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Endométriose et psychanalyse

Endométriose et psychanalyse

Sara Dangréaux,

Paris,

Le 10 décembre 2021.

Il y a quelques années, le diagnostic d’endométriose tombe pour une psychanalysante. Le corps est un lieu d’expression de ses maux comme elle le dit, ce depuis l’adolescence. La cure se poursuit et le 6 septembre 2021 elle indique, en séance, avoir fait une échographie de contrôle où plus aucune trace d’endométriose n’est visible. Le médecin confirmera, la semaine suivante, qu’il n’y a plus de signe d’endométriose et que cela arrive après une prise de pilule contraceptive en continu mais que « ça peut revenir » mais ceci « n’est pas obligé ! » comme l’enseigne Fernando de Amorim, à partir de sa lecture de Lacan.

Dimanche dernier, Jean-Baptiste Legouis transmet l’information concernant la diffusion d’une émission de radio sur France Inter : « Endométriose, la maladie féminine qui sort enfin de l’ombre »[1]. Dans ce reportage de Manon Vautier-Chollet, nous écoutons le Dr Éric Petit présenté en sa qualité de radiologue spécialisé en imagerie de la femme et surspécialisé en endométriose. Un élément nous intéresse, en écho de la situation concernant la psychanalysante citée plus haut : une patiente parlant de son traitement de pilule en continu dit « L’arrêt du traitement ça va avoir une influence ». Le Dr Petit répond : « Oui c’est ça, bon après pas toujours mais faudra quand même qu’on contrôle ». Pas toujours, une influence, oui car« ce n’est pas obligé ! »

Nous apprenons, lors de l’émission, que l’endométriose est « la deuxième cause d’une prise d’un arrêt maladie chez une femme ». Le Dr Petit précisera d’autres chiffres concernant l’endométriose : elle « coûte dix milliards d’euros par an » et « 33 jours par an et par femme d’arrêt de travail », je suppose qu’il s’agit d’une moyenne, puisque ce n’est pas toutes les femmes. Il ajoute que jusque-là l’endométriose n’était pas étudiée en médecine et ce qui était renvoyé aux femmes était : « c’est rien, c’est dans votre tête », laissant les « femmes isolées dans leurs symptômes ».

Le Dr Petit témoigne de l’avancée d’enseigner l’endométriose aux médecins mais rien sur l’avancée que représenterait le fait de travailler en lien avec les psychanalystes, dont il n’est pas fait mention dans ce reportage. Depuis plusieurs années le RPH-École de psychanalyse et en premier lieu son président le Dr Fernando de Amorim, mettent en avant l’importance, pour les malades, d’un partenariat entre médecin et psychanalyste. Il propose une « Cartographie de la clinique avec le malade, le patient et le psychanalysant, à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes, en institution et en ville »[2], dans laquelle la maladie est à entendre comme un « Appel ». Le témoignage de femmes ayant de l’endométriose indique que leur souffrance n’est pas entendue. Le psychanalyste est celui qui est habilité à entendre la souffrance, celle avec laquelle le corps médical se trouve parfois dépassé et à ce titre peut, dès lors, être un partenaire de travail précieux. La douleur est du registre médical et le Dr Petit le formule ainsi « les règles c’est naturel mais pas la douleur ». La souffrance, elle, entre dans le champ d’expertise du psychanalyste et, alors, la clinique du partenariat est tout à fait indiquée.

Ce passage du « c’est dans votre tête » au fait de laisser « les femmes isolées dans leurs symptômes » témoigne de ce que les médecins, démunis face à certaines manifestations symptomatiques, gagneraient à travailler avec les psychanalystes.

Enseigner l’endométriose ou permettre le diagnostic d’endométriose est une avancée indiquée par ce reportage mais cela ne règle pas la question de l’économie libidinale qui s’écoule dans cette voie de la maladie organique. Aussi, pour cette question de l’endométriose, le psychanalyste, absent de cette diffusion radiophonique, est pourtant déjà au travail de cette question de la souffrance.

Fernando de Amorim, dans la lignée de Freud et de Lacan, propose une lecture intrapsychique éclairant la maladie : « La maladie, psychique, corporelle ou organique, est une expression d’un excès de libido concentré sur un locus psychique »[3].L’aliénation du Moi, écrasé par ses organisations intramoïques, maintient une non considération de ses symptômes donc sa souffrance. La surdité moïque n’entrave pas la circulation libidinale qui de n’être entendue par la voie du symptôme psychique bascule dans le champ corporel par la bucca, comme le théorise Amorim, puis par l’ouverture de ’32 en maladie organique. La visée clinique indiquée par Amorim est de permettre à l’être de se responsabiliser non par rapport à sa maladie mais « à être pour quelque chose dans ce qui se passe dans son appareil psychique »[4]. Cette responsabilité, et non culpabilité, est un levier qui permettra à certain de s’engager dans la voie de « savoir sur le désir de l’Autre (A) qui anime l’être »[5]. « Si le Moi pense qu’il est victime, qu’il n’y est pour rien dans ce qui lui arrive, qu’il ne peut rien faire pour s’en sortir, c’est que ce discours voile la haine mortifère qui l’habite »[6]. La visée d’une psychanalyse étant la castration symbolique afin de construire, comme dit Amorim : un rapport à partir du grand Autre barré et non plus dans une relation au grand Autre et à la résistance du surmoi.

Dans le reportage nous entendons des femmes ayant eu un diagnostic d’endométriose. La première indique, avant le diagnostic, des règles douloureuses « on s’habitue mais c’est pas normal ». Depuis le diagnostic elle fait notamment un régime alimentaire anti-inflammatoire qui fonctionne sur les douleurs. Alors elle indique : « On vit avec ». « On y fait attention tout le temps ». Le témoignage d’une seconde femme permet d’aborder la question de la maternité, mise sur le devant de la scène lors du diagnostic d’endométriose, à un âge parfois où la question du désir d’enfant, comme pour cette femme à l’époque, ne se pose pas. Nous restons, dans le reportage, sur le versant médical avec les questions d’aide à la procréation. Nous apprenons que depuis son diagnostic, cette jeune mère donc, à la voix très joyeuse « consacre une partie de [s]a vie à la lutte contre l’endométriose et à l’information des femmes ». Ces deux femmes, après le diagnostic d’endométriose, semblent investir leur énergie dans de nouvelles voies et la douleur n’est plus sur le devant de la scène semble-t-il mais la maladie – l’endométriose – occupe tout de même un temps important pour les deux, avec des formes différentes.

La psychanalysante, citée plus haut, dit s’être approchée de groupe de femmes ayant une endométriose et s’en être éloignée : « Elles se définissent comme femmes souffrant d’endométriose mais j’ai pas du tout envie de me définir par le fait d’être malade ». C’est ce que la cartographie proposée par Amorim indique en proposant de ne pas coincer l’être en position de malade. La visée est de permettre au malade de devenir patient, temps de la reconnaissance de sa souffrance et de la fantasmatisation de l’organisme (formule d’Amorim pour indiquer l’interprétation de la maladie organique en position de patient), vers la position de psychanalysant, temps mue par un désir de savoir sur sa souffrance (en position de psychanalysant l’interprétation de la maladie organique a statut de corporéification de l’organisme), à la position de sujet, temps où la souffrance n’est plus.

Voici une mise en lumière de ce désir de savoir, grâce à cette psychanalysante, une femme en psychanalyse donc, et ses associations libres : « Quand la douleur revient c’est ailleurs que du côté organique, ce qui revient c’est je suis souffrante et ça, ça échappe au médical. C’est à Moi que ça appartient (…) À quoi ça me sert aussi ces douleurs au ventre ? Ça devient l’excuse à pouvoir ne plus être làJe veux pas que l’endométriose me donne une excuse à la souffrance. Et comme les médecins disent [cette maladie] « c’est pas clair« « on sait pas encore« , c’est plus propice pour moi à manipuler malgré moi ».

Cette psychanalysante témoigne de ce que les femmes souffrant au plus intime de leur vie de femme, puisque l’endométriose concerne les cellules qui tapissent les parois utérines et vont migrer ailleurs par le reflux des règles, gagneraient à ce que le champ médical et la psychanalyse travaillent de concert : « Je suis souffrante (…) échappe au médical. C’est à Moi que ça appartient ».

La parole de la Présidente de l’association Endofrance, Yasmine Candau, clos le reportage de Madame Vautier-Chollet. Elle dit notamment : « On ne connait pas les causes de l’endométriose. On ne sait pas dire exactement d’où vient cette maladie, pourquoi 10% de la population avec utérus en est atteinte. Et on a besoin de comprendre cela pour pouvoir diagnostiquer plus précocement et puis aussi peut-être mettre en place des traitements efficaces qui n’ont pas autant d’effets secondaires ».

Fernando de Amorim propose une « théorisation de la logique du déclenchement des symptômes »[7]. Il indique que pour qu’il y ait déclenchement nous retrouvons un Moi aliéné à ses organisations intramoïques, la pression du Réel et la défaillance de l’Autre barré, qui castre le Moi en tant qu’instance symbolique. « Pour le déclenchement des symptômes psychiques, corporels et organiques, il est nécessaire que le Moi trouve présence, conjonction et alignementavec sa quête de l’objet perdu »[8]. C’est l’alignement, tel que le théorise Amorim, de l’évènement Réel, qui échappe au Moi, et la perte de l’objet a, l’objet perdu de son enfance ; soit la rencontre pour le Moi de deux représentants du Réel qui s’aligne donc de l’impossible qui produit le déclenchement de la douleur. La visée d’une psychanalyse est la castration symbolique afin que le Moi de l’être soit soutenu par le filet du symbolique en lien avec un grand Autre barré et non plus dans le viseur d’un grand Autre non barré et la férocité des organisations intramoïques. Pour se faire le Moi aura à supporter de ne plus se croire bœuf lorsqu’il n’est que grenouille, comme doit le rappeler régulièrement Amorim en référence à la fable de La Fontaine.

Il existe donc une possibilité de compter avec la psychanalyse pour les symptômes psychique, corporel et organique. Si nous reprenons le terme « d’effets secondaires », évoqué par la Présidente de l’association Endofrance, dans le cas d’une psychanalyse, c’est de permettre, pour celles qui le désirent, d’être engagées dans la construction de leur existence ; « ex-sister, selon la formule de Lacan, formule [qu’Amorim] interprète comme vivre castré »[9]. Pour conclure, je laisse la parole à cette psychanalysante, qui n’a plus de signe d’endométriose aujourd’hui et qui propose l’interprétation suivante de ses douleurs, fruit de son travail d’associations libres : « Parfois la douleur est un moyen pour moi de me protéger, de m’extraire, notamment de ma famille ».

[1]VAUTIER-CHOLLET, Manon. Interception, Endométriose, la maladie féminine qui sort enfin de l’ombre. France Inter, 5 décembre 2021, 47 min.

[2] Fernando de Amorim. Proposition d’une Cartographie de la clinique avec le malade, le patient et le psychanalysant, à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes, en institution et en ville, 2011.  https://www.rphweb.fr/details-proposition+d+une+cartographie+de+la+clinique+avec+le+malade+le+patient+et+le+psychanalysant+a+l+usage+des+medecins+psychistes+et+psychanalystes+en+institution+et+en+ville-140.html

[3] Fernando de Amorim. La clinique du psychanalyste aujourd’hui, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-la+clinique+du+psychanalyste+aujourd+hui+paris+9eme-542.html

[4]Ibid.

[5]Ibid.

[6]Ibid.

[7] Fernando de Amorim. Psychosomatique et analogie : théorisation de la logique du déclenchement des symptômes, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-psychosomatique+et+analogie+theorisation+de+la+logique+du+declenchement+des+symptomes-547.html

[8]Ibid.

[9]Fernando de Amorim. La clinique du psychanalyste aujourd’hui, 2020, op. cit.