Dr Ouarda Ferlicot
À Nanterre, le 03 avril 2024
Le documentaire de Christine Angot est un tissage et un témoignage qui met en évidence le retournement en son contraire où celui qui est victime devient l’agresseur. C’est un témoignage bouleversant et riche d’enseignements cliniques sur les identifications, la répétition traumatique et le mécanisme de la violence.
Ici, Christine Angot choisit de mettre en avant les autres, elle leur donne la parole, elle souhaite entendre ce que ces autres ont à dire et à ce qu’ils ont à nous apprendre. Ces autres qui étaient là, ces autres qui ont fait silence, ces autres qui savaient mais qui non rien fait, rien dit, et pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse une personne à se taire devant l’inceste ? Qu’est-ce qui pétrifie autant dans l’inceste qui vient empêcher de dire ?
Devant la porte de chez la femme de son père, nous pouvons saisir l’importance de ce moment. Alors, bien sûr, Christine Angot n’est pas conviée, elle s’invite et nous invite par conséquent à entrer. Cette entrée s’effectue par un forçage. Comment peut-il en être autrement ? Avant cela, Christine Angot, appelle la femme de son père, et plusieurs fois. Ces appels sont restés sans réponse. À nouveau c’est le silence qui se fait entendre et même le déni. Alors, elle prend la décision de se rendre chez elle.
Ainsi, nous saisissons que dans cet instant, devant la porte qui s’ouvre, il ne peut plus être question pour Christine Angot de reculer. Il y a une urgence à dire. Elle met d’une certaine façon l’autre en demeure de répondre à son appel. C’est un moment poignant. Et elle invite, aussi, ceux qui l’accompagnent, ceux qui regardent, à entrer, car, dit-elle, elle ne veut pas être seule. Elle a besoin de ces autres, présents, derrière la caméra mais aussi derrière l’écran pour soutenir une parole. C’est aussi cela qu’elle nous offre : une façon de dire « entrer avec moi, soyez mes témoins ».
Et son dire l’emporte sur la violence que peut ressentir la femme de son pèredevant ce forçage. Mais de quelle violence parle-t-on ? Ce qui est en soi un premier retournement de la violence contre la victime. Ce n’est plus Christine Angot qui a été victime de la violence de l’inceste et de ces effets ravageurs, mais c’est Christine Angot qui devient celle qui agresse, celle qui est violente aux yeux de la femme de son père mais peut-être aussi auprès de ceux qui regarde la scène en forçant cette porte par détresse, là où la tentative de mettre en place une parole n’a pu avoir lieu.
Le silence n’est-il pas une violence sourde ? Une violence qui ne fait pas de bruit ? Et qui peut faire taire ?
La femme de son père fait part de son impossible à penser que cet homme qui était son mari abuse de sa propre fille, mais également son impossibilité à en parler avec Christine Angot. En effet, nous apprenons que la femme de son père est restée silencieuse après la révélation de l’inceste de son époux sur sa fille. Elle justifiera son silence, entres autres, par la violence que Christine Angot lui renvoie.
Mais le plus étonnant, c’est que dans cette séquence, il se produit un nouveau retournement de la violence sous forme de reproche, auquel Christine Angot fait face courageusement, lorsque la femme de son père lui renvoie quelque chose comme tu venais chez moi et tu n’as rien dit, mais comment tu as pu venir chez moi et ne rien me dire.
Lorsque cette séquence éprouvante se termine, nous apprenons ensuite que la femme de son père dépose plainte. C’est le troisième moment du retournement de la violence contre la victime qui devient une nouvelle fois celle qui agresse.
Le plaidoyer de l’avocat est rassurant, convaincant en ce qu’il resitue l’histoire dans l’Histoire, celle qui concerne tout un chacun. L’inceste de Christine Angot est non pas une affaire privée, mais une affaire universelle, qui nous concerne tous et tout un chacun et qu’il ne faut plus taire mais faire entendre. Tel sera le moteur de son plaidoyer.
Nous verrons également deux entretiens avec la mère de Christine Angot. Le premier se solde par un silence où sa mère n’arrive pas à dire. Puis, lors du deuxième entretien, sa mère lit ce qu’elle avait écrit. C’est la seule qui s’exprime sans que nous voyions Christine Angot dans la pièce. Elle dit ne pas avoir entendu, ne pas avoir compris ce que signifiait le fait que sa fille lui dise qu’elle n’était pas à l’aise avec son père. Elle n’a pas cherché à savoir davantage sur ce que sa fille lui confiait ; l’ignorance crasse contre laquelle Christine Angot se bat.
Puis vient un autre moment important. L’entretien avec son ex-mari. Il avait entendu les grincements du lit alors que le père de Christine Angot était venu les voir. Il n’avait rien fait alors qu’il savait ce qu’elle avait vécu plus jeune. Pour quelle raison ?
La révélation est déchirante. Il dit : « c’est moi à ta place à ce moment-là ». En effet, il revit le traumatisme d’une agression sexuelle, que lui-même a vécu alors adolescent. C’est un moment terrible et à la fois bouleversant, car nous pouvons saisir les effets de la répétition traumatique et ses conséquences.
Et puis le documentaire se termine, d’une manière émouvante avec la parole de sa fille qui exprime ce qu’elle ressent devant l’inqualifiable.
Ainsi, avec ce documentaire, que je recommande, la parole est donnée à quatre points de vue sur l’inceste. L’identification à l’agresseur, l’identification à la victime, la société, et l’amour entre une mère et sa fille.
C’est un excellent documentaire. Il faut aller le voir pour s’approcher au plus près de ce qu’est l’inceste et de ses effets ravageurs des décennies après.