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La lettre du RPH avril 2018

 

  Lettre du RPH

Édith de Amorim

Avril 2018

Époque formidable et étrâne 

         Qui oserait clamer aujourd’hui qu’il s’ennuie ? Qui ? Oui, je sais j’ai fait la promesse de ne plus jamais poser de question de merde, mais ce n’est pas une question merdique, une fois dépassé l’effet de navrance (ceci n’est pas un néologisme) sa subtilité se fait jour… Patience. Où que l’on se tienne, quelque soit notre horizon, borné ou large, d’où que l’on regarde il se passe toujours un évènement : pas une pensée qui ne s’énonce sans nous faire frissonner, un fait ne survienne qui nous fasse frémir, une chronique mondaine qui nous fasse frisonner (ni néologisme, ni tentative de répétition, ni faute de frappe, juste un synonyme de « frisoter »).

Donc, si on veut choisir un sujet pour écrire une lettre mensuelle, par exemple, ça ne devrait pas être trop difficile. Et d’ailleurs, en voici un, de première main, qui souffle en ce moment dans et sur les têtes des membres du RPH : accent ou pas sur les majuscules ? J’ai longtemps crié au loup car je suis de cette Élémentaire où l’on apprenait qu’il ne fallait pas mettre d’accent sur les majuscules ; seulement me voilà rattrapée par les eaux du progrès, des mises à jour et des jeunes gens qui passent sous mon pont et je dois, désormais, faire amende honorable (la barbe !). C’est entendu, l’accent ayant « en français pleine valeur orthographique » (www.academie-francaise.fr, Accentuation des majuscules) veillons, donc, à utiliser les capitales accentuées, y compris la préposition « À ». Et voilà, tant qu’on pouvait se passer des accents sur les majuscules, on pouvait écrire A – a – ou bien – à – sans problème, c’était comme une trêve dans la Ghouta orientale durant dans la dictée.

Je me plie donc à la nouvelle règle, mais je ne résiste pas à vous livrer les effets de ma résistance : ainsi, j’ai d’abord cru que mon clavier, lui, ne pouvait s’y résoudre et j’ai pensé écrire « Aidith » (et aussi « aipoque ») et je pensais « c’est fou comme c’est moche à mes yeux ; mais Aidith avec un accent est encore plus « étrâne » qu’étrange, merci Jacques (Prévert, poème Etre ange c’est étrange, Fatras)). À la fin de la Lettre, j’ai découvert le fameux É dans mes symboles…

Et là, alors que j’allais doubler Charybde, je découvris par hasard que je commettais une autre erreur de règle et de grammaire : je tombai sur un point capital et, à moi, fatal : il n’est pas conforme à la règle de mélanger, à l’écrit, la majuscule capitale et les minuscules en cursives, ce que je fais depuis que j’écris mon prénom comme une grande. La règle est qu’on emploie la majuscule calligraphique suivie des minuscules en cursive, ou bien on peut aussi tout écrire en majuscules calligraphiques, si on veut. Y’en a qui veulent ?

Je double ce premier cap, insignifiant seulement pour les étourdis, je vois pas loin Scylla quand je croise d’autres éléments de notre époque formidable et étrâne : Monsieur Anthony Housefather, vous le connaissez ? Il est député du parti libéral de Justin Trudeau, Premier Ministre du Canada et il vient d’annoncer son intention de déposer un projet de loi « visant à faire de la gestation pour autrui (GPA) une activité commerciale comme une autre. » (Mathieu Bock-Côté, Sociologue, dans une chronique au Figaro du 13 avril 2018).

Pour le formidable : c’est l’écho qui est donné à ce concept freudien du « refus de la féminité » commun aux deux sexes et dont Jean-Baptiste Legouis nous en rappelle la réalité dans son intervention lors du colloque du RPH (publié dans la Revue de psychanalyse et clinique médicale, « Œdipe ta mère ! »Les trois temps de l’Œdipe, Acte I : Mère, enfant, phallus L’étoffe d’un désirn° 41, RPH, Paris, 2018, pp. 185-86) ; le formidable c’est que le député soit freudien, comme tant d’autres, sans le savoir ; ils se pensent aux antipodes des thèses de Freud. Je précise – les temps que nous vivons sont à la précision prudentielle – que la grossesse n’est pas le seul fondement de la féminité, mais il est certain que cela est dévolu à la femme.

Autre formidable : entendre et voir quelles déconsidérations, voire détractions, accompagnent aujourd’hui cet état d’être enceinte : « un travail comme un autre », « un service comme un autre », « une aliénation » dont la science doit nous affranchir via cette belle machine qu’on nomme déjà par son petit nom : UA, pour utérus artificiel. Or, que trouve-t-on au bout du nez de ces tristes hérauts ? Mais, bien sûr, cette sempiternelle méprise merveilleuse de ces êtres anges qui nous vendent un monde de Conte de phallus (je rappelle pour mémoire qu’il est toujours tumescent), dans lequel le malfaisant, le méprisable et le haïssable est toujours féminin et doit être terrassé, je veux parler de la sorcière.

Quant à l’étrâne de la proposition de loi canadienne, il tient au nom du député : Monsieur Homefather qui propose un Home sweet Home sans mère grosse, pour celle-ci appelez les SAV des pauvresses !

         Je vous propose de passer à Scylla pour le digestif, la tisane et le Whist (n’oubliez pas sa règle n° 9 : silence !) pour continuer à nous divertir aux frais de cette époque formidable bien qu’étrâne.

Seriez-vous antispécistes ? Autrement dit : pensez-vous que les animaux soient nos égaux, nos semblables ? Si vous répondez « oui » alors vous êtes antispécistes. Si vous répondez « non » alors vous êtes spécistes, vous vous croyez différent des animaux. C’est notre époque formidable : pas de différence, tout le monde il est beau et gentil. L’antispéciste ressemble, un peu, à un Saint François d’Assise mâtiné d’un Jean Yanne – moins la poésie s’entend – qui parle aux abeilles, aux biches et aux guenons comme il parle à Isabelle, Joséphine et Albertine.

L’antispéciste ne souffre pas que l’homme se prenne pour autre chose qu’un animal. Autant vous dire que l’antispéciste n’est pas l’ami, mais pas du tout, de lui-même ; il nourrit un amour infini pour son autodénigrement. Vous l’aurez compris c’est le refus de la notion d’espèce dans toute sa splendeur. Entre qui refuse la notion d’espèce et qui celle de genre, on a tout l’espace qu’il faut pour installer le refusement à tous les étages.

Enfin, dernière étrâneté : « Même dans les pays les plus libéraux arrive toujours le moment où la régulation s’impose. » Ca semble, dit comme ça, frappé au coin du bon sens de la castration symbolique ; oui mais qui dit ça ? C’est Gaëtan de Capèle dans son édito du Figaro du 12 avril dernier.

Moralité : il n’y aurait plus que les Académiciens pour refuser le refus ; leur slogan serait : « Sus aux atténuations, vive l’accentuation ! » ; pour les antispécistes, transgenres, pro utérus artificiel et autres chantres du libéralisme économique à tout crin, c’est : « Tous pareils et un pare à tout ».

Avril ? Ne te découvre pas d’un fil !

Si j’étais poète…

Parvenus que nous sommes à l’heure d’été, retrouvons nos jolis moutons de nos nuits poétiques si vous le voulez bien.

Ainsi, j’en ai trouvé un que je dédis aux antispécistes de tout bord ; c’est une poétesse, Wislawa Szymborska (Szymborska, W., De la mort sans exagérerPoésie Fayard, Paris, 1996, p. 79) son poème se prénomme :

Éloge de la mauvaise opinion de soi

Le busard n’a strictement rien à se reprocher.

Les scrupules sont étrangers à la panthère.

Les piranhas ne doutent jamais de leur action.

Le serpent à sonnette s’approuve sans réserve.

Personne n’a jamais vu un chacal repenti.

La sauterelle, l’alligator, la trichine et le taon

vivent bien comme ils vivent, et en sont très contents.

Un cœur d’orque pèse bien cent kilogrammes

mais sous tout autre aspect demeure fort léger.

Quoi de plus animal

que la conscience tranquille

sur la troisième planète du Soleil.

Bon avril et bon fil.