Délimiter les frontières
Fernando de Amorim
Paris, 5. III. 2003
Qui assure la clinique de la psychanalyse aujourd’hui ? Il me semble fondamental que le psychanalyste puisse exposer sa pratique, citer son psychanalyste, son contrôleur, parler de son entrée et de sa sortie de la cure. Il ne faut pas que les EGP puissent devenir un refuge pour les paresseux ou les résistants au savoir sur le désir inconscient, désir auquel nous ne pouvons accéder qu’allongé sur le divan. Seuls les psychanalystes pourront sortir la psychanalyse des catacombes où eux-mêmes l’ont placée ! Qui en particulier a commis cela, importe peu. Ce qui importe c’est que chaque psychanalyste puisse être engagé et témoigner de cet engagement avec la psychanalyse. Il est aisé de parler de la psychanalyse, mais si on n’est pas encore sorti de sa cure, on ne pourra pas encore être dans la position de celui qui peut la défendre avec des arguments cliniques.
Une fois mis l’accent sur l’indispensable éthique du psychanalyste de continuer en psychanalyse sans fin (la psychanalyse avec fin est pour celles et ceux qui ne veulent pas devenir psychanalystes), nous pouvons passer à un second point. Pouvons-nous nous passer aujourd’hui de l’étude critique de Freud, de Lacan, de Klein et de Winnicott ? Ne risquons-nous pas de rester dans ce que Lacan avait appelé la relation imaginaire si le psychanalyste n’occupe pas l’unique position qui lui soit possible, à savoir d’objet cause du désir ? Il me semble qu’entrer dans les débats des sociétés psychanalytiques sans appui clinique, peut faire courir le risque au psychanalyste de perdre sa position d’objet cause du désir et n’oblitère chez son interlocuteur le désir de savoir.
Le psychanalyste risque fort de se retrouver dans l’embarras s’il s’engage en tant que tel dans le débat sur les nouvelles techniques médicales, sur l’informatique et la psychopharmacologie sans une sustentation clinique solide des dires de ses patients et surtout de ses psychanalysants. Il faut délimiter nos frontières. A partir de là nous pourrons dire ce que nous faisons et ainsi choisir une direction plutôt qu’une autre. Cela tend également à signaler à un psychanalyste d’une autre orientation, d’une autre langue, les effets produits dans la cure à partir du moment où, engagé avec le savoir, le patient choisit d’aller au-delà de la guérison, donc de la psychothérapie. Contrairement à la médecine, la psychanalyse guérit le psychanalysant en allant au-delà de la perspective thérapeutique ; cela signifie que la guérison n’est plus le but ni du psychanalysant ni du psychanalyste. Le psychanalysant veut savoir et le psychanalyste doit se taire.
J’ai pris le parti, par souci méthodologique et d’orientation de la libido dans la cure, de distinguer trois positions dans la clinique :
La psychothérapie avec psychothérapeute : dans cette position, seul le transfert engage le malade ou le patient à rendre visite à celui qu’il traite de tous les noms, à savoir, le médecin, le psychothérapeute. Ce qui va marquer cette position c’est le fait qu’après avoir cessé de rencontrer le psychiste, les symptômes reviendront ! Nous pouvons repérer cela aussi quand l’individu dit qu’il n’a rien appris de ces rencontres, c’est-à-dire que le patient n’a pas reconnu le psychiste dans la position de l’Autre barré, de sujet-supposé-savoir qui sait quelque chose sur la souffrance, à lui, au patient. Nous pouvons repérer ici aussi la résistance du patient au savoir inconscient.
La psychothérapie avec psychanalyste : dans cette position, le transfert est au rendez-vous et le malade ou le patient pense que celui qui l’écoute sait quelque chose sur sa souffrance, souffrance que l’Autre en la personne du médecin, n’a pas pu soigner. Ici le psychanalyste est dans la position d’attente, il n’est pas installé par le malade ou le patient dans la position d’objet a. Dans cette position, c’est le psychanalyste qui fait les plus grands efforts pour que le patient puisse devenir psychanalysant. C’est ici que nous pouvons reconnaître les psychanalystes qui vont dans les institutions. Ce sont eux qui mouillent le plus leur chemise. Aller à l’hôpital, psychiatrique et général, doit être l’un des critères non seulement d’amour à la médecine, mais également de preuve des capacités d’endurance du futur psychanalyste.
Psychanalyse : dans cette position le patient décide de savoir en entrant en psychanalyse. Cette décision apaise son organisme. Le corps du psychanalysant peut être l’arène de conflits exprimés sous forme de maladies somatiques mais même ces maladies prennent une tournure clinique différente. Les symptômes diminuent ou augmentent. S’ils restent stables la cure rate sa visée.
Pour le RPH, l’entrée en psychanalyse se caractérise par la question que le patient pose à l’Autre. Quand le patient pose sa question à celui qui l’écoute nous avons la confirmation du transfert psychothérapeutique, mais non pas qu’il y ait déjà entrée en psychanalyse. Quand le patient pose sa question de sa souffrance, non pas à la personne physique dans la pièce mais à l’Autre du signifiant, il y a entrée en psychanalyse. Il est temps d’installer le patient sur le divan, ce qui lui donne le statut de psychanalysant et qui installe celui qui l’écoute dans la position de supposé-psychanalyste.
Ici, à Paris, au lieu de donner notre avis sur les questions et les problèmes actuels de société, la médicalisation excessive des citoyens, les nouvelles technologies reproductives, le clonage, nous invitons pour en débattre avec les psychanalystes, des immunologistes, des linguistes, des médecins.
Car, peut-être, en travaillant ensemble, sous transfert, dans ce que j’avais appelé la clinique du partenariat, les questions pourront-elles trouver des réponses.
Le psychanalyste d’aujourd’hui
Fernando de Amorim
Paris, le 2. I. 2003
Devons-nous parler du malaise de la psychanalyse ou bien de celui des psychanalystes ? Sans aucun doute je m’engage à reconnaître que le malaise contemporain est du côté des psychanalystes. Ils sont largement dépassés par les évènements. Alors que la médecine, la génétique, la virologie, accomplissent des pas énormes, les psychanalystes s’acharnent à nier l’enseignement de Lacan. Bien entendu, d’aucuns diront qu’ils sont lacaniens, comme ceux-là disaient, lors des derniers EGP (les états généraux de la psychanalyse), qu’ils étaient des « psychanalystes junguiens ». Il me semble qu’il soit de la responsabilité de chaque psychanalyste d’établir des critères pour reconnaître les siens. Loin d’être une pratique discriminatoire, il s’agit d’une perspective qui vise à protéger la psychanalyse de ceux qui se disent psychanalystes. La création de l’IPA (Association psychanalytique internationale) n’était pas une si mauvaise idée. Elle a pu protéger la psychanalyse de ses détracteurs. Aujourd’hui, nous pouvons dire que les détracteurs de la psychanalyse sont ceux-là mêmes qui s’en sortent (personnellement, professionnellement et socialement) dans la vie grâce à elle.
Comment prouver que quelqu’un est psychanalyste ?
Lacan a mis en place le dispositif de la passe. Ce dispositif est-il reconnu par les psychanalystes ? Loin s’en faut. Une psychiatre brésilienne m’a dit qu’elle était lacanienne car elle faisait des séances de cinq minutes. Une psychologue, tout aussi bien psychanalyste, appartenant à l’IPA brésilienne, disait qu’elle n’était pas lacanienne car elle faisait des séances de quarante-cinq minutes. Cette conversation, concernant deux psychistes brésiliennes montre l’importance des EGP comme lieu d’interrogation de ce que signifie être psychanalyste aujourd’hui.
Etre psychanalyste est-ce contrôler chronologiquement le temps de séance ? Bien évidemment non ! Ainsi, comment faire, puisqu’il semble que les EGP ne s’arrêtent pas à deux rencontres et que les psychanalystes ont besoin de se rencontrer pour témoigner d’où ils viennent et ce qu’ils pensent faire ? Il faut stimuler cette génération qui arrive à lire les textes fondamentaux (Freud, Klein, Lacan, Winnicott). Bien entendu en les stimulants vivement à continuer leur psychanalyse personnelle. Si pour le psychanalysant, pour quelques psychanalysants, la psychanalyse est avec fin, pour le psychanalyste, la psychanalyse est sans fin, afin de protéger la psychanalyse, et surtout le psychanalysant du désir non-castré du psychanalyste, désir qui se reconnaît tout au long des scissions qui ont émaillé le mouvement psychanalytique. La visée n’est pas d’empêcher le psychanalyste d’être humain (je n’oserai pas pousser si loin mon innocence !), mais de le maintenir dans la position d’objet petit a car c’est dans cette position qu’il peut opérer en tant que psychanalyste.
Le psychanalyste d’aujourd’hui est d’un niveau culturel assez limité. Il me semble que les EGP doivent évoquer cela en public et pousser les psychanalystes à continuer leur psychanalyse ; à continuer leur contrôle ; à continuer à témoigner des études effectuées dans une publication, pourquoi pas dan un site Internet des EGP par exemple ; du maniement nécessaire du français, de l’allemand, de l’espagnol et de l’anglais comme langues de base des psychanalystes. En faisant cela, dans trois EGP (six ans) nous pourrons repérer la naissance d’un esprit commun des psychanalystes. La psychanalyse brésilienne est brésilienne au même titre que l’anglaise est anglaise. Mais elles ont toutes un lien commun, à savoir, la visée de l’Œdipe par la castration et la Durcharbeitung freudienne comme sortie de la cure, car c’est par la porte de sortie que nous pouvons reconnaître si quelqu’un a traversé ou non, une psychanalyse.
Toutefois, on pourrait m’objecter que je n’aborde pas la porte d’entrée en psychanalyse, la règle fondamentale, le divan. Je pense que le point crucial pour une rencontre entre psychanalystes est de savoir s’ils sont vraiment dans la position du psychanalyste. D’où mon souhait que nous puissions rappeler qu’être psychanalyste c’est être sorti de sa psychanalyse personnelle, avoir assuré son contrôle, c’est aussi avoir assuré au moins une cure jusqu’à son terme… Les autres questions, très importantes, seront discutées après un premier tri.
Je ne parle pas de discrimination mais de castration pour les psychanalystes. Il y a, depuis Freud, quelques règles de base qui caractérisent la conduite de la cure. Les négliger c’est donner la preuve qu’il ne s’agit plus de psychanalyse et que celui qui assure la cure n’est plus dans la position (je ne dis jamais « place », pour préserver l’incertitude) de psychanalyste.
Supposé-psychanalyste
Fernando de Amorim
Paris, le 17. VI. 2008
Le site Œdipe (www.oedipe.org) nous signale la dernière version du projet de décret relatif à l’usage du titre de psychothérapeute. Si cette version du projet est promulguée, elle sera très nocive pour la clinique en général car elle gèlera la « position » du psychothérapeute, la transformant en « place » de psychothérapeute. Selon la logique du RPH, la psychothérapie est une thérapeutique qui suppose, d’un côté, un être dans la position de malade ou de patient, de l’autre, un être capable de supporter le transfert.
Pour supporter le transfert il est essentiel d’être en psychanalyse. C’est sur le divan qu’on apprend à supporter, au moins cliniquement, le discours de l’autre. En conséquence, officialiser, c’est-à-dire donner un statut de place à ce qui est, depuis toujours, une position, position transférentielle, ne va pas contribuer à mieux protéger le citoyen des incompétents, de la mauvaise foi ou du délit sectaire. Si le titre de psychothérapeute est officialisé, je propose que celles et ceux qui, cliniquement, supportent déjà le transfert et qui ne sont pas encore sortis de leur cure personnelle et, surtout, qui n’ont pas encore conduit une cure psychanalytique jusqu’à sa sortie, soient reconnus dans le milieu clinique en tant que « SP » (supposé-psychanalyste). La position de psychothérapeute, comme celle de SP, est reconnue au sein du RPH.
La position de psychothérapeute est celle du face à face. La position de supposé-psychanalyste est celle du patient qui a posé sa question au grand Autre et qui s’est vu être propulsé vers le divan. En devenant psychanalysant, celle ou celui qui l’écoute est dans la position d’objet a pour le psychanalysant, mais de supposé-psychanalyste pour la communauté psychanalytique, puisque nous savons qu’elle/il n’est pas encore sorti(e) de sa psychanalyse personnelle. Cette proposition vise à donner un statut à celles et ceux qui désirent devenir psychanalystes sans y être encore. Elle vise aussi la formulation « psychanalyste en formation ». Tout au long de ma journée, je peux être mis dans la position de psychothérapeute par un patient psychotique ou par quelqu’un qui n’est pas entré en psychanalyse, c’est-à-dire, qui n’a pas encore posé sa question à l’Autre et qui est en face à face. Je peux aussi être dans la position de supposé-psychanalyste par le patient qui vient d’entrer en psychanalyse et je continuerai à l’être jusqu’à ce que le psychanalysant trouve la sortie de sa psychanalyse. C’est lorsque le psychanalysant devient sujet, que le supposé-psychanalyste devient, effectivement, psychanalyste de cette cure, c’est-à-dire, que nous avons la preuve qu’il a assumé véritablement la position d’objet a.
La semaine dernière, j’ai été reconnu en tant que psychanalyste par une psychanalysante qui m’avait installé, douze ans auparavant, dans la position de supposé-psychanalyste. Durant quatre mois j’avais été dans la position de psychothérapeute. Lorsqu’elle posa sa question à l’Autre, elle m’a sorti de la position de celui qui supporte le transfert (psychothérapeute) pour occuper la position d’objet cause de désir (supposé-psychanalyste).
Je suis devenu effectivement le psychanalyste de sa psychanalyse car elle a trouvé la sortie de sa cure. Si elle n’avait pas trouvé la sortie, si elle avait abandonné sa psychanalyse, le soi-disant psychanalyste n’aurait donc pas été en mesure d’assurer sa fonction d’objet a et, en conséquence, n’aurait pas été le psychanalyste, de cette cure-là tout au moins. Si l’être entre en psychanalyse, celui qui l’écoute devient objet a pour le psychanalysant, comme l’avait souhaité Lacan ; mais celui qui écoute est dans la position de supposé-psychanalyste pour la communauté psychanalytique, jusqu’à ce qu’il puisse assurer au moins une psychanalyse.
La psychanalysante en question a dénoué les symptômes qui la faisaient souffrir et qui l’avaient poussée à venir me rendre visite la première fois. Elle s’est dite prête à reprendre les rênes de son existence. Et à partir de la vérification des effets de la psychanalyse chez elle, le psychanalyste pourra témoigner de la sortie.
La différence entre un psychothérapeute et un psychanalyste consiste en ce que ce dernier sait repérer la porte d’entrée d’une psychanalyse. Dans une psychothérapie, ça tourne en rond. Ca s’évacue, comme aux toilettes – ce qui, certes, est une bonne chose – mais ça ne dénoue pas ce qui fait symptôme.
Nous ne pouvons pas mélanger les psychothérapeutes et celles et ceux qui sont dans la position de psychanalyste ou qui assurent une psychothérapie avec psychanalyste (Cf. Cartographie).
D’où ma proposition d’installer, si la position de psychothérapeute devait devenir place de psychothérapeute, la position desupposé-psychanalyste pour distinguer celles et ceux qui sont en psychanalyse, étudient la psychanalyse avec un désir décidé à devenir psychanalyste.