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La fausse cible des tomates

Fernando de Amorim
Paris, le 30 août 2024

Dans le dernier numéro du magazine L’Express, intitulé Faut-il en finir avec la psychanalyse ? (n° 3814-3815 du 8 au 21 août 2024), les journalistes rappellent la maladresse de Bruno Bettelheim en écrivant que « […] des psychanalystes ont accusé les mères d’être responsables de l’autisme de leur enfant, alors qu’on sait désormais que ce trouble du neurodéveloppement (TND) a des causes multifactorielles, en partie génétiques. »[1]. Pour éviter de culpabiliser le père et la mère, je propose de parler du Moi et des organisations intramoïques de la mère et du père. Cependant, déculpabiliser n’est pas déresponsabiliser. Ce qui se passe dans la vie d’un mineur est de la responsabilité de ses parents. La stratégie visant à mettre ce qui se passe chez l’enfant sur le dos de la génétique est un arrangement moïque qui ne rend service ni à l’enfant ni aux parents. Les « faute à la génétique », « faute à Dieu », « faute à pas de chance » sont autant de stratégies moïques qui vont comme un gant au discours sociétal.

Le trouble du neurodéveloppement est une formulation de laboratoire pour ne pas reconnaître l’inconscient structuré comme un langage de Lacan et pour déresponsabiliser les êtres – patients et parents – ainsi que les praticiens. Ces derniers, en se déresponsabilisant d’être à même de supporter le transfert, ce qu’ils ne peuvent pas parce qu’ils n’y sont pas préparés – puisque ce qui peut les y préparer est la psychanalyse personnelle –, vont créer des manuels, le DSM, des nosographies, les troubles, des formations de dressage du Moi à la va comme j’te pousse, pour justifier l’incapacité à conduire une cure d’un être humain avec toutes les difficultés que cela comporte.

La science se fait en tâtant le terrain sur lequel s’engage le scientifique. Il ne s’agit pas ici de recherche fondamentale mais de recherche clinique. Il est impossible de comparer les résultats des physiciens ou des biologistes à ceux des psychanalystes.

En ce sens, « faut-il en finir avec l’ignorance épistémologique des journalistes, passion française ? ». Françoise Giroud – peut-être les journalistes de L’Express en ont-ils déjà entendu parler – écrivait que « Le journalisme est par essence fugitif, superficiel et comestible »[2].

Bien évidemment, je ne vise pas ici tous les journalistes français, comme je ne vise pas tous les journalistes de L’Express, magazine fondé par Françoise Giroud, comme l’avait rappelé Elisabeth Roudinesco dans une réponse vive, touchante, érudite. Faire vaciller les semblants est la fonction du psychanalyste et c’est dans une psychanalyse que le Moi « voit tout à coup qu’il avait tout faux, qu’il marchait jusque-là avec un pied gauche dans une chaussure droite. »[3]. C’est grâce à Jacques Lacan qu’elle a pris conscience de marcher de cette manière. Un tel témoignage n’est pas la preuve de la scientificité de la psychanalyse, je le concède et bien volontiers, mais cela donne une idée aux ignorants et aux haineux du désir en psychanalyse, que la psychanalyse a du poids et qu’un psychanalyste, c’est du sérieux. Concernant ce dernier : c’est sa visée.

Que le délégué interministériel à la stratégie nationale pour les « troubles du neurodéveloppement (autisme, TDAH, troubles dys, TDI…) »[4] voit passer de nombreux courriers des « mamans à qui on a expliqué par exemple que si leur enfant était autiste, c’est qu’elles avaient vécu un viol incestueux dont elles n’avaient pas conscience »[5], cela ne discrédite pas la psychanalyse mais bien les personnes qui s’approprient une science sans autorisation clinique, théorique, éthique pour parler et opérer en son nom.

Si le délégué met « au défi les psychanalystes de nous prouver qu’ils ont fait progresser les enfants autistes »[6], je ne manquerai pas de prendre langue avec lui au moment de la publication de ce papier. Au contraire de nourrir la remontrance, je lui propose de faire science, de faire partenariat et d’examiner les résultats du travail commun mené sur six mois ou plus pour ensuite le publier dans une revue de son choix.

Oui, les parents sont « à l’origine par leur comportement de la maladie »[7], parce qu’ils sont à l’origine de l’enfant, parce qu’être parent c’est être responsable de ce qui arrive à son enfant. Qu’est-ce que ce discours mou que les parents, que les enfants, ne sont pas responsables ? D’ailleurs, parfois ils sont aussi coupables. De là, dans une société civilisée comme l’est encore la française, la demande de pardon, la prison. Chez les barbares, ça coupe des mains, ça égorge. Le tout au nom du dieu méchant.

Un parent devrait être un adulte responsable de prendre soin de son enfant. La constatation est que les parents, dans leur grande majorité, sont des majeurs qui mettent des enfants au monde sans très bien savoir pourquoi. Quelques organisations psychiques, tel le Moi humain et les organisations intramoïques dudit Moi des parents, jouissent d’avoir un enfant, comme il est possible de posséder un animal ou une peluche.

L’enfant devrait être traité dès sa naissance en tant que sujet. Ce discours mielleux de la faute à l’autre ne rend service ni aux parents, ni à la société ni, surtout, à l’enfant.

L’absence de courage clinique est criante dans ces témoignages : les uns qui ne veulent pas être nommés, les autres qui défendent les parents sans prendre en compte la haine qu’il est possible d’avoir enfant, la haine sublimée, la haine convertie en amour étouffant… Il y a tellement de nuances de haine qu’il serait improductif de vouloir en constituer la liste.

Pour éviter ces malentendus – ils ne sont pas entièrement éliminés car la science psychanalytique opère avec la libido, la pulsion et le désir et non avec des étoiles ou des virus – je sollicite l’interprétation de l’intéressé, je mets en place la clinique du partenariat, la cônification du transfert, la technique de l’écarteur. Ces instruments sont issus de la praxis freudo-lacanienne. Depuis plus de quarante ans d’exercice clinique, aucun suicide dans ma clinique ni dans celle de mes élèves. Pour quelle raison ? Parce que je suis psychanalyste, parce que je suis en psychanalyse, parce que j’exerce la clinique psychanalytique. Je ne me travestis pas en psychiatre-psychanalyste, psychologue et psychanalyste, professeur des Universités et psychanalyste, philosophe-psychanalyste, journaliste, réalisateur, écrivain et psychanalyste.

Il n’y a pas d’arrangement avec le désir : il va vers le Sud ou le Sud-Est, par exemple.

Ces arrangements des psys et des analystes avec la psychanalyse ouvrent la porte à des critiques d’une ignorance crasse sur le cœur de l’affaire de l’être qui souffre.

Des « méta analyses »[8], un « bilan très mitigé »[9] ? Mais cette exigence n’est pas scientifique en ce qui concerne le désir de l’être. Je fais référence ici à l’être aristotélicien. Il est possible d’avoir ces exigences quand il s’agit de physique, de biologie. Mais comme j’aime plus les adversaires et les ennemis de la psychanalyse que les amis de cette dernière – Protégez-moi de mes amis, de mes ennemis je m’en occupe, dixit Sigmund Freud –, j’avais réfléchi à une méthode qui pourrait évaluer la psychanalyse véritablement. Les biologistes utilisent deux groupes pour arriver à des conclusions sur la validité ou non d’une expérience. C’est ce que j’appelle la méthode horizontale. Concernant une psychanalyse, il est nécessaire de l’évaluer avec la méthode verticale, à savoir, l’état du psychanalysant à l’entrée et son état à la sortie de psychanalyse. L’élément qui aura la fonction de juge sera la libido qui nourrissait le symptôme à l’entrée en psychanalyse et celui qui jugera sera le psychanalysant lui-même.

Je ne pense pas qu’un médecin de santé publique, ni d’ailleurs aucun médecin, puisse examiner les effets d’une psychanalyse au début ou au milieu d’une psychanalyse. Il faut attendre la sortie de psychanalyse pour juger de la valeur de la thérapeutique. Un diplôme de médecine, tout comme celui de psychologie, ne fait pas de son détenteur quelqu’un d’apte à juger d’une psychanalyse. Seul le psychanalysant, à la sortie de sa psychanalyse, pourra porter un jugement. Cet argument ne veut pas dire que le psychanalyste est apte. Il est un peu plus apte de juger des effets d’une psychanalyse quand le psychanalysant, en occupant la position de sujet et donc à la sortie de sa psychanalyse, témoigne si elle, la psychanalyse, a été ou non efficace pour “la construction de sa responsabilité de conduire sa destinée”, ma définition de ce qu’est un adulte psychanalysé. Personne, surtout pas l’auteur de ces lignes, n’est capable de juger la psychanalyse de quelqu’un d’autre. Je juge la mienne. Elle m’a ouvert des horizons que je n’avais jamais soupçonnés d’exister.

Être content d’être là, d’être dans le monde dès le matin, je le dois à mon engagement de construire mon désir.

Il n’y a pas de comparaison possible entre neurosciences, techniques de dressage du Moi, du genre TCC – « T » pour technique et non pour thérapie. – avec la psychanalyse.

Le discours sociétal invente de nouveaux mots, nouveaux experts, nouveaux manuels tel le DSM pour aliéner l’être, pour déresponsabiliser les majeurs (parents ou docteurs), pour les rendre handicapés et ainsi leur proposer des aides adultes handicapés. Le tout sans investir un sou dans la construction de leur désir. C’est honteux !

Ce numéro de L’Express met en scène cette misère, cette fausse charité.

La psychanalyse hisse l’être non pas parce qu’elle le veut, mais parce que l’être n’est pas dérangé dans ce rehaussement. La formule hippocratique Primum non nocere est mise en évidence tous les jours, à chaque séance par le psychanalyste. En ce sens, sens hippocratique, la psychanalyse est une médecine, ce que Freud ne voulait pas, et moi pas davantage. Elle est une médecine de l’être en souffrance, en souffrance dans son corps, dans son organisme. Comme l’est une science. Mais elle n’est pas, selon le désir de Freud et je suis d’accord avec lui, une branche de la médecine.

Ce sont la psychanalyse personnelle ainsi que les études approfondies – ce qui est le cas de tous les psychanalystes français – qui déterminent le sérieux du psychanalyste. Il faut cinq ans pour être sanctionné d’un diplôme de psychologue, douze ans pour le psychiatre, au moins vingt ans pour devenir psychanalyste, tout en sachant qu’il va continuer à étudier et assurer des cures sans relâche.

Alors quand un prof de fac à la retraite se gargarise d’avoir été « psychanalyste »[10], je pense qu’en fait, psychanalyste, il ne l’a jamais été. On n’est pas psychanalyste à la retraite, ou ancien psychanalyste, ou psychanalyste en formation ; de même, il n’existe pas quoi que ce soit d’« inspiration psychanalytique » qui approche une quelconque pratique de la psychanalyse. Ou le praticien est inspiré et devient psychanalyste ou il est autre chose. Sauf psychanalyste. Il s’agit de formules qui visent à tromper la galerie, puisque la galerie ne demande qu’à se tromper, puisque c’est la galerie qui achète des publications sans rigueur. Il y a du sang, des tomates ? La populace moïque achète sans gêne. Un Moi seul est aliéné, un ensemble de Moi fait populace moïque. C’était, c’est et ce sera comme ça. C’est humain. Comme il est humain aussi d’accepter une femme qui, deux jours avant de démarrer dans un nouvel emploi, découvre qu’elle a un cancer. Parce qu’il s’agit d’une femme courageuse et honnête, elle appelle son nouvel employeur pour lui signaler qu’elle comprendra s’il ne veut plus d’elle… Il dit qu’il ne saurait en être question, qu’elle est attendue le lundi suivant, qu’elle commencera son travail ainsi que sa chimiothérapie, qu’ils vont s’organiser ensemble… Nous étions deux, elle et moi, en séance, à avoir des larmes aux yeux.

Au contraire de ce que pense un psychiatre de Rouen, la psychanalyse n’est pas une croyance. La psychanalyse construit, puisque c’est le désir de l’être en devenant psychanalysant, un au-delà de la survie, du vivotage, de la vie. La psychanalyse relève l’être de sa position de mammifère parlant.

Le symptôme détermine le diagnostic en médecine. En psychanalyse, le diagnostic tombe comme un fruit mûr et cela n’empêche pas le clinicien d’opérer en faisant naître, en installant et en nourrissant le transfert et en faisant usage de la technique de l’écarteur. Mais pour cela, il faut être clinicien. Être diplômé d’université n’est pas suffisant, pas plus qu’occuper la position de thérapeute, psychothérapeute, psychologue, psychiatre, médecin pour occuper la position de clinicien et surtout pas celle de psychanalyste. C’est pour cette raison que, pour ne laisser aucun répit au Moi du psychanalyste, quand quelqu’un est sur son divan, j’affirme qu’il – le clinicien – est dans la position de supposé-psychanalyste jusqu’à ce que le psychanalysant, sortant de sa psychanalyse, devienne sujet, ce qui installe le supposé-psychanalyste dans la position de psychanalyste de cette cure. Alors un diagnostic issu de la classification CFTMEA ou du DSM n’aide pas à savoir si le jeune homme de l’exemple cité dans le magazine est psychotique ou non. Le dévoilement de la structure ainsi que le diagnostic spécifique viennent indiquer au clinicien par où conduire la cure et ne servent pas à épauler le patient à avoir des bénéfices secondaires ou primaires, tels que des avantages sociaux, arrêts maladies ou dégradation de son être vis-à-vis de lui-même.

De tout évidence, ce ne sont pas uniquement les souffrants qui sont perdus, le corps soignant leur emboîte le pas. La cuisine est en feu – les fous sont dans nos rues – mais tout va très bien madame la Marquise. Au contraire de se rassembler : gouvernement, association de malades, responsables de service de santé avec les psychanalystes pour la mise en place d’un système porté par le désir, il est préférable de faire diversion en criant aux quatre coins que la psychanalyse c’est de la roupie de sansonnet. Aucun débat clinique, aucune collaboration, ne sont mis en place pour examiner le bois dont est fait la psychanalyse. Non, c’est la critique pour cacher l’incompétence clinique des uns et des autres, qu’ils soient médecins, psys ou analystes. Je suis disposé à discuter clinique avec n’importe quelle personne qui a participé au dossier dudit magazine. En privé bien sûr, mais en public et enregistré ce serait mieux encore. La psychanalyse n’est pas une passion française, elle est ce qui fait que la France soit encore la région du monde où penser est possible sans être incarcéré ou menacé de mort pour ses idées.

L’unique discipline qui sort ses marrons du feu, grâce aux psychanalysants, surtout pas grâce aux psys ou aux analystes, c’est la psychanalyse. Elle est fraîche. De là la puissance de feu de la populace moïque à l’accabler éhontément.

Comment comparer la psychanalyse avec les neurosciences quand la première opère dans un champ dans lequel rien n’est tangible, rien n’est palpable, et pourtant les effets sont là : symptôme psychique, corporel ou somatique apaisé, maladie organique fortement apaisée grâce à l’intervention médico-chirurgicale d’un côté et la prise en charge du désir en souffrance de l’être par le psychanalyste de l’autre.

Science est ἐπιστήμη. Aujourd’hui, l’accumulation des connaissances ne fait pas forcément l’être savoir sur lui. La psychanalyse offre cette possibilité.

Entre le désir de l’Autre, le psychisme de l’être, l’organisme de ce dernier, il y a un rien que je représente par des accolades { }. Il s’agit d’un locus inaccessible au Moi du scientifique, qu’il soit physicien, biologiste ou psychanalyste. Mais le scientifique se doit d’inventer des théories pour expliquer le Réel. Le psychanalysant construit sa théorie pour lire le Réel. S’il réussit à mener sa barque en faisant usage de la carte construite pendant sa psychanalyse, cette dernière est un succès, sinon elle est un échec. Pas l’échec de la psychanalyse, mais du psychanalysant. Dans la grande majorité des cas, l’échec revient au praticien qui n’a pas su conduire la cure. C’est après avoir examiné sa compétence qu’il est possible de dire que l’être a pris la décision de continuer son frotti frotta avec son Moi, au détriment de l’occupation de la position de sujet. De là l’échec.

Le concept de pulsion ne correspond pas du tout à celui de motivation en neurosciences, comme semble imaginer un des intervenants. La motivation est du registre conscient, la pulsion fait partie du registre de l’Inconscient, avec un « I » majuscule, pour indiquer le monde de la libido et des pulsions et qu’il est entièrement inaccessible au Moi, même si ce dernier subit les effets de la pulsion par la voie des organisations intramoïques. Il faut être très éloigné du discours scientifique pour ne pas remarquer que, bien que personne ne puisse voir un virus, celui-ci pourtant fait des ravages. Personne ne voit la tristesse, ni la haine et pourtant, à l’instar du virus, elles peuvent tuer. Freud a voulu théoriser la pulsion qui retourne la libido contre soi et la pulsion de destruction qui peut anéantir l’autre en proposant une clinique et des stratégies thérapeutiques pour désamorcer la puissance pulsionnelle.

C’est stupéfiant l’aplomb pour dire que « La notion de refoulement en tant que mécanisme de défense pour le psychisme, elle, doit être reformulée. »[11]. Le refoulement concerne une lutte contre des pulsions face auxquelles la motivation ne fait pas le poids. Le mécanisme de défense est une contribution malheureuse d’Anna Freud à la psychanalyse de son père. « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis… ».

La psychanalyse et le patient en souffrance n’ont que faire du fait que les neurosciences « reconnaissent l’importance des processus inconscients »[12]. Ce qui intéresse un certain nombre de souffrants, c’est de savoir d’où viennent les cauchemars, les symptômes, l’insupportable condition de vivant, car la vie, pour certaines personnes, est une expérience insupportable. Ici, la souffrance peut devenir objet de distraction, de dépaysement, forme de jouissance. Pendant que le Moi se plaint, court d’un service de médecine à un autre, d’une hospitalisation à une autre, l’être ne s’engage pas à construire sa responsabilité de conduire sa destinée. La visée vraie de la condition humaine.

Est-ce si insupportable d’entendre cela ? C’est le message que j’entends de la psychanalyse. Évidemment, tenir un discours comme celui-là ne génère ni copinages ni frivolités. Les Anglo-saxons, pour gagner une reconnaissance, inventent que « Les psychanalystes proposent des séances plus encadrées, avec une durée limitée, un nombre défini dans le temps et des manuels qui décrivent leurs outils »[13]. Bien essayé, mais rien de cela n’amènera l’esprit psychanalytique ; en revanche, cela dévoile ce qu’ils entendent par science. Bien évidemment, « les preuves de l’efficacité des TCC »[14] sont au rendez-vous ; pour ce qui est des résultats de la psychanalyse : ils sont « plus limités ».[15]. La psychanalyse ne se compare pas avec une technique inventée pour répondre au Moi, tout comme une psychanalyse n’est pas un produit que le consommateur pourra juger selon son affectation du moment. Elle est un travail qui exige rigueur et endurance. Il est possible de la juger, après avoir mangé et digéré son Dasein. Toutes les personnes qui frappent à la porte du psychanalyste ne répondent pas à ces critères et pourtant le psychanalyste, avec son désir, fera en sorte de réanimer ce qui existe hors du registre du Moi que Freud avait nommé inconscient.

Si « Tous les experts constatent néanmoins que la psychanalyse est en perte de vitesse en France. »[16], il me faut interroger la rigueur scientifique du journaliste pour savoir sur quoi il étaye son affirmation.

Combien de personnes travaillent, fondent de familles, ne se suppriment pas, ne tuent pas, arrêtent la consommation de drogues, deviennent parents, construisent un métier grâce à la psychanalyse ? J’ai des témoignages au quotidien par la voie de ma clinique et par la voie des supervisions et contrôles.

S’il faut faire science, il faut le faire pour de vrai et non en se dérobant. La psychanalyse est une science pour Freud. J’ai voulu le prendre au mot. Après plus de quarante ans de clinique, je n’arrive pas à détrôner son hypothèse. Elle n’est pas une science comme la physique ou la biologie. Pourtant, quelques-uns se précipitent à dire qu’elle n’est pas une science, sans avoir travailler pour prouver que son objet, le désir, est une construction à partir de la libido et de la pulsion. Pour cette raison le psychanalyste peut discuter avec le malade de médecine, étudier les symptômes psychiques et les symptômes corporels et être auprès du malade organique et du psychotique en apportant une écoute qui peut être favorable aujourd’hui. Quelques scientifiques parient sur l’avenir : demain la médecine pourra guérir ceci ou cela. Le psychanalyste dit : aujourd’hui, la psychanalyse peut réduire les hospitalisations en psychiatrie, en médecine, la consommation de médicaments. Preuve à l’appui. Cela fait-il de la psychanalyse une non-science ?

La psychanalyse est une clinique du signifiant ; la parole, je la laisse aux psychothérapeutes. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens qui parlent pour ne rien dire, la plupart du temps.

Quelques-uns ont réussi à avoir une vie médiatique, parce qu’ils parlent mal de Freud ou de la psychanalyse. Sans cela, qui pouvait s’intéresser à eux ? Telle une commère, le monsieur dit que Freud ne connaissait pas « les règles de la formation de mots composé à partir du grec. »[17]. Il faut accabler avec n’importe quel moyen. Est-ce cela faire science ?

En fondant des écoles de psychologie à partir de l’enseignement de Freud, Adler, Stekel et Jung s’approprient le désir de Freud tout en crachant dans l’assiette où ils se sont nourris. À l’image de ces journalistes de L’Express à l’égard de Françoise Giroud ou d’un des intervenants qui se fait mousser en crachant au visage, ou en jetant des tomates au visage du vieillard viennois. Il s’agit du registre imaginaire qui nourrit la jalousie, l’envie, la volonté de détruire l’autre, en l’occurrence, Sigmund Freud.

Dans une psychanalyse, le psychanalysant fait la même chose, il vole des signifiants – et non des paroles, qu’elles soient vides ou pleines d’ailleurs – à l’Autre barré et non à l’analyste. Quand le psychanalysant est désobligeant – l’une dit que je sens mauvais (je me douche tous les jours), l’autre que je parle de sa vie en public (il est vrai que, sans nommer, je dénude le Moi-roi de l’histoire d’Andersen et cela fait enrager plus d’une.) – il trouve là le moyen d’exprimer sa haine, mais sans passer par la castration, qui est la visée d’une psychanalyse. Quand l’Œdipe est réglé, il n’est plus nécessaire d’investir sa libido dans la haine. Cette libido sera dorénavant utilisée pour nourrir sa compétence à aimer et se faire aimer, travailler et se faire travailler, au corps.

En devenant sujet, à la sortie de psychanalyse donc, l’être atteste qu’il a volé des signifiants à l’Autre barré pour se mettre debout. Dans ce registre symbolique, l’être reconnaît qu’il n’était rien et que grâce à l’Autre barré, il peut combler les fondations qu’il avait creusées pendant sa psychanalyse, avec des signifiants qu’il s’est approprié en les piquant chez l’Autre barré. Ici pas de relation imaginaire, mais du combat de l’être pour devenir sujet.

La théorie psychanalytique n’est pas une « théologie »[18]. La multiplication des théories psychologiques dilue l’esprit psychanalytique.

L’interprétation psychanalytique ne vient pas du clinicien, elle vient de l’Autre barré. Comment expliquer cela au médecin, au philosophe, au psychologue, s’ils n’ont pas étudié Aristote, Hippocrate, Pinel, Freud, Lacan ?

Les critiques du magazine se prêtent plus au commérage qu’à la critique de la raison pure.

Il n’y a pas de « diversité des psychanalyses »[19], il y a psychanalyse ou il n’y a pas. Il y a psychanalyse quand le psychanalysant devient sujet, ce qui fait que le supposé-psychanalyste devient psychanalyste, psychanalyste de la cure en question (Cf. Cartographie du RPH ci-dessous). L’influence freudienne et lacanienne dans mon écrit est une évidence. Je suis élève de Freud et de Lacan et non leur larbin. Je m’approche de leur théorie en scientifique, studieux, critique. J’étudie leurs théories et je propose des affinages autorisés par ma clinique. Ma clinique atteste que la psychanalyse est solide, raison pour laquelle je me lève tous les matins pour la pratiquer avec une joie que je n’avais pas connue avant la sortie de ma première psychanalyse.

Invoquer l’inconscient n’est pas une faute. Il est écrit : « On peut très facilement tirer de l’inconscient ce qu’on veut, comme le magicien des lapins de son chapeau… »[20]. On ne tire pas de l’inconscient ce qu’on veut, puisqu’il n’est pas au service du Moi. Si le lecteur entend l’inconscient – avec un « i » minuscule, celui de Lacan, structuré comme un langage – comme l’océan accessible grâce à l’articulation de la libido avec le signifiant, il comprendra qu’il y a un monde aquatique en lui, qui ne lui sera jamais complément connu, ce qui réduit les prétentions du Moi d’être maître chez lui, dans l’appareil psychique. Il ne s’agit pas de « magicien »[21], de « lapins »[22], ou de « chapeau »[23]. En faisant appel à ces formules-bateau, le retraité montre qu’il n’a aucune expérience de ce que sont la clinique et la théorie psychanalytique. Ce n’est pas parce que quelqu’un s’approprie des mots, une technique ou qu’il s’autorise de lui-même, qu’il est psychanalyste. Il peut être d’obédience psychanalytique, ce qui est une absurdité, voire analyste. Mais pas psychanalyste.

En reprenant la proposition de Freud que l’analyste doit retourner sur le divan tous les cinq ans, j’avais poussé le bouchon avec la formule « la psychanalyse du psychanalyste est sans fin » et cela afin de protéger la psychanalyse, et surtout le psychanalysant, du Moi du praticien. Le dossier du magazine est la preuve de l’absence de psychanalyse personnelle chez les praticiens de santé en général et des psys et analystes en particulier.

Le psychanalyste ne réagit pas au « flot des paroles de l’analysé »[24]. Peut-être l’analyste, mais surtout pas « l’analysé », nomenclature veillotte qui indique que le critique de la psychanalyse a pris un sacré coup de vieux. Comment discuter avec quelqu’un qui ne suit pas les avancées de la science qu’il est censé critiquer ? Quoi d’étonnant à ce que quelqu’un qui, ici, se présente en tant qu’« ancien psychanalyste »[25] mais là aussi « philosophe »[26], défende, sans ciller, le principe que la psychanalyse n’est pas une science ? Elle n’est pas une science, parce qu’il n’y a pas de scientifique de la psychanalyse – je veux dire : le psychanalyste – pour la défendre. La psychanalyse existe encore, elle n’est pas devenue une psychologie, voire une idéologie, parce qu’il y a le psychanalysant et des psychanalysants qui sont aussi psychanalystes, comme l’auteur de ces lignes. Le monsieur, l’auteur de la remarque citée ci-dessus, ne connaît pas l’usage que je fais de l’Autre barré lacanien (Ⱥ). Dans une psychanalyse, qui n’est pas une « analyse »[27], ce n’est pas le psychanalyste qui tient la barre de la cure, c’est le psychanalysant qui, à son tour, est guidé par les associations libres qui sortent de sa bouche, ce qui signifie que les associations sont dites sans que le Moi soit au courant. Il n’est pas au courant de mes propositions, comme une dame qui fait référence aux « normes cruelles du surmoi »[28], comme disait encore Lacan dans son Séminaire XX.  Grâce à mes études freudo-lacanienne, j’avais mis en évidence que ce sont les organisations intramoïques – l’Autre non barré pour la cruauté verbale, la résistance du Surmoi pour la cruauté corporelle – qui sont cruelles et non le Surmoi. Ce dernier n’a plus de poids quand l’appareil psychique est souffrant.

Enfin, il est faux d’affirmer que « l’analyste a subi une longue analyse didactique »[29]. Si le Moi est aliéné par structure, l’être par structure est lâche. Dès la première opportunité, il quitte le bateau de sa psychanalyse personnelle. Je ne conteste pas l’humanité de l’analyste, j’apporte un fait clinique. De là ma proposition de psychanalyse sans fin. Faire six ans de psychanalyse personnelle n’a jamais forgé un psychanalyste. Devenir psychanalyste ne se conforme pas à la formation universitaire, même si je reconnais l’importance de la formation doctorale pour le médecin et surtout pour le psychologue.

Les critiques du monsieur à la retraite confirment que c’est son Moi et non sa clinique qui porte atteinte à la psychanalyse. Il n’est pas le premier, ni ne sera le dernier, à se faire mousser grâce à la psychanalyse. Cela ne me viendrait jamais à l’esprit de lire Popper s’il n’avait pas fait cette bourde énorme de mélanger la psychanalyse de Freud à la psychologie d’Adler. De même ce philosophe français qui lit Freud à partir de la traduction française sans prendre en compte que ces interprétations sont portées par sa tristesse et par des erreurs de traduction. J’ai lu une compilation intitulée Livre noir… Jacques-Alain Miller, qui ne rate pas une opportunité de me taquiner, m’avait demandé ma raison d’avoir acheté et lu un tel torchon. « Parce que pour critiquer, il faut lire », ai-je répondu. Ma conclusion est que le document en question était du vomi réchauffé. Je peux le dire, puisque j’ai acheté le livre et que je l’ai lu. Je suis parvenu à la conclusion qu’il me faut continuer d’étudier l’inconscient en chaussant les lunettes de la psychanalyse et que les critiques du prof de fac, du philosophe, des journalistes, sont la preuve d’une vie sociale vivante. En France, la psychanalyse est critiquée et les psychanalystes ne prennent pas le temps de répondre ou répondent par l’écriture. La psychanalyse, comme la démocratie, sont de merveilleuses créations. Il est fondamental d’en prendre soin.

Ce n’est pas parce qu’Ellenberger a été « formé à la psychanalyse »[30], qu’il est habilité à commenter la psychanalyse. Celui qui est autorisé à commenter la psychanalyse est le psychanalysant, comme un marin est habilité à commenter l’océan. La psychanalyse, ce n’est pas une discipline universitaire, c’est une science du même champ que la physique ou la biologie, à cette différence près que l’objet de la psychanalyse, le désir, bouge, ce qui n’est pas le cas de la science qui vise à comprendre, expliquer et modéliser les phénomènes naturels de l’univers ou de la science qui étudie le vivant. La psychanalyse étudie la possibilité de construction, pour l’être vivant, de devenir sujet, ce qui l’engage, après sa sortie de psychanalyse, à construire sa responsabilité de conduire sa destinée.

Je ne pense pas que Freud est un homme qui a menti dans ses cas cliniques. Je pense à « Anna O. »[31] ;
s’est-il trompé ? Sûrement. Il faut être clinicien pour le savoir. Mais Lacan est venu par la suite pour rectifier le tir et, après Lacan, d’autres psychanalystes se sont mis à l’œuvre pour continuer les rectifications, ajuster les questions, affiner le diagnostic structurel, la conduite de la cure, la sortie de psychanalyse. Ce que je constate dans les récits de tous les intervenants dans ce dossier de L’Express, c’est une ignorance plus ou moins évidente des enjeux qu’apporte la psychanalyse. Freud était analyste, il n’a jamais fait de psychanalyse ; Lacan était analyste puisqu’il avait abandonné sa psychanalyse. De là l’importance que, pour occuper la position de psychanalyste, ce dernier, après avoir prouvé par la passe qu’il a été compétent à assurer la conduite d’une psychanalyse, continue à occuper la position de psychanalysant.

Une génération nouvelle de psychanalystes, tout en occupant la position de psychanalysant, pourra donner à la psychanalyse le statut scientifique qu’elle mérite.

La psychanalyse ne peut pas être étudiée, même s’il s’agit du freudisme et des « observations méthodiques d’implications vérifiables-réfutables de théories »[32], par des psychiatres ou des psychologues. C’est comme demander à une assistante dentaire d’extraire une dent et refaire un dentier. Les observations étaient justifiées par la clinique de Bernheim ou de Séglas, non par celle d’aujourd’hui. Il faut beaucoup de temps chronologique, de patience et bienveillance, ainsi que de finesse clinique pour le maniement du transfert, de la méthode et des techniques psychanalytiques, pour saisir le moment où le saumon saute hors de l’eau. Le saumon, ici, c’est le signifiant. Que le lecteur essaye d’attraper un poisson à mains nues et il aura un léger parfum de ce que fait un psychanalyste au quotidien pour mettre en place ce qui pourra faire que la libido, qui nourrit la jouissance du Moi et la présence du symptôme, puisse servir à ce que l’être puisse devenir sujet et construire sa responsabilité de conduire sa destinée.

L’erreur « constante de Freud est la généralisation abusive »[33], écrit quelqu’un. Or, il s’agit d’une erreur propre à quelqu’un qui tâtonne dans l’obscurité. C’est cela être scientifique, être trouveur, ce qui est différent du chercheur, ceux qui cherchent pour ne pas trouver. Freud était un scientifique, homme de laboratoire, de la clinique, un théoricien. Cela pourrait mériter du respect, mais les imbéciles – je ne suis pas aussi fin qu’Élisabeth Roudinesco – lui jette des tomates.

C’est grâce à la lecture de ses prédécesseurs français et allemands que Freud empêche, encore aujourd’hui, beaucoup de compatriotes humains d’embrasser la mort de manière précipitée. Cela mériterait, à mon humble avis, une accolade. Mais, chacun donne ce qu’il a.

Puis, il y a les perroquets qui répètent Freud, Lacan, sans une once de réflexion. Ils jettent aussi de la tomate sur Freud à leur manière. À vrai dire, depuis les postfreudiens, chacun y met de sa tomate sur le visage du père de la psychanalyse. En ce sens, la couverture de L’Express est une lecture légitime de l’artiste.

Psychanalyste ce n’est pas un « titre »[34], c’est la position subjective du clinicien.

Il est vrai que « les adultes ont déjà expérimenté la perte de leurs dents… »[35], mais avant de perdre des dents, ils ont expérimenté la perte. Il ne s’agit pas d’interpréter sauvagement – du « ne me prenez pas au mot » à « ne me prenez pas pour un homo »[36] –, ce qui fait de la sauvagerie un acte barbare et non une interprétation. Il s’agit d’opérer à partir des signifiants qui sont livrés par l’être – ce qui signifie qu’il est passé par l’Autre barré – et non par la parole qui vient du Moi ou des organisations intramoïques du clinicien.

La médecine du sommeil est une branche de la médecine. L’interprétation des rêves existe depuis Hippocrate. D’ailleurs, Freud n’oublie pas le père de la médecine dans son ouvrage, Die Traumdeutung. Il est étonnant qu’une spécialiste du sommeil critique Freud mais ne s’intéresse pas à travailler en collaboration avec des psychanalystes. Quid de l’avancée scientifique si le sommeil, le désir de dormir – Dormir, peut-être rêver ! dixit Shakespeare – et la crainte du sommeil n’entrent pas en ligne de compte ? « Thérapies par imagerie mentale »[37] ? Je doute qu’une recherche scientifique qui concerne l’humain puisse se passer de la rencontre avec ledit être. Mais pour les scientistes, il est préférable de faire science sans avoir à céder de leur position moïque. Je suis à deux doigts de reconnaître davantage de science dans ma psychanalyse que chez certains qui me semblent prêts à vendre père et mère pour être estampillés scientifiques. Je me désire scientifique, mais je suis d’abord clinicien. Je ne vois pas beaucoup de témoignages cliniques et de science dans le dossier de L’Express.

Le sexuel, qu’il soit dans l’interprétation du rêve en particulier ou dans la psychanalyse en général concerne Ἔρως et non la génitalité des êtres, même si leur génitalité n’est pas exclue.

Je suis pour la collaboration entre « neurosciences et psychanalyse »[38], évidemment, comme entre psychiatres, médecins et universitaires. Mais pas n’importe comment. Les disciplines doivent s’examiner mutuellement sur ce que chaque représentant entend par « faire science ». Une telle stratégie pourra ouvrir une voie pour une vraie discussion sur ce qu’est la science.

Si les « travailleurs sociaux baignent dans les interprétations psychanalytiques »[39], ce n’est pas le problème de la psychanalyse. Les livres de Freud sont en vente libre. Une interprétation est ou imaginaire ou symbolique. Le Réel n’interprète pas, donc il n’existe pas d’interprétation qui vienne du Réel. L’interprétation imaginaire vient du Moi. Le dossier de L’Express en regorge. L’interprétation symbolique est celle qui vient de l’être, ce qui suppose qu’il se soit désolidarisé du Moi pour aller, nu comme un ver, vers l’Autre barré et qu’alors, chargé de signifiants vrais, ce qui sortira de sa bouche sera une parole vraie, une poésie, l’antichambre d’une action vigoureuse, courageuse, transformatrice. C’est cette opération que la psychanalyse met en œuvre. Qui dit mieux ?

Dans cette logique, comparer la psychanalyse à des psychothérapies, à des techniques de dressage, n’engage que ceux qui le font, mais ni la psychanalyse ni les psychanalystes.

De même, une « pratique psychanalytique »[40] par des psychologues et des psychiatres ne fait pas d’eux des psychanalystes ni de leur clinique une πραξις psychanalytique. Comment proposer à des jeunes de devenir psychanalystes, si leurs aînés se comportent de manière lâche avec leur propre désir ?

Il est vrai que « l’État n’a pas à financer des établissements et des services qui ne s’inscrivent pas dans les pratiques les plus modernes et les plus actualisées »[41]. Sans demander un centime de subvention à l’État, les membres du RPH assurent une clinique qui empêche que les personnes se suicident, soient hospitalisées et leur permet de diminuer leur prise de médicaments. En revanche, l’État nourrit des dispositifs comme des CMP et des CMPP qui proposent une thérapeutique devenant douteuse car rendue quasi impuissante, avec des listes d’attente à n’en plus finir. Quand les patients doivent attendre un mois, voire six, pour être reçus une première fois en CMP, ils seront reçus au plus tard dans les vingt-quatre heures pour un premier contact à la CPP du RPH. Cherchez l’erreur !

Il est impossible d’instaurer des « groupe[s] contrôle[s] »[42], quand il s’agit de travailler avec des êtres humains. Je sais qu’il est difficile pour quelques esprits de comprendre, mais les êtres humains ne sont ni des rats ni des virus.

Un être humain, à sa naissance, est unique, parce qu’il est né dans un espace-temps unique. Il est possible d’évoquer la naissance dans le même espace-temps pour les petits de l’hippocampe. Or, même les jumeaux humains ne sont pas égaux. À partir de cette logique, toute tentative de comparaison entre êtres humains s’avère fausse. Ce sens révèle qu’il y a plus de science – au sens de savoir, de rigueur, de sérieux – dans la psychanalyse que dans le témoignage parfois innocent, dans la critique parfois ignorante quant à son argumentation, dans les propos parfois haineux des participants dudit dossier de L’Express.

Si des « psychiatres-psychanalystes »[43] continuent de « proposer une prise en charge psychanalytique à des patients atteints de schizophrénie ou de dépression post-partum »[44], c’est une bonne chose ; si « certains continuent à vouloir interpréter les causes de cette dépression »[45], c’est plus délicat. Au sein de la CPP, des patients schizophrènes sont reçus et font des progrès remarquables. Comme je ne suis pas ennemi de la psychiatrie, je veille à ce qu’ils suivent les indications de leurs psychiatres. Cette collaboration à trois (patient, psychiatre, psychanalyste) se déroule favorablement du point de vue clinique. Le problème, déjà évoqué, est quand le psychiatre veut aussi faire le psychanalyste, comme si la psychanalyse était un outil supplémentaire dans sa caisse. Je préfère travailler avec de vrais psychiatres, c’est-à-dire les médecins prescripteurs, car les mi-psychanalystes et les psychiatres-psychanalystes me semblent ne pas avoir encore compris qu’il est impossible de courir deux lièvres à la fois.

Les psychiatres fâchés qui ont écrit au ministère de la Santé pour se plaindre[46] devraient prendre contact avec les membres du RPH et mettre en place une collaboration qui sera utile à la psychiatrie française et surtout au patient. Une clinique du partenariat, en toute transparence, pourra dissoudre le malentendu qui dure depuis trop longtemps.

Se moquer du complexe de castration comme étant dépassé[47], c’est ignorer son actualité pour chaque enfant humain. Si l’usage de la théorie est maladroit du fait d’incompétents qui s’approprient la praxis freudo-lacanienne, cela n’est pas de la faute de la psychanalyse. La « discipline »[48] n’a pas été « inventée par Freud »[49], mais construite par ce dernier. Une invention est un produit du Moi ; une construction, c’est la mise sur pieds d’une pensée, d’une idée, d’une parole, d’une action, dans cet ordre. La psychanalyse est le résultat d’une vie de labeur, comme c’était le cas pour Copernic ou pour Darwin. Il y a des failles dans la théorie ? Oui, mais le travail des psychanalystes après Freud a été d’affiner, d’améliorer la construction freudienne. La psychanalyse est une science ; ce qui lui manque, ce sont des scientifiques. En d’autres termes, elle est une science qui respire encore grâce aux psychanalysants, comme la théorie copernicienne a continué de respirer grâce à Georg Joachim von Lauchen, surnommé Rheticus. Si, pour Copernic, Rheticus donne le coup de main nécessaire pour que le scientifique ne flanche pas, chez Darwin, je retrouve ceux qui donnent ce coup de main en la personne de John Stevens Henslow et de Charles Lyell. Chez Freud, c’est le psychanalysant d’hier comme celui d’aujourd’hui. Chaque psychanalysant qui a profité de sa psychanalyse pour construire une vie meilleure, une responsabilité de conduire sa destinée, une responsabilité de devenir psychanalyste à son tour, justifie la valeur rigoureuse, sérieuse, scientifique de la psychanalyse. Freud et la psychanalyse sont remerciés par celles et ceux qui sont contents d’être dans le monde, Freud et la psychanalyse sont détestés par ceux qui n’arrivent pas à construire leur subjectivité. Ce n’est pas parce qu’un vaccin ne sauve pas tous les vaccinés qu’il faut l’interdire.

En recourant à l’argument : « il est impossible de critiquer la psychanalyse », ils oublient qu’il faut d’abord se sentir en vie, en joie, en travail pour ensuite critiquer avec des arguments pertinents.

Je suis apte à critiquer la psychanalyse, puisqu’elle m’a offert la possibilité d’être quelqu’un de bien, moi qui étais, avant elle, quelqu’un de mauvais parce que malheureux.

Ainsi, au contraire de vouloir la détruire, je dédie mon quotidien à affiner les arêtes, à polir le rugueux, tout en préparant une autre génération à polir ce que j’avais mal fait ou pas vu. C’est cela faire science.

Pour trancher entre le retour du refoulé, les faux souvenirs et ceux induits non pas « par la thérapie »[50] mais par le thérapeute, il est nécessaire que ce dernier puisse acquérir la compétence d’assurer des psychothérapies et non des thérapies, qu’il puisse, si tel est son désir, devenir psychanalyste et non thérapeute. Le psychanalyste peut occuper la position de psychothérapeute, à l’hôpital, quand l’être est sur le fauteuil et non sur le divan. Mais s’il accepte d’occuper cette position, c’est parce qu’il attend le feu vert – l’entrée en psychanalyse – pour que l’être dans la position de patient puisse passer sur le divan et occuper ainsi la position de psychanalysant.

Quand le dossier évoque le test de Rorschach, il faut peut-être signaler aux journalistes que le test est une affaire de psychologue, non de psychiatre et surtout pas de psychanalyste. Mais jeter une tomate au visage d’Hermann est certainement moins vendeur que le visage malade de Freud. Que les marchands se rassurent : j’avais acheté deux exemplaires. Un que j’ai vite perdu et un second que j’ai lu attentivement. Freud fait toujours vendre.

L’inconscient ce n’est pas une « région »[51], c’est un locus. En latin parce qu’il s’agit d’une langue morte ; en latin parce que toutes les fois que Freud, qui connaissait le grec et le latin – malgré la mauvaise langue d’un monsieur –, se trouvait embarrassé théoriquement, il faisait appel à cette langue quand d’autres, par pudeur, les aliénistes et les premiers psychiatres, ont fait usage de cet artifice. Pas Freud.

La psychanalyse est une science et elle ne s’occupe pas des « troubles »[52] mais des êtres qui souffrent. Mais pour qu’elle soit une science, la psychanalyse nécessite, au sens aristotélicien, du psychanalyste. Elle peut compter déjà avec le psychanalysant. Le psychanalyste fait défaut et c’est pour cette raison que la psychanalyse avance en crabe, comme disent les marins. Pour que le clinicien puisse devenir digne de la psychanalyse, digne d’entrer dans le bateau nommé psychanalyse avec le psychanalysant, il – le psychanalyste – doit continuer sa psychanalyse personnelle, unique manière d’éviter de recevoir des tomates.


[1] L’Express, n° 3814-15 du 8 au 21 août 2024, p. 22.
[2]  Giroud, F., Leçons particulières, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1990, p. 115.
[3] Ibid., p. 109.
[4] L’Express, op. cit., p. 22.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid., p. 26.
[11] Ibid., p. 23.
[12] Ibid., p. 23.
[13] Ibid., p. 24.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid., p. 25.
[17] Ibid.
[18] Ibid., p. 26.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Ibid., p. 25.
[26] Ibid., p. 38.
[27] Ibid., p. 39.
[28] Ibid., p. 38.
[29] Ibid.
[30] Ibid.
[31] Ibid., p. 26.
[32] Ibid., p. 27.
[33] Ibid.
[34] Ibid., p. 27.
[35] Ibid., p. 28.
[36] Ibid., p. 27.
[37] Ibid., p. 28.
[38] Ibid., p. 29.
[39] Ibid., p. 30.
[40] Ibid.
[41] Ibid., p. 31.
[42] Ibid., p. 32.
[43] Ibid.
[44] Ibid.
[45] Ibid.
[46] Ibid.
[47] Ibid., p. 35.
[48] Ibid., p. 39.
[49] Ibid.
[50] Ibid., p. 36.
[51] Ibid., p. 38.
[52] Ibid., p. 39.