Fernando de Amorim
Paris, le 30 décembre 2015
Monsieur Spitzer est décédé et une page se tourne. Comme aime à le rappeler Édith, « il faut laisser les morts enterrer les morts ». Cependant, j’écris sur des concepts et des stratégies qui n’ont pas apporté que confusion aux psychiatres, psychiatres qui, sans la psychanalyse, sont déboussolés.
La notion d’athéorisme n’est pas la preuve d’un pragmatisme mais d’un manque de courage qui va dans le sens de cette lecture naïve de démocratie à l’américaine, lecture qui donne des résultats cocasses. Dans le champ psychiatrique, le DSM est l’un de ces résultats car, s’il s’agit d’une intention au départ d’apporter le bien à la psychiatrie, aux malades et aux chercheurs, très rapidement, les intérêts personnels, la vanité des uns et le narcissisme des autres ont pris le dessus. Comment aider un clinicien en l’excluant de l’opération clinique ?
La modernisation souhaitée de la psychiatrie avec le DSM n’a pas eu lieu, même s’il faut continuer à la chercher, et je pense que cette démarche ne peut se faire sans les psychiatres, les universitaires et les psychanalystes français, les seuls ayant suffisamment de carrure, et cela est dû à pépinière psychanalytique, pour trouver des réponses au problème de la maladie mentale. Pour moi c’est une évidence logique, ou peut-être je me mets le doigt dans l’œil, ce qui n’est pas exclu. (Il est 3 heures du matin ce 31 décembre).
Les bases nord-américaines de la psychanalyse sont faussées. Reich en arrivant aux EUA n’était plus psychanalyste, le behaviorisme est une technique de dressage. La solution est-elle de proposer l’athéorisme ? Le problème est mal élaboré et la solution est donc tordue. Il faut recommencer, mais avec la psychanalyse, la freudo-lacanienne car aucun navigateur ne prend la mer sans carte, sans compas de route – qui sert à maintenir le cap, la direction connue et voulue –, sans compas de relèvement – pour connaître sa position –, et sans s’informer sur les conditions météorologiques.
Ma proposition ? La création d’un groupe de réflexion d’étude clinique en psychiatrie ayant comme cartographie, comme théorie, la psychanalyse, la vraie ; faire table rase de l’expérience DSM et recommencer par la formation clinique des jeunes : des études de cas des patients de langue anglaise avec des psychanalystes français et ainsi, montrer aux collègues anglophones comment les français dirigent des cures et comment ils entretiennent un rapport possible avec les psychiatres prescripteurs. Il faut enseigner comment se déroule le passage du fauteuil au divan, la conduite d’une psychothérapie, l’entrée en psychanalyse, la sortie d’une psychanalyse, les structures freudiennes.
La psychanalyse n’est pas dépassée, le problème est qu’elle ne trouve pas un esprit vif pour galoper avec elle. Celles et ceux qui la représentent sont, à mes yeux, des estropiés de la félicité, des cavaliers du dimanche, les uns à moitié mort, venant à la psychanalyse pour se satisfaire sur le dos des patients, d’autres incapables de vivre leur vie qui se dédient à enseigner une théorie freudienne du désir qu’ils ne mettent pas en pratique dans leur vie. Et tout cela donne des signifiants parlants. La preuve quand ils s’autoproclament psychiatre-psychanalyste (psychiatre trait d’union psychanalyste), psychologue-psychanalyste (psychologue trait d’union psychanalyste), sans oublier l’enseignant de psychologie qui se travesti, l’instant d’une demi-journée, pour devenir, selon son propre mot, analyste. Le mot est dit : des ânes à liste, que ce soit en Europe ou dans les Amériques.
Sont-ils des psychanalystes ? Je ne le pense point. Ils ne le sont pas encore parce qu’ils n’ont pas poussé leur psychanalyse à leur terminus. Et une fois arrivé, il est essentiel de répartir pour un autre tour, sans jamais abandonner son désir. Et au diable le qu’en-dira-t-on.
Je laisse les morts aux morts. Je m’adresse aux comateux du désir, aux handicapés de la joie, aux fâchés de la baise : retournez sur le divan et arrêtez de louer vos idoles, qu’ils soient demi-morts ou demi-vivants. Vos demi-dieux ne sont plus depuis des lustres et vous ne le remarquez pas parce que vous vous identifiez à eux.
Il faut abandonner le DSM et mettre en place ce qui fonctionne ici à Paris, à savoir, la clinique du partenariat, la formation des jeunes psychiatres et psychologues désireux de devenir cliniciens en s’appuyant sur leur psychanalyse personnelle dès leur première année de faculté.
Et ici je m’adresse à mes collègues français : il ne faut pas faire la sourde oreille à l’expérience du RPH : vous ne poussez pas les jeunes à se former à la psychanalyse chez nous mais vous ne vous gênez pas de dire qu’à la fin des leurs études ils seront au chômage, dixit une enseignante universitaire à une classe de première année de psychologie ; ou qu’ils auront un salaire de misère, dixit un vieux professeur de psychiatrie à des jeunes médecins. Quelques-uns parlent mal de moi à leur élèves mais ne se gênent pas d’adresser leur proches à notre CPP pour bénéficier d’une psychothérapie à bas coup. Ces coups bas viennent signaler l’urgence à ce que les psys et les analystes commencent une psychanalyse.
Le diagnostic en psychiatrie n’est pas plus rigoureux qu’avant le DSM III et surtout pas depuis le DSM V. Et cela parce que le discours du patient n’est plus articulé, lié par le transfert avec le clinicien, et que ce dernier n’occupe, malheureusement, que la position de praticien.
Quand la clinique – d’Hippocrate à Lacan – disparaît, il ne reste que stagnation. Il faut réanimer cela et cette réanimation passe par le désir et la parole dite en suivant la règle dictée à Freud par Emmy et Anna, avec les adaptations exigées par les cas cliniques. Mais comme les psys sont fâchés avec leur désir, il leur faut faire une cure de swingue avec James Brown, La Fontaine et Elza Soares. Elza dans son album A mulher do fim do mundo (La femme de la fin du monde), que j’avais découvert à la radio hier après-midi pendant mon déjeuner, chante les violences domestiques commises contre les femmes au Brésil avec un verbe très bien agencé par Douglas Germano. Pas d’empathie – ce concept de débile –, pas d’identification imaginaire à la souffrance de l’autre, mais le verbe bien dit. Ni plus ni moins. Debout les morts !
La recherche et l’épidémiologie en psychiatrie ne vont pas s’améliorer en copiant le modèle scientifique de Claude Bernard au détriment du désir et du corps à corps inévitable entre patient et clinicien. La psychiatrie du XXIe siècle exige la présence du psychiatre, du patient et du psychanalyste. Cette clinique du partenariat est une solution et cela s’apprend comme pédaler ou aimer.
La psychanalyse n’est pas responsable du désordre psychiatrique. C’est tout simplement stupide d’affirmer ça. Ce sont les psychiatres et analystes les responsables de l’image écornée de la psychiatrie et de la psychanalyse.
Les critères opérationnels en clinique sont issus des associations libres des patients, de leur corps, de leurs rêves. Le tout porté par le transfert côté patient et le désir du psychanalyste, côté clinicien. Sans le respect de ces indications freudo-lacaniennes, le bateau de la cure coule, corps et âme. Le problème n’est pas Bucéphale, l’autre nom de la psychanalyse, c’est l’incompétence au désir des cavaliers.
Un diagnostic basé sur l’observation des comportements est tout simplement nul car inapproprié aux êtres parlants. C’est du copier-coller de l’expérience des astronomes et des biologistes. Ce peu de créativité est tout simplement désolant.
Avant de proposer de nouvelles classifications, puisqu’il nous faut une classification, dans le sens d’une cartographie, il faut d’abord un engagement personnel de retour au divan. Et cela passe par un engagement des responsables d’écoles de psychanalyse à inviter vivement leurs membres à retourner sur le divan, indépendamment de leurs âges et leur temps d’expérience clinique.