Haine-moi
Le 20 janvier 2021,
Jacques Lacan avait mis en évidence les trois passions humaines que sont l’amour, la haine et l’ignorance1. La psychanalyse, au moyen de la règle fondamentale de l’association libre et de l’introduction de la castration symbolique au fil de la cure, vise, entre autres, à dévoiler et à désamorcer la jouissance que le Moi tire de ces passions.Cette brève aborde, plus particulièrement, la haine qui, de façon quotidienne, se déchaîne dans les séances cliniques.
La haine dans le transfert
Sigmund Freud, lui, avait mis en évidence que la première des résistances apparaissant dans la cure était la résistance de transfert2. Pris dans un transfert hostile, le patient ou le psychanalysant éprouve des sentiments négatifs à l’égard du clinicien, il le trouve « trop ci » ou « pas assez ça », il s’en méfie, lui attribue des intentions malhonnêtes, etc. Ces pensées,
tant que l’être ne concède à les mettre au travail, agissent à bas bruit dans la cure, pouvant mener jusqu’à son abandon.
Madame N. vient me rendre visite une première fois. Après quelques séances, elle abandonne sa cure sans donner de nouvelle. Elle reviendra, quelques temps plus tard, et mettra au jour un fantasme d’agression qui s’est joué dans le transfert : méfiante dès le premier appel, elle avait
accepté malgré tout de venir, tout en informant un proche de l’adresse où elle se rendait, si toutefois il lui arrivait quelque chose. C’est à partir de ce « quelque chose » que s’est construit, dans la cure, ce fantasme d’être agressée par la psychothérapeute. Elle découvrira, bien plus tard encore, que celui-ci était en fait révélateur de sa propre agressivité articulée à un désir amoureux envers sa mère.
La haine intervenant comme refus de la castration symbolique
Régulièrement, les patients et les psychanalysants se disent frustrés par la durée des séances lacaniennes ou encore par le fait que le clinicien ne réponde pas à leurs questions et demandes diverses : un mouchoir, un stylo, un mode d’emploi pour exister, une facture ou tout autre
papier, tant de situations qui, lorsqu’elles sont associées librement, peuvent venir dévoiler la haine et permettre ainsi une avancée de la cure.
Monsieur D. demande une facture pour se faire rembourser ses séances de psychothérapie. Je lui indique que je ne fournis pas de facture. Pour quelle raison cela ? La visée de cet acte clinique est que l’être puisse être pleinement responsable de son traitement, sans dépendre de la Sécurité Sociale, de la Mutuelle ou de quiconque. Pour rendre cet engagement possible, le prix des consultations, dans le cadre de la CPP3 , est adapté en fonction des moyens financiers de chacun.
Monsieur D. saisit la logique : « Vous voulez dire que je dois payer comme un homme, un vrai homme ? C’est vrai que j’en ai assez de mes gamineries d’adolescent. » C’est ainsi qu’en ne répondant pas à la demande, le clinicien laisse la possibilité à l’être de grandir et de se construire une voie désirante.
La haine hors du champ clinique
Parfois, l’être ne joue pas le jeu de l’association libre, il abandonne sa cure et trouve, lâchement, un lieu d’expression pour sa haine : l’internet et les réseaux sociaux.
Le Moi, soumis aux organisations intramoïques, telles que conceptualisées par Fernando de Amorim 4, balance alors à tire-larigot des commentaires internautiques mensongers parfois même diffamatoires, marqués par la haine et la résistance de transfert.
À travers cet acharnement imaginaire, l’être croit qu’il sait et qu’il dit la vérité mais il est dans l’ignorance crasse qui opère hors du champ de la clinique.
Dans ce cas, le clinicien ne peut que témoigner par ces quelques lignes de la haine qui est à l’œuvre et rappeler, à qui voudra bien l’entendre, qu’il reste disposé à accueillir et à écouter cette haine au sein de la consultation, afin que l’être en construise un savoir sur lui-même.
1.Lacan, J. (1953-54). « Leçon du 7 juillet 1954 : Le concept de l’analyse », in Les écrits techniques de Freud, Le Séminaire, Livre I, Paris, Éditions du Seuil, 1975, pp. 301-316.
2.Freud, S. (1912). «Sur la dynamique du transfert », in Œuvres Complètes XI, Paris, PUF, 2009, pp. 107-116.
3.Consultation Publique de Psychanalyse
4. Amorim (de), F. Le principe de jouissance en psychanalyse, 2020,