Le congé maternité français, vu par les cliniciennes du RPH
Fernando de Amorim
Paris, le 24 juin 2022
J’avais sollicité l’aide des femmes et des mères de notre école à s’exprimer à propos de l’article « Le congé maternité français, vu par quatre mères étrangères. », paru chez « Madmoizelle ».
Voici leurs réactions :
“On pourrait penser que plus un congé est long mieux c’est pour tout le monde ; pas du tout et l’exemple des femmes d’Outre-Rhin nous illustre immédiatement la complexité de cette affaire qui ne se résoudra jamais favorablement : je veux dire que la séparation d’avec l’enfant sera toujours pénible tout comme le retour au travail. Nous parlons là de ruptures très singulières de rythme dans la vie des unes et des autres. Mon expérience propre, plusieurs congés maternité revus à la hausse du fait de l’allaitement, m’autorise un souvenir plutôt favorable quant à la durée. Bien sûr, les jours de reprises et de remise du bébé à une autre femme ou institution n’ont pas été indemnes d’inquiétudes. Toutefois, un an de congé me semble excessif pour les femmes qui aiment leur métier. Quant aux remarques des collègues et autres semblables qui ne se privent pas de donner un avis jamais sollicité sur le fait qu’une femme retravaille, ces remarques seront toujours acerbes et la mère et la femme seront toujours coupables quel que soit le statut plus ou moins de leur congé… C’est là que la mère et la femme doivent savoir ne compter qu’avec elles-mêmes et leur compagnon.”
E de A
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“Je lis dans cet article que 84% des mères en France voudraient que le congé maternité soit plus long. Je me dis : le Moi en veut toujours plus. Je lis aussi que les mères au foyer seraient mal vues par la société. À leur sujet, la journaliste a une formule qui lui paraît certainement anodine : ” … les mères qui veulent garder leur enfant plus longtemps”, formule qui vient dire très justement la difficulté d’une mère à se séparer de son enfant. Enfin, cette séparation est possible si le père de l’enfant est là, et qu’il assure. En cela, la nouvelle formule du congé paternité est une excellente chose et gagnerait à continuer d’évoluer dans ce sens.”
MB
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« Mon avis sur le congé maternité a beaucoup évolué avec l’expérience que j’ai faite de la maternité. Alors que je valorisais ce congé maternité avant d’être mère, je me suis aperçue que ça avait été un moment difficile à vivre pour moi car il m’isolait de mes occupations professionnelles et du rythme que je partageais jusqu’alors avec les personnes de mon entourage, proches et moins proches. Je me souviens à l’époque me poser la question : est-ce moi qui résiste à être juste disponible pour mes enfants ce temps donné, ou est-ce parce qu’il est temps de diversifier mon quotidien ? Reprendre le travail m’a fait beaucoup de bien, même si c’était souvent difficile de l’articuler avec les nombreux aléas de ma vie de mère de jeunes enfants. Eux se sont très bien et vite adaptés à passer leurs journées de leur côté. Il me semble que reprendre le travail revient à se remettre dans un rythme qui demande un effort certain mais qui dégage l’esprit des seules préoccupations maternelles. En réalité, ce qui est très compliqué, c’est la logistique (les solutions de garde à trouver en urgence, les rdvs de médecins, les maladies, etc.) et les difficultés que cela pose dans le travail. Mais il est vrai que, comme le dit l’article, le discours social est présent et peut venir révéler la culpabilité maternelle, dans un sens comme dans un autre (la valorisation d’un long congé maternité vs un court). Aller dans le sens de ce discours social peut être une solution pour atténuer cette culpabilité, mais c’est une solution à court terme. Donc charge à chacune de décider quoi faire de cette culpabilité. Les premières semaines de l’arrivée d’un nouveau-né sont tellement pleines de nouveautés et demandent une telle adaptation qu’un temps qui y soit consacré me semble important. Et puis en fonction de l’état du corps et de l’organisme, un temps de rémission peut également être nécessaire. Pour le reste, je mesure la complexité de fixer une durée délimitée et qui soit la même pour toutes tant les situations sont différentes et le rapport au travail propre à chacune.
En tout cas je n’ai pas remarqué, dans toutes les situations rencontrées au cours de ma vie, que des enfants gardés longtemps à la maison par leur mère allaient mieux que ceux qui avaient intégré tôt la collectivité.”
CB
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“Si la durée du congés maternité est une affaire sociétale et culturelle (chaque pays choisit la durée selon son histoire, ses normes etc.), la façon singulière dont le vivent et le choisissent les femmes, devenues mères, ça leur appartient à elles. Il est beaucoup question de “jugement” sur les mères dans cet article. Se sentent jugées les mères qui se jugent elles-mêmes.
A mon avis, le temps qu’une mère prendra pour son congés maternité ne dépend pas seulement de ce que lui autorise la loi, cela dépend de son désir, de sa culpabilité, du rapport qu’elle a au phallus évidemment. Si c’est réglé, elle retournera au travail sans souci, sans se précipiter mais sans tarder non plus et sûrement pas selon l’image valorisée par la soi-disant société.
A prendre en compte aussi, la participation du père. Évidemment c’est indispensable pour que la mère puisse reprendre son travail sereinement, entre autres.»
JMB
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« La question de la durée du congé maternité soulève à elle seule bien plus d’interrogations que celle de la relation au temps uniquement. Elle interroge sur l’organisation personnelle de la vie d’un couple et plus largement sur le fonctionnement d’une société.
Plutôt que de statuer une durée uniformisée pour toutes ne permettant pas la reconnaissance du désir de chacune, il me semble davantage intéressant de pousser la réflexion au-delà d’une logique temporelle. La proposition serait ainsi de construire pour chaque femme, chaque couple, une solution relevant d’une adaptation des possibilités de travail et d’éducation sans que l’un suppose d’évincer l’autre.
Pour que l’expérience puisse être possible, cela implique en premier lieu le couple parental et non pas uniquement l’un des deux parents. La responsabilité dès lors partagée permet une souplesse dans un domaine comme dans l’autre.
En deuxième lieu, elle engage la société dans laquelle l’enfant va grandir. Son rôle pourrait être, par exemple, de faciliter les modalités d’adaptation auprès des parents plutôt que de pousser à l’absence ou au retrait. L’idée étant de « faire avec » l’enfant, l’incluant ainsi dès le départ dans la Cité. La société soutiendrait la construction de futurs adultes plus enjoués et de parents plus heureux ne s’inscrivant pas dans une relation de culpabilité face au travail ou à l’enfant, moins souffrants, potentiellement moins malades, tant du côté des parents que des enfants.
Par ailleurs, un temps initial de rencontre entre la mère et son enfant et le père et son enfant me semble nécessaire pour la construction et l’établissement d’un lien affectif. Ce temps-là est propre à chacun. Le congé vient permettre la mise en place de cette relation et en cela me parait essentiel. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’en est que les prémices. Un congé plus long pour l’un des deux parents peut favoriser l’isolement de ce dernier à bien des égards. Peut-être même augmenterait-il les risques de dépression du postpartum ?
Ainsi donc la proposition irait dans le sens de l’accompagnement à la parentalité (maternité et paternité) en favorisant par exemple des groupes de femmes comme cela existe déjà dans d’autres pays, tout en ayant la possibilité d’évoquer son vécu plus intimement sur un divan. Ou bien encore en encourageant l’implication des pères, changement qui débute en France avec l’allongement du congé paternité. Mais également et pour finir en soutenant l’ouverture vers le monde, notamment par le biais du travail si c’est le souhait de la personne, là où la situation peut appeler à un repli sur soi et sur la relation avec l’enfant. »
LLR
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« Il y a autant de congés qu’il y a de maternités, autant de maternités qu’il y a de mères et de bébés. Il y a une anecdote personnelle qui me fera sourire longtemps : le jour où j’ai accouché de mon deuxième enfant, j’ai assuré des consultations par téléphone quelques heures plus tard et bien entendu j’ai aussi appelé mon psychanalyste. C’était un jour de joie pour toutes ces raisons. Le début de ma pratique clinique le permettant, j’ai continué d’assurer les psychothérapies des patients par téléphone après une semaine de congés. Cela m’offrait la perspective de poursuivre ma clinique et d’être mère, et être clinicienne me permettait d’être mère.
Je pense qu’il n’y a pas de règle universalisable pour déterminer la bonne durée du congé maternité, preuve en est cette disparité de la durée du congé maternité entre les pays évoqués dans l’article. Permettre aux parents de pouvoir suspendre temporairement leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant est un geste d’humanité. Les conditions économiques de ce congé me semblent cependant bien pingres ; pas parce que les parents ne sont pas ou peu payés pour s’occuper de leur enfant en tant que tel, mais parce que, le reste du temps, ils participent à l’économie française et qu’ils cotisent chaque jour, par les charges sociales déduites de leur salaire. Dans ces moments exceptionnels de vie, un maintien de salaire, ce n’est pas la mer à boire.
Le deuxième geste d’humanité, c’est celui les appelant à reprendre leur vie d’adultes, pour eux et pour leur enfant. Ce qu’il y aurait à déterminer et qui me semble être la plus grande difficulté, c’est le moment de bascule, soit à partir de quand la relation à l’enfant participe du prétexte pour ne pas aller travailler.
Cette discussion autour du congé en appelle une autre, celle au sujet des professionnelles, qui ont la responsabilité de s’occuper de l’enfant, à domicile ou en structure. Au-delà de la difficulté de trouver un mode de garde et de son coût, puis de celle de confier son enfant quelques heures à une personne dont c’est le métier, il y a l’inquiétude qu’il bénéficie de bons soins, d’amour et de sourire surtout, des denrées rares et contaminées lorsque cette personne souffre par ailleurs.
Il y a toujours en toile de fond une gymnastique mentale : distinguer la responsabilité parentale de protéger son enfant, du symptôme de ne pas vouloir s’en séparer. Peut-être est-ce là que se trouve une réponse quant à la durée du “congé professionnel permettant d’assurer sa maternité ou paternité” ».
NF
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“Ce qui ressort de ma lecture de l’article est la dimension du jugement. La durée du congé que prend une mère, après un accouchement, serait une durée qui pourrait être bien ou mal et ce bien ou mal varie suivant les pays. Ce regard met sur le devant de la scène la culpabilité dans laquelle une mère peut aisément s’engouffrer dans ce moment qui suit un accouchement et peut-être d’autant plus pour le premier, qui est celui qui ouvre à une expérience inédite : devenir mère. Mais ce jugement, sur la durée de congé maternité, concerne-t-il un bien ou un mal pour la mère, l’enfant ou d’autres ?
Pour mon premier congé maternité, je l’ai organisé en suivant le cadre légal mais, la semaine qui a suivi mon accouchement, un appel est venu l’interrompre. Cette reprise du travail, plus tôt que prévu, m’a rappelée à un engagement pour ma propre existence et a ainsi ouvert une respiration salutaire pour moi-même, mon enfant et mon mari.
La durée du congé maternité est une dimension comptable qui évacue la question subjective. Qu’il existe est bienvenu pour que les femmes et les hommes, avec le congé paternité, bénéficient de cette possibilité d’un temps d’organisation et d’accueil de l’enfant. Qu’il soit plus ou moins long, pour le mieux ou le moins bien, s’aligne avec un imaginaire qui ne permet pas de toucher à la question centrale de ce que la maternité bouscule au plus intime de l’être. Concernant cette question de la durée du congé maternité, les femmes s’organisent déjà pour en modifier la temporalité, avec des arrangements, mais il y aura toujours une fin.”
SD