce soit la sienne ou celle de son semblable.
Cette touche lourde dans mon discours, au contraire de vouloir vous accabler, vise à reconnaître que gouverner est, avec éduquer et psychanalyser, des métiers impossibles.
L’impossible est du côté du désir. Il y a de l’impossible dans le désir. Mais c’est justement parce qu’ils ne le savaient pas sur le désir, qu’ils le firent.
Envisageons, comme ça, une nouvelle politique de santé mentale. Du côté du désir qui pousse malgré les difficultés.
Il était impossible de trouver un psychanalyste, ils le firent.
Il était impossible de terminer leurs études, ils le firent.
Il était impossible de pratiquer en tant qu’étudiant, ils le firent.
Il était impossible de recevoir un psychotique hors de l’hôpital, ils le firent,
Il était impossible de penser la prise en charge de la folie à Paris, elle le fera. C’est mon Pari.
Merci de m’avoir écouté avec attention !