« Troubles neurologiques fonctionnels : les patients en mal de reconnaissance »
dans le dossier du Monde scientifique[1]
BRÈVE 1
Laure Baudiment
Paris, le 13 septembre 2024
SOCRATE. – Par exemple, dans les temps les plus reculés on appelait le jour himéra ou héméra, tandis qu’aujourd’hui on dit hêméra.
HERMOGÈNE. – C’est exact.
SOCRATE. – Or sais-tu bien que, seul, cet ancien nom exprime la pensée de l’auteur ? C’est parce que les humains éprouvaient de la joie à voir la lumière sortir de l’obscurité et la désiraient (himeïrousin) qu’on a fait le mot himéra (désirée).
HERMOGÈNE. – Apparemment.
SOCRATE. – Aujourd’hui il a reçu une forme pompeuse et l’on ne peut plus comprendre ce que veut dire hêméra.[2]
Non, chers êtres souffrants, vous ne souffrez pas d’un mal mystérieux ni d’un cerveau malade, vous souffrez d’une libido qui a perdu – voire jamais trouvé – le chemin de la mise en pensées, des mots justes, bien dits. La libido inonde votre corps d’appels à l’aide : « Réveille-toi mon ami », hurle-t-elle. Refoulée, ignorée, mal-aimée, la psychanalyse continue d’éclairer les êtres qui ont le courage de sortir de leur ignorance et de prendre rendez-vous chez un psychanalyste, le spécialiste du corps, de la psyché, du désir inconscient, des signifiants et des troubles neurologiques fonctionnels.
Cette tirade – et je pèse mes mots – est la résultante de la lecture d’un article du supplément Sciences et Médecine du Monde[3] dont le titre a retenu mon attention critique : « Troubles neurologiques fonctionnels : les patients en mal de reconnaissance ». La journaliste relate le « désintérêt majeur » du monde médical et politique envers la pathologie composée par des symptômes comme des troubles de la parole, la perte de l’utilisation d’un ou plusieurs membres sans lésion, la paralysie d’un membre, des mouvements anormaux, des vertiges, la perte d’un sens, des tremblements, des convulsions, des pertes de conscience. Elle développe diligentement l’étude qu’elle a mené en milieu hospitalier, dans les départements de neurologie de Nancy et Bobigny. Elle relate un certain nombre de fois la parole de malades en « mal de reconnaissance » comme si elle allait trouver une vérité générale en multipliant les cas. Puis, madame Pepy aborde les traitements proposés dans ces services (EMDR, kinésithérapie, ateliers thérapeutiques poussés de restructuration cognitive, de régulation émotionnelle, de méditation pleine conscience, affirmation de soi). Les cas retenus sont-ils exemplaires ? Cas de maltraitance, traumatismes divers, difficultés de régulation émotionnelle, crises dissociatives. Non seulement l’auteure de l’article donne une vision tronquée de la situation, mais s’ajoute un choix lexical qui discrimine Charcot. Je me suis crue en plein obscurantisme à l’image d’un Moyen Âge qui n’a existé que dans les contes du XIXe siècle. Que Viollet‑le‑Duc coiffe Notre‑Dame de Paris d’une flèche : moi, je m’en vais aux lumières du Cratyle[4] de Platon. Quelle joie !
Cette auteure de la presse scientifique à large diffusion, dans un mouvement généralisé de l’expression du français actuel aussi bien que dans la mouvance comportementaliste, tire sur le champ psychanalytique à boulets rouges en omettant tout simplement de le mentionner. Pour elle, le traitement de l’hystérie semble s’arrêter à Charcot ! Dans cet article, le diagnostic d’« hystérie » n’est pas le bienvenu. Chantons, nous, les psychanalystes exécrés ! De quoi s’agit-il exactement dans notre monde dit moderne ? Il s’agit d’adhérer ou ne pas adhérer à une liste de mots. Les lexiques, les vocabulaires, les termes médicaux, les définitions, les concepts encore en cours ou en désuétude, doivent être désormais validés par une acceptabilité de convention. Il s’agit de savoir de quel côté nous nous trouvons et pourquoi nous nous y trouvons. Il faut être obtus pour ne pas tenir compte de l’étymologie des mots et, comme dans l’article qui a déclenché mon irritation, sabrer tout l’apport de nos maîtres passés, les délégitimer. Charcot devient un être malfaisant qui exhibait les femmes. Est-ce vraiment ceci que nous devons retenir du maître ?
Nous sommes du côté de la psychanalyse et de son vocabulaire. Nous sommes du côté de ceux qui s’ancrent dans le maintien des termes des siècles passés, dans l’inscription de structures psychiques – non pas pour figer l’être, le juger ou le « caser » – mais pour mieux savoir nous orienter dans la mer libidinale, cet océan qui perd les êtres dans l’ignorance de leurs passions. Nous nous inscrivons dans une suite générationnelle et historique. Nous tenons au repérage des maîtres passés qui ont œuvré pour sortir les êtres de leur souffrance et qui sont aujourd’hui bien mal récompensés. Annulés, mis au rebus. Un éternel recommencement ! Durant le temps, les êtres souffrent.
[1] Pepy, L. « Troubles neurologiques fonctionnels : les patients en mal de reconnaissance ». Le Monde, Science & médecine, 3 juillet 2024, pp. 1-4-5.
[2] Platon. Cratyle, 418c-418d. Œuvres complètes, CUF, Tome V – 2e partie, Paris, Société d’édition Les Belles lettres, 1931, (ouvrage original publié 360 avant J.‑C.), p. 103.
[3] Ibid.
[4] Platon (Vͤᵉ – IVe siècle av. J.). Cratyle, Œuvres complètes, CUF, Tome V, 2e partie, Paris, Les belles lettres, 1931.