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Désir et poésie (suite)

Jean-Baptiste Legouis
Paris le 29.III.2015

                          Les gens de ce monde, 
                                   À tes fleurs, n’attachent pas leurs regards :
                                   Châtaignier de l’auvent !

                                   BASHÔ : OKU NO HOSO-MICHI

Pour donner suite à ma dernière brève ainsi qu’aux brèves de mes collègues cliniciens du RPH (brèves 298 à 301), je partirai de l’article de Sigmund Freud de 1912 intitulé « La dynamique du transfert » (I). Depuis 1902, Freud n’est plus tout à fait seul, des médecins, éducateurs, intellectuels, dont un certain nombre sont des jeunes gens d’une trentaine d’années, se sont regroupés autour de lui pour apprendre la théorie et la technique psychanalytique. Ils constitueront en 1908 La Société Psychanalytique de Vienne. Deux années plus tard est fondée l’Association Psychanalytique Internationale.

Dans cet article de 1912, Freud souligne la dimension ambivalente du transfert et la façon dont il peut devenir une forme de résistance à l’intérieur même de la cure psychanalytique. Le transfert se trouve être, en même temps, le support essentiel du dispositif psychanalytique et un point de résistance, en particulier lorsque la valence négative, l’agressivité et la haine inconsciente vis-à-vis du psychanalyste prennent le dessus.

Il ne fait pas de doute que Freud a perçu rapidement les dangers d’altération et de dévoiement de la psychanalyse dans la façon dont ses jeunes collègues s’emparaient de la théorie et de la technique psychanalytique. Les titres et le contenu très concret des articles publiés entre 1904 et 1919 (II) nous indiquent la visée de Freud, mettre un peu d’ordre et donner une direction claire aux objectifs et au maniement de la cure psychanalytique, transfert et résistance(s) y sont les maîtres-mots.

Nous pouvons nous demander si cette valence négative vis-à-vis du psychanalyste dont parle Freud, bien avant d’avoir élaboré le deuxième dualisme pulsionnel, la seconde topique et la résistance du Surmoi, ne vise pas plus largement la psychanalyse. Et cela de la part même de ceux qui sont censés la servir.

Ce n’est pas pour rien que, le 18 novembre 1953, Lacan ouvre son séminaire, portant sur les écrits techniques de Freud (dont fait partie l’article sur le transfert évoqué plus haut.), par une référence à la technique zen (mot dont le sens a été dévoyé dans nos sociétés occidentales, de même que le sens du mot gourou, soit dit en passant). D’entrée de jeu, il indique par-là sa tentative de faire un pas de côté dans la façon dont il souhaite transmettre de son rapport à la psychanalyse aux jeunes cliniciens, peu nombreux, qui suivent son séminaire.

Mais, dans le même temps, choisir de s’appuyer sur ces articles de Freud regroupés dans un volume nommé « La technique psychanalytique », publié en 1953 par les Presses Universitaires de France, montre également la façon dont il inscrit son enseignement dans une filiation directe avec la théorisation de l’inventeur de la psychanalyse. Notons au passage que, si Lacan est à la page, puisqu’il s’appuie sur un recueil d’articles fraichement traduits et publiés, quarante ans se sont déroulés entre la publication des articles en allemand et leur traduction en français.

La question qui a parcouru l’ensemble de la jeune histoire de la psychanalyse et de ses institutions a toujours été celle de la formation des psychanalystes. Est-il possible d’instituer une formation rigoureuse et solide qui s’appuie sur le désir du psychanalyste, le nourrisse et lui permette de forger son propre style ?

Nous savons les écueils qu’ont rencontrés l’Association Psychanalytique Internationale et la Société Psychanalytique de Paris sur cette question. Lacan a proposé le dispositif de La Passe pour sortir de l’ornière. Nous savons qu’il a lui-même remis en cause ce dispositif à la fin de sa vie et que les écoles lacaniennes actuelles ne sont pas d’accord entre elles sur l’utilisation et l’évolution de La Passe.

Depuis plus de quinze ans le RPH propose un dispositif nouveau, une voie possible pour éviter les impasses rencontrées par le passé par les institutions psychanalytiques, tout en s’inscrivant dans cette lignée freudo-lacanienne. Comment s’assurer de la permanence et de la pertinence du désir du psychanalyste dans un dispositif théorico-clinique solide ? C’est à cette question que nous nous confrontons au quotidien, dans notre propre psychanalyse pour commencer (car les cliniciens du RPH ne quittent pas la position de psychanalysant tant qu’ils reçoivent des patients ou des psychanalysants), dans notre clinique quotidienne, dans nos réunions cliniques, nos séminaires et nos groupes d’étude.

Nous serons heureux de témoigner devant vous de notre expérience et de nos propositions, et d’échanger et débattre avec vous, lors de notre prochain colloque le 11 avril 2015 de 09h00 à 16h30 à l’Espace Vinci (25 rue des jeûneurs, Paris 2e), dont le titre : « Quel avenir pour la psychanalyse ? » et le programme ambitieux, sont prometteurs.

À l’instar de ma précédente brève, je redonne la parole au poète René Char pour conclure, car il sait dire en peu de mots de cet essentiel qui nous manque tant par les temps qui courent. Le maquis dans lequel il était en 1943-1944 l’aura sans doute inspiré.

         Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer. 
           René Char – Feuillets d’Hypnos


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(I) Freud. S. (1912) La dynamique du transfert, in La technique psychanalytique, PUF, Paris, 13e édition, 1999, pp. 50-60.
(II) Voici les titres des articles regroupés dans ce recueil : La méthode psychanalytique de Freud (1904) ; De la psychothérapie (1905) ; Perspectives d’avenir de la thérapeutique analytique (1910) ; A propos de la psychanalyse dite « sauvage » (1910) ; Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse (1912) ; La dynamique du transfert (1912) ; Conseils aux médecins sur le traitement analytique (1912) ; De la fausse reconnaissance (déjà raconté) au cours du traitement psychanalytique (1913) ; Le début du traitement (1913) ; Remémoration, répétition et perlaboration (1914) ; Observations sur l’amour de transfert (1915) ; Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique (1919).