La lessive
Édith de Amorim
Paris, le 2 avril 2024
C’est une proposition du Docteur Ferlicot et du Docteur de Amorim faite aux membres cliniciens du RPH qui auraient vu le film de Christine Angot, Une famille, d’écrire une brève sur ce film et son sujet.
J’ai vu ce film, un dimanche soir, le 24 mars, au cinéma des Halles dans le 1er arrondissement. C’était au lendemain du colloque du RPH sur le diagnostic où, durant les pauses, entre nous, nous échangions de façon très animée sur ce qui se disait du film, ou sur ce que son auteur en disait. La séance de 20h35, j’arrive un peu en avance et je vois la salle se remplir à mon grand étonnement. Il y a du public. Peut-être l’affluence est-elle due à la fête du cinéma qui propose le tarif unique de 5 euros ? Je ne le pense pas. Ce film n’a rien d’une fête ou d’un divertissement.
C’est un film documentaire sur les ravages de l’inceste – en cette occurrence, l’abus d’un père sur sa fille d’un premier lit – et je n’ai pas aimé ce film ; j’ai écouté, j’ai vu, j’ai déduit, j’en ai eu marre même par moments, rares, et j’ai reconnu à Christine Angot, l’auteur-monteur-interprète, ce remarquable courage qu’il faut aux êtres qui ne veulent pas être poussés du pied comme les petits cochons.
Non, elle n’en a pas fini avec l’inceste car, avec cet abus que s’autorise un majeur sur l’enfant, les shrapnells n’en finissent pas de retomber et de blesser. Et les autres majeurs – ici, la femme de son père – qui assistent sans intervenir et sans mot dire doivent savoir qu’ils perdent alors tout droit à la politesse la plus élémentaire ; la porte est forcée et sa croyance en son « mari très intelligent et très cultivé » vole en éclat. Un homme qui abuse d’une adolescente, un père qui abuse de sa fille, qu’ils soient intelligents ou non, cultivés ou non, restent des êtres qui deviennent des justiciables et qui doivent rendre compte de leurs méfaits.
Ce qu’Une famille montre c’est que ces viols teintent la vie de la toute jeune fille jusque dans ses années de maturité et jusqu’à sa propre fille : la scène avec sa fille aimée et protégée montre comment l’abus atteint la nouvelle génération.
Il n’y a pas chez Angot de jouissance morbide à dire et redire ce qu’elle a vécu. Il y a son courage à assumer ses larmes, sa colère, ses mots et pas qu’avec la « femme de son père ». Elle monte un témoignage percutant quant à l’épaisseur du cuir, le nôtre, nous empêchant de bien saisir ce qui ne va pas dans les conséquences des actes odieux de ces êtres lâches et jouisseurs. Qu’ils finissent en prison n’est pas la question de ce film ; la question de ce film est que ces abuseurs sont portés, voire blanchis, voire même absous par « la femme du père », « le fils du père », « l’ami du père », « les amies de la femme du père qui est tellement bien ».
Je ne veux pas être de ces gens. Et le film d’Angot sonne comme La lessive de Prévert : « Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt / C’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin / Tombent et crèvent comme si c’était l’automne… / […] / Les pieds du chef de famille sont rouges / Mais les chaussures sont bien cirées / Il vaut mieux faire envie que pitié. »