Matthieu Julian
Saint-Germain-en-Laye, le 27 Juillet 2015
« (…) Les médecins viennent de m’annoncer que j’ai un cancer du rein. C’est la suite logique de ces dernières années pendant lesquelles j’ai arrêté de vivre progressivement. Je ne pleure pas parce que j’ai un cancer, mais parce que je me suis rendu compte hier, que depuis mon divorce, je me suis enfermé dans ma solitude, avec mes enfants que je n’arrive pas à contrôler. Je les dispute, je me mets même parfois dans des colères problématiques et injustifiées, je casse tout à l’appartement pour me faire entendre, mais ils restent incontrôlables et me trahissent (…). Je n’ai pas refait ma vie et j’ai passé les 10 dernières années fixé sur mes deux enfants à leur hurler dessus, alors je sais au fond de moi que c’est toutes ces années de colères invivables qui expliquent mon cancer… ».
Un cas clinique n’est pas forcément partageable sous la forme d’une vignette, surtout si réduite, mais ces paroles d’un patient que je reçois actuellement à la CPP, en réponse à la question « qu’est-ce qui vous fait souffrir ? », sont d’une richesse singulière. En tant que jeune clinicien et à l’écoute des paroles de ce patient, j’apprends depuis quelques temps combien la question du symptôme en psychanalyse est difficile, celui-ci étant parfois traversé par des enjeux multiples et résultat d’une origine tout aussi ramifiée. Il m’apprend aussi qu’il est possible de se perdre rapidement dans la clinique si on n’écoute pas l’être qui voyage avec ses symptômes, à la fois corporels, organiques et psychiques. Qu’indiquent-ils sur la position de ce patient dans les eaux de son existence ?
Les thérapies cognitives et comportementales, tout comme les thérapies brèves par exemple, véhiculent une conception réduite du symptôme, présentant celui-ci comme une défaillance, une anomalie ou encore comme un schéma de fonctionnement à supprimer, à modifier ou à transformer au plus vite. À l’heure des thérapies économiques et du DSM-5, et comme pouvait déjà le spécifier Fernando de Amorim à propos de ce manuel de diagnostics (Pourquoi nous devrions nous méfier du DSM-5 ?, Huffington Post, 2013), l’usage abusif ou inadapté des mots « symptômes » et « maladies » pourrait entrainer une disqualification de la souffrance qui, quant à elle, n’attend pas et doit nous forcer à nous engager avec les malades et les patients dans leur traitement et pour leur guérison.
Cette illustration clinique pourrait en être un exemple, les souffrances de l’être et ses expressions ne sont pas aussi simplistes. Considérant que la priorité en psychothérapie ou en psychanalyse n’est pas de supprimer la symptomatologie, parce qu’elle est là pour répondre à un besoin ou pour apaiser une angoisse par exemple, il me semble essentiel de réfléchir à la fonction de celui-ci et à ses divers destins, formes et genèses. Ces symptomatologies, qui peuvent témoigner des solutions trouvées par l’inconscient pour exprimer une souffrance, un conflit ou encore un compromis, seraient à entendre et à travailler finement en prenant en compte leurs différences et leurs rôles.
C’est d’une interrogation de cet ordre qu’est peut-être née la thématique du prochain colloque du RPH prévu le 21 Novembre 2015 et intitulé : « Symptômes organiques, corporels, psychiques en psychanalyse ». Les cliniciens proposeront des interventions cliniques qui auront pour objectifs, j’en suis certain, d’abord d’y voir plus clair et ensuite d’entretenir nos réflexions à ce propos.