Du remboursement psychothérapeutique à la fracture sociale
Fernando de Amorim
Paris, le 19 janvier 2021
La création de la consultation publique de psychanalyse (CPP) du réseau pour la psychanalyse à l’hôpital (RPH) a, comme objectif, de donner un coup de main à nos compatriotes en difficulté.
Une telle démarche, loin d’être un objectif charitable, est une action clinique initiée avec Freud dans les années 1920 et portée par les premiers analystes, à savoir, Max Eitingon, Karl Abraham et Ernst Simmel.
À la CPP, le patient paye selon ses moyens, et même ainsi, quelques-uns veulent toujours que l’autre les porte. Depuis quelques temps, une sollicitation de remboursement et de facture se met en place pour que le patient soit remboursé par l’autre, en l’occurrence sa Mutuelle.
Que veut le patient ?
L’état détaillé de la nature, de la qualité et du prix des marchandises vendues ou des services fournis ? Ou uniquement le montant ?
Cautionner une telle demande serait vouloir rembourser les larmes, l’indignation, la joie. Est-ce possible ? Pour le Moi, aliéné, par structure, oui cela est possible.
Pas au RPH. Au RPH, le patient se porte, supporte, se comporte en sujet et non comme aliéné, handicapé ou malade. Une de mes filles, encore enfant, m’avait interprété avec justesse : « Papa n’aime pas quand on tombe malade ! ».
Et pourtant, de ma fenêtre, notre société laisse la porte ouverte à l’abus : « Je ne suis pas d’accord avec le patron ? Je demande un arrêt-maladie » ; « Je paye mes séances à bas prix ? – parlons-en termes marchands – à la CPP ? Je veux être remboursé ! ».
Le Moi ne veut rien perdre. La demande de remboursement est une manière de payer la consultation d’une main et de recevoir le remboursement de l’autre. En somme : ne rien payer, ne rien perdre. Et pourtant, le rien, comme le manque, sont au cœur de la sortie d’une cure.
Le cœur de la clinique du RPH, indépendamment du fait de savoir si le clinicien assure une psychothérapie ou une psychanalyse, est que le patient puisse supporter, dans un premier temps, de perdre et, dans un deuxième, qu’il puisse danser avec le manque. C’est ici que commence la construction d’une existence humaine.
Cette logique de remboursement était déjà signalée par moi dans les années 1990 lorsque j’indiquai que l’unique gagnant dans le remboursement était le psychiatre qui assurait des psychothérapies et des psychanalyses tout en faisant des feuilles de remboursement.
Qu’un médecin fasse des feuilles de remboursement c’est une chose, qu’un psychiatre, qui se dit psychanalyste, assure des psychothérapies et la cure prend une autre tournure, celle du renforcement de l’aliénation du Moi.
L’action de payer son traitement est une manière de se faire un cadeau, d’investir sur soi. Aujourd’hui, les entreprises offrent 10 séances de psychothérapie, et même le gouvernement s’y met. En fin de comptes, une société d’assistés se met en place. Dans une telle logique, c’est la politique de l’assistanat généralisé qui régnera et, au contraire des adultes, ce sont des majeurs qui nous soigneront, nous éduqueront, nous gouverneront.
Une telle démarche de remboursement, nourrit chez les êtres le sentiment que tout est dû, qu’il ne faut pas mettre du sien pour devenir adulte. Pas étonnant de voir des jeunes égarés quand ils sont entourés par une armée de majeurs qui veulent jouir et quand cette souffrance fait souffrir, ils veulent le traitement contre l’excès de jouissance, tout en demandant, voire exigeant, le remboursement de l’effort pour le soin de soi.
Les consultations privées sont très chères chez les analystes. En créant la CPP, j’ai voulu rendre hommage à la préoccupation sociale de Freud et des pionniers de la psychanalyse, et ensuite, rendre ce que les français m’ont offert, à savoir, des études universitaires sans être endetté jusqu’au cou à la sortie de la faculté, comme c’est le cas chez les nord-américains.
Mon regretté et estimé ami, Philippe Saffar, chirurgien de la main, me disait, quand il recevait des patients sans le sou : « Les français ont payé ma médecine ! ».
Cette tradition de donner un coup de main au frère en humanité fait partie de la tradition médicale, d’Hippocrate à Freud, de Lacan aux nouvelles générations des cliniciens français du RPH.
J’avais donné la consigne aux cliniciens de ne pas donner de facture car le patient doit être responsable de ce qu’il dit en séance, il doit être responsable de la vie qu’il est en train de construire.
Lui donner une facture c’est fracturer le désir qui l’anime de devenir sujet.
Un clinicien, dans la position de psychothérapeute ou de psychanalyste, nourrit le désir, et non l’aliénation. Si le patient n’est pas d’accord avec cette proposition, il trouvera, je ne doute pas, un psy pour qu’il se fasse rembourser.