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Les épouvantails et les fermiers

Édith de Amorim
Paris, le 2 juillet 2024

L’été balbutie, mais les auspices et les augures s’accordent pour l’abandonner à ses bredouillis, alors qu’on sait pourtant bien que : « Non si abbandonano i figli così ! »1 (on n’abandonne pas ses enfants comme ça !).

En 2024, cependant, on abandonne à tour de bras : des veuves et des orphelins à pleines brassées ; et les oiseaux s’en donnent à cœur joie : pas un cerisier, un framboisier, un groseiller n’en réchappe et jusqu’aux palétuviers, c’est dire juste pour la rime.

Les épouvantails ont fait leur temps et même si les moineaux se gaussent bien vite de leurs étiques effets, les fermiers croyants en bonne étoile, dieu miséricordieux ou signes zodiacaux sont tout ahuris de découvrir les dégâts.

Tous ces épouvantails miteux et tous ces fermiers galeux partent à l’assaut du Pouvoir en déclamant et clamant leurs obsécrations et menaçant du spectre des gémonies les crétins qui ne voteraient pas pour les imprécants ou n’auraient pas peur. Notre imaginaire frileux, timoré, mais par-dessus tout capon facilite la vie des imprécateurs et imprécatrices féroces.

Seulement, dans cet avorton d’été, ils sont quelques-uns, des fermiers moins lépreux que les autres et ne ménageant pas leurs efforts pour faire fuir les oiseux oiseaux qui menacent les beaux fruits de la raison gardée, du cœur à l’ouvrage, de l’amour bien bâti, des moyens du bord et de ces à-l’impossible-nul-n’est-tenu. Les psychanalystes ont pour tout ça une formule : la castration symbolique. Or, pour ce faire, foin des épouvantails à moineaux ! Il faut de la constance face aux circonstances, toujours les mêmes dans les siècles des siècles : l’horreur du choix, l’horreur de la perte, l’horreur du manque.

Ces fermiers-là sont les psychanalystes qui livrent la bataille contre les culs entre deux chaises, entre deux rives, entre deux sexes, entre chien et loup, entre lard et cochon, entre figue et raisin, entre poire et fromage … Être chèvre, c’est bien. Être choux, c’est bien. Mais être entre les deux, c’est n’être ni de près ni de loin ; c’est être nulle part. Et depuis ce nulle part, il n’y a d’élan pour bien peu de choses, à peine pour survivre. Alors, pour ce qui est d’exister, de construire, n’y pensons pas.

En cet été qui tousse, prenez votre élan pour vous arracher à la tourbe familière et souvent familiale, et venez rencontrer un psychanalyste ! Déjà, vous aurez moins peur.

1 I Gufi. « Il neonato ». Il cabaret dei Gufi / Non spingete, scappiamo anche noi. EMI Music Italy, 2004.