Désir et poésie
Jean-Baptiste Legouis
Paris, le 04.II.2015
« Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence. »
René Char– Feuillets d’Hypnos
Les feuillets d’Hypnos ont été écrits en 1943-1944, au moment où le poète, auteur de ces mots, s’est engagé dans la Résistance et a pris le maquis. Ils sont composés de deux cent trente-sept pensées, allant de quelques mots à quelques lignes, où la poésie trouve place dans cette période d’obscurité et de combat.
Rencontrer son désir, sa vérité, n’arrive pas tous les jours. Parfois, les circonstances extérieures, l’environnement dans lequel nous nous mouvons, oblige cette rencontre. Nous ne pouvons pas savoir ce que nous aurions fait, en France, pendant la deuxième guerre mondiale, nous n’y étions pas. Cela n’empêche pas de prendre exemple sur l’engagement de ce grand poète.
Aujourd’hui, il existe un lieu privilégié pour rencontrer son désir et sa vérité, il s’agit du divan installé dans le cabinet des psychanalystes. Ce n’est pas le seul, Socrate et quelques autres, à travers l’histoire et les continents, nous ont montré que cette possibilité existait avant la psychanalyse. Mais, depuis la découverte freudienne, beaucoup ont pu témoigner des effets de leur cure, de cette rencontre avec leur désir inconscient, dans leur vie. Nous pensons, entre autres, aux livres de Marie Cardinale – Les mots pour le dire, et de Pierre Rey – Une saison chez Lacan.
Depuis que Jacques Lacan a dispensé son enseignement, nous savons qu’une des visées d’une psychanalyse est le dégonflement de la boursouflure égotique imaginaire, gonflement si bien mis en fable par Jean de La Fontaine (La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, et, Le rat et l’éléphant, entre autres). Cela passe par la parole, mais pas n’importe laquelle. Celle qui sort sur le divan lorsque le psychanalysant accepte de se plier à la règle fondamentale de la libre association. Nous pouvons reconnaître cette parole dans l’aphorisme de René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. ».
Cliniciens, nous avons l’honneur d’être témoins de tels moments où l’être se rencontre, se rend compte, dans sa parole. Et si nous pouvons occuper cette position c’est que nous avons, nous-mêmes, rencontré notre désir d’y être sur le divan. C’est toute la beauté du dispositif psychanalytique lorsque cette règle d’or ne se perd pas. Nous ne faisons, en cela, que suivre les indications données par Sigmund Freud dans son article de 1910 sur les perspectives d’avenir de la thérapeutique analytique : « Maintenant qu’un plus grand nombre de personnes pratiquent la psychanalyse et discutent entre elles de leurs expériences, nous remarquons que tout analyste ne peut mener à bien ses traitements qu’autant que ses propres complexes et ses résistances intérieures le lui permettent. C’est pourquoi nous exigeons qu’il commence par subir une analyse et qu’il ne cesse jamais, même lorsqu’il applique lui-même des traitements à autrui, d’approfondir celle-ci. »
Un siècle plus tard, nous discuterons de ce point, et bien d’autres encore, avec toutes celles et ceux, étudiants, psychologues, psychiatres, psychanalystes, médecins, qui seront avec nous le samedi 11 avril 2015 pour notre prochain colloque qui portera sur l’avenir de la psychanalyse.
Pour l’heure je redonne la parole à René Char et ses Feuillets d’Hypnos pour conclure, momentanément, cette brève.
« Archiduc [1] me confie qu’il a découvert sa vérité quand il a épousé la Résistance. Jusque-là il était un acteur de sa vie frondeur et soupçonneux. L’insincérité l’empoisonnait. Une tristesse stérile peu à peu le recouvrait. Aujourd’hui il aime, il se dépense, il est engagé, il va nu, il provoque. J’apprécie beaucoup cet alchimiste. »
[à suivre…]
[1]Pseudonyme de Camille Rayon, commandant en chef de la S.A.P.