Est-ce de la psychanalyse ou pas encore ?
Fernando de Amorim
Paris, le .. .. 2006
« L’activité psychanalytique est difficile et exigeante, elle ne se laisse pas manier aussi aisément que des lunettes qu’on chausse pour lire et qu’on enlève pour aller se promener. En règle générale, la psychanalyse possède le médecin ou pas du tout. Les psychothérapeutes qui se servent aussi à l’occasion de la psychanalyse ne se trouvent pas – à ma connaissance – sur un terrain analytique solide ; ils n’ont pas accepté toute l’analyse ; mais ils l’ont dilué, peut-être « désintoxiquée » ; on ne peut pas les compter parmi les analystes. Je trouve que c’est regrettable. ». Freud, 1933.
Elisabeth Roudinesco avait animée dimanche 17 décembre dernier une discussion à l’issue du documentaire de Daniel Friedmann intitulé « Lacan et les psychanalystes ». Que sont devenus celle et ceux qui étaient jeunes psychanalystes en 1983 ? Entre autres, E. Prado de Oliveira, M. Zafiropoulos, E. Roudinesco ont aujourd’hui des postes universitaires, G. Haddad est reconnu par ses interrogations sur la religion.
Ma visée ici est d’interroger la relation du psychanalyste avec la psychanalyse. Jusqu’à présent, seul Freud et Lacan ont eu des relations rigoureuses avec le discours inconscient, celui-là même qui justifie l’existence de la psychanalyse et de sa clinique. Pour ce qui concerne les jeunes de 1983, je pense que nous pouvons parler d’une réussite subjective pour chacun d’entre eux. Mais je ne m’adresse pas ici à des psychanalysants, à savoir, celles et ceux qui à la sortie de leur psychanalyse sont devenus sujets (et pas forcément psychanalystes). Je m’adresse à celles et ceux qui ont fait allégeance à la psychanalyse en se disant psychanalystes. L’ont-ils fait vraiment ? Aucun d’eux, jusqu’à présent n’est « strictement psychanalyste », selon la jolie formule d’Elisabeth Roudinesco.
La psychanalyse vit grâce à sa clinique, la rencontre quotidienne avec le patient, mais surtout grâce à la rencontre avec le psychanalysant. Je peux parler de ce qui se propose au sein du RPH pour servir la psychanalyse : a) Le psychanalyste ne quitte pas la position de psychanalysant car je pense que, pour protéger la psychanalyse et le psychanalysant du psychanalyste, celui-ci trouve des sorties mais non une fin à sa psychanalyse. Cela pour, peut-être, dégonfler le moi du psychanalyste de cette tendance humaine à servir le maître ; b) Le RPH prône la formation des psychanalystes dans sa consultation publique de psychanalyse où de jeunes psychanalysants reçoivent des gens en psychothérapie ou en psychanalyse. D’un côté des gens démunis financièrement et de l’autre, des gens désireux de devenir psychanalystes.
Cette consultation existe depuis 1993. Ce sont les psychanalystes qui assurent la supervision (pour les psychothérapeutes) et le contrôle (pour les supposés psychanalyses) des jeunes praticiens. Cette consultation peut être une réponse apportée à la foule des jeunes gens qui sortent des facultés de psychologie et à la paupérisation des psychiatres. Il est incontestable que ni les psychologues ni les psychiatres ne savent quoi faire avec le transfert.
Pour conclure, les psychanalystes devraient investir sur le strictement psychanalyste car la psychanalyse ne peut pas compter avec les mi-analystes (l’expression est de Freud à Jung), au risque de devenir, une méthode, une psychothérapie. Psychothérapie elle ne l’est pas, mais, quelquefois le psychanalyste est appelé à s’occuper de cette thérapeutique. Il ne doit pas céder de sa position de psychanalyste tout en s’occupant de la psychothérapie du malade ou du patient pas encore ou jamais prêt à devenir psychanalysant. C’est ce que j’avais démontré dans ce que nous avons appelé la « cartographie du RPH ».
Remarquons que Freud n’a jamais quitté sa position de psychanalyste car la mort le pris alors qu’il écrivait l’« Abrégé de psychanalyse ». Je pense que la psychanalyse du psychanalyste, comme sa relation avec l’inconscient ne s’abrège pas. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne Lacan qui, même avec les discussions institutionnelles et aux portes des enfers (ne vous étonnez pas, un psychanalyste va en enfer. Il laisse le paradis aux innocents) n’a pas quitté les rendez-vous avec la clinique.
Nul ne sait s’il est psychanalyste. Seul le psychanalysant peut installer le psychanalyste dans cette position et l’évaluer, surtout lorsque la dimension imaginaire du transfert s’est effacée. C’est une fois mort que nous pouvons dire, à partir de ses dires, de ses écrits et du témoignage de son psychanalysant, que le défunt était psychanalyste. Les jeunes de 2006 ont bien raison de désirer devenir des psychanalystes.