La santé mentale de l’enfant et la remise en question de l’usage des médicaments psychotropes (2)
Paris, vendredi le 7 avril 2023
Nouha Babay, étudiante en psychologie
La deuxième partie du rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, (HCFEA), publié le 7 mars dernier, porte sur l’« Augmentation continue de la consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant » ? [1] Dans cette partie, les auteurs présentent une analyse basée sur une batterie de chiffres et aboutissent à un constat déconcertant : la consommation des psychotropes chez la population juvénile a augmenté en France, +5% de la population pédiatriques par rapport aux autres pays européens[2]. Les rapporteurs expliquent que la consommation de ces médicaments a doublé en France depuis 2010[3].
Sur l’année 2021, l’administration des hypnotiques a atteint une augmentation de + 224%[4]. De même, certaines pratiques de médecins invitent à se poser la question sur la part de responsabilité que prennent ces derniers à la rencontre d’un jeune en souffrance. On apprend que des médicaments psychotropes sont prescrits hors autorisation de mise sur le marché (AMM)[5] et dans certains hôpitaux, 66 % des prescriptions destinées aux enfants et aux adolescents concernent des médicaments réservés à l’adulte[6].
Les auteurs mettent, également, en lumière la défaillance du modèle tout biologique et l’inefficacité de ces traitements. Ils signalent l’inadéquation du diagnostic basé sur le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) avec la clinique juvénile.[7] Dans le cas de TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec/sans Hyperactivité), le rapport dévoile l’existence de nombreux biais scientifiques, médiatiques et de distorsions qui invalident le diagnostic du TDAH. Parmi ces biais, ils soulèvent les biais de publications, l’embellissement de résultats, l’interprétation abusive et les conflits d’intérêt[8].
Ces résultats inquiétants appellent, effectivement, comme le recommande la HAS (la Haute Autorité de santé) et la ANSM (L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), à la mise en place urgente d’une étroite collaboration entre les médecins et les différents acteurs. Ainsi, « des mesures psychothérapeutiques, psychoéducatives et sociales doivent être privilégiées en première intention. »[9]
Cette proposition trouve écho dans la pratique de la clinique du partenariat au sein du RPH – Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital-École de psychanalyse – et qui se base sur le concept de la « cônification du transfert ». Ce concept a été élaboré par le docteur Fernando de Amorim depuis les années 1990 et il « vise à inciter les professionnels de médecine à introduire le psychanalyste dans la consultation médicale dès le premier rendez-vous avec le médecin.»[10]
Cette collaboration entre le médecin et le psychothérapeute est cruciale, car lorsqu’un enfant développe un symptôme, il est important de distinguer le symptôme organique, du symptôme corporel et du symptôme psychique.
Cette stratégie ne se construit pas sans la responsabilisation des parents, car le symptôme de l’enfant est comme « un héraut »[11]. En effet, le docteur de Amorim indique que « l’enfant est le symptôme des organisations intramoïques de ses parents. Je nomme « organisations intramoïques » la résistance du Surmoi décrite par Freud et l’Autre non barré, que je prélève de l’enseignement de Lacan. »[12] C’est pourquoi, au RPH, quand l’enfant, ou l’adolescent, arrive dans le cabinet du psychanalyste, il est reçu avec la visée d’inviter les parents à entamer une psychothérapie ou une psychanalyse pour dénouer la souffrance qui a débordé sur leurs enfants.
Certes, beaucoup de points sont encore à élaborer à la lecture du rapport du 7 mars 2023 du HCFEA, mais je termine ma brève sur le constat et la conclusion positive qui invite à privilégier les psychothérapies face aux traitements biologiques. Le document du HCFEA recommande trois types de psychothérapies sans prendre de position: la psychanalyse, les pratiques psychodynamiques et cliniques ; les méthodes cognitives et comportementales (TCC) ; les thérapies familiales et groupales[13].
La psychanalyse, grâce à la méthode des libres associations, offre à l’enfant ou à l’adolescent en souffrance la possibilité de construire une existence pour pouvoir « aller au-delà de l’Œdipe »[14]. Cela « doit être la visée pour une vie humaine dès sa naissance. La fonction des adultes qui entourent le petit d’homme est de le soutenir dans cette voie, à savoir, qu’il devienne sujet dans son rapport au réel. Une telle autonomie de l’être parlant, à savoir, viser à aller au-delà de l’Œdipe dès sa naissance, ne se fera pas sans le désir castré des organisations intramoïques des mères, des pères et des adultes qui entourent le petit d’homme.»[15]
[1] Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, QUAND LES ENFANTS VONT MAL : COMMENT LES AIDER ?, le 7 mars 2023, https://www.hcfea.fr/spip.php?rubrique8
[2] Ibid, p.43
[3] Ibid
[4] Ibid, p.44
[5]Ibid, p.48
[6] Ibid
[7] Ibid, p.97
[8] Ibid, p.89-93
[9] Ibid, p.70
[10] De Amorim, F. (2020), Psychanalyse gratuite ? le prix à payer, https://www.fernandodeamorim.com/details-psychanalyse+gratuite+le+prix+a+payer-501.html
[11] De Amorim, F. (2020), Quelle place pour l’enfant dans la famille ? – L’héraut, https://www.fernandodeamorim.com/details-quelle+place+pour+l+enfant+dans+la+famille-516.html
[12] Ibid
[13] Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Op.cit., p.109
[14] De Amorim, F. (2019), La psychanalyse fait-elle partie du champ de la science ? – Séminaire Lentonnet, Paris, RPH, 2019, p.171
[15] Ibid