Débat sur « La santé mentale en France »
Fernando de Amorim
Paris, le 5. IV. 2012
Mesdames et Messieurs, Chers Amis.
Permettez-moi de remercier tout d’abord nos invités et vous tous de votre présence ici ce soir qui en dit suffisamment long sur votre intérêt de la chose politique.
Nos invités, qui représentent les candidats à l’élection présidentielle toute proche maintenant, sont Madame Joëlle Melin, Conseillère politique de Marine Le Pen en matière de protection sociale santé et bioéthique, Monsieur Guy Lefrand, Député UMP chargé des professions médicales, et Monsieur Serge Rader, Responsable santé de la campagne de Nicolas Dupont-Aignan.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter avec vous des propositions pour la santé mentale en France pour les cinq prochaines années.
La santé mentale reste un thème peu abordé dans les programmes des candidats et pourtant elle est un des principaux sujets de préoccupation des français.
Puisque je dois veiller à la bonne tenue de ce débat, je vous propose que chacun des représentant puisse prendre librement et pendant dix minutes, la parole pour dire ce que le parti politique qu’il représente fera pour améliorer la santé mentale en France et d’où il tirera le financement nécessaire à un tel projet.
Mais tout d’abord, je souhaiterai planter le décor : vous n’êtes pas sans ignorer qu’en 2007, ce sont 130,5 milliards d’euros qui ont été dépensés pour la santé mentale en France. En janvier 2010, nous pouvons constater une baisse des coûts, c’est-à-dire, 107 milliards d’euros. Donc, une économie de 23,5 milliards d’euros.
Vu par la fenêtre de la logique gestionnaire, le gouvernement a donc réalisé des économies. Mais ne s’agit-il pas d’une fausse économie, puisque la dégradation de la santé mentale en France explose à vue d’œil ?
Une politique de santé mentale n’est pas obligée d’aller vers la voie idéologique. Elle peut être scientifique sans être scientiste.
La réponse strictement médicale, ou strictement psychiatrique, j’entends médicamenteuse, asilaire, n’est pas suffisante face à la détresse psychique.
Il nous faut mettre en place une clinique du partenariat où médecins et psychanalystes puissent travailler ensemble. De là l’importance d’un élargissement de la politique des psychothérapies par la parole, élargissement assuré par de jeunes cliniciens formés à la psychanalyse. Ces étudiants seront orientés par des cliniciens plus âgés.
Cette politique vise les classes sociales qui n’ont pas les moyens de payer des consultations privées de psychothérapie ou de psychanalyse, et qui se sentent délaissées par les pouvoirs publics et sans espérance d’un avenir possible.
Admettons maintenant que, grâce à quelque organisation nouvelle, le nombre d’analystes s’accroisse à tel point que nous parvenions à traiter des foules de gens. On peut prévoir, d’autre part, qu’un jour la conscience sociale s’éveillera et rappellera à la collectivité que les pauvres ont les mêmes droits à un secours psychique qu’à l’aide chirurgicale qui lui est déjà assurée par la chirurgie salvatrice. La société reconnaîtra aussi que la santé publique n’est pas moins menacée par les névroses que par la tuberculose. Les maladies névrotiques ne doivent pas être abandonnées aux efforts impuissants de charitables particuliers. A ce moment-là on édifiera des établissements, des cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés et où l’on s’efforcera, à l’aide de l’analyse, de conserver leur résistance et leur activité à des hommes, qui sans cela s’adonneraient à la boisson, à des enfants qui n’ont le choix qu’entre la dépravation et la névrose. […]. Peut-être faudra-t-il longtemps encore avant que l’État reconnaisse l’urgence de ces obligations. (Freud in Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique, Budapest, 1918).
Ce n’est pas en donnant des pilules remboursables que quelqu’un pourra gérer son foyer, son travail, sa vie. Cela le poussera même à faire usage des arrêts-maladies qui ont coûté 6,21 milliards d’euros en 2008.
Rassemblons les difficultés évoquées par le plan santé mentale (2005-2008) et mettons en place un dispositif concret pour répondre aux résultats des études effectuées, à savoir, le suicide qui sévit des enfants aux personnes âgées, en passant par le champ des entreprises, de la police et chez les agriculteurs.
Concrètement, formons des étudiants pour exercer dans les enceintes publiques (mairies et écoles). Ces étudiants auront la responsabilité d’assurer des consultations publiques de psychothérapie par la parole et mon expérience depuis 20 ans avec eux est qu’ils assurent la tâche avec un désir décidé et une compétence fraîche, juvénile.
Il ne m’apparaît pas qu’il faille davantage d’études, d’enquêtes ou de campagnes nationales. Tout cela trouve son importance si c’est suivi d’actes sur le terrain.
Concernant les soins psychiques, il faut se rendre compte que nous avons 4 890 étudiants en psychologie formés chaque année et que dans leur immense majorité ils ne trouvent pas d’activité à l’issue de leur formation parce qu’il y a un problème entre la vie universitaire et vie professionnelle, qui sont comme deux mondes séparés par un gouffre qu’on peut nommer « expérience ».
Des 21 régions sur le continent, le Limousin est la seule à n’avoir pas de faculté de psychologie. Cela signifie que toutes les régions françaises peuvent créer des emplois pour des jeunes cliniciens et mettre en place un dispositif national de clinique par la parole dans un bâtiment public.
Cela peut être utilisé comme stage obligatoire pour l’acquisition du diplôme de psychologue clinicien. Une fois ayant son diplôme et ayant réussit à constituer sa clientèle pendant la période universitaire, le jeune pourra se décider de s’installer dans son lieu de stage ou non. Avec sa clientèle, il pourra gagner sa vie, payer ses impôts et vivre correctement.
Nous avons 36 785 mairies en France métropolitaine. Supposons que dans les villages, nous installions une équipe de 2 ou 3 étudiants en psychologie pour assurer les permanences et écouter les personnes ayant le désir de faire une psychothérapie. Les comptes-rendus de ces rendez-vous seront validés à l’université comme stage clinique à l’université. Ces étudiants seront payés par la région, le département et l’État.
Il me semble qu’il faudrait baser cette nouvelle politique de santé dans l’axe étudiant-patient-faculté (pour la formation théorique), et école de psychanalyse (pour la formation clinique). Les dépenses publiques dans un tel projet sont minimes puisque nous avons tout ce qu’il faut, les bâtiments, la jeunesse, les psychanalystes d’excellence.
Une année après la mise en place de ce dispositif, nous allons pouvoir rendre compte publiquement du travail accompli.
Ma proposition :
1) Confier aux étudiants, dès l’entrée en faculté, dès la licence, de se diriger vers les filières cliniques de leur choix et commencer à recevoir des patients à condition d’être eux-mêmes en psychothérapie ou en psychanalyse et d’avoir un superviseur.
2) Que l’État mette à la disposition des étudiants, des locaux où ils pourront accueillir leurs patients (locaux dans les mairies, dans les casernes de pompiers, dans les hôpitaux, dans les gendarmeries, en un mot, dans les bâtiments publics déjà existant et payés par les impôts).
3) Que l’étudiant puisse avoir un référent à la faculté et un autre dans une école de psychanalyse attachée à ce projet.
4) Que l’État facilite l’installation de ses jeunes dans la vie active (4 ans sans payer d’impôts avant de commencer à déclarer leurs revenus, par exemple).
Le désir d’être clinicien et la compétence clinique qui va avec doivent être les critères de base pour que les étudiants puissent accéder à ces locaux. Cela ne les empêchera pas de travailler dans le secteur public, dans le public et dans le libéral pour enfin, s’installer en tant que professionnel libéral et, au bout de 4 ans être soumis aux mêmes charges sociales que leurs ainés. Cela diminuera les coûts des dépenses de santé mentale en France et mettra le désir au cœur de la création de travail, non pas d’emploi, création de travail pour la jeunesse d’un côté, et de la prise en charge de la population ayant des bas revenus ou n’ayant pas de revenus, de l’autre côté.
Cette proposition est une proposition de politique générale de santé mentale. Les situations spécifiques seront étudiées individuellement.
Donnons l’occasion à cette logique, souhaitée par Freud en 1918 et réalisée par l’un de ses élèves, Max Eitingon, en 1920, de prospérer au XXIe siècle.
Cette logique rendra des comptes statistiquement, mais pas uniquement. Elle montrera sa scientificité, mais selon les critères de cette clinique particulière.
Une parole bien dite produit des effets dans la vie de l’être parlant et dans le tissu social auquel il appartient. Une parole mal dite ou pas dite, produit des effets néfastes chez l’être, dans son corps et a des répercutions dans le tissu familial et social tout entier.
La création de ces consultations publiques doit se dérouler dans un cadre d’une expérimentation dans le temps et dans l’espace. Elle devra, cela va de soi, être évaluée financièrement, cliniquement et méthodologiquement et cela dans une réunion ouverte au public sous la responsabilité de la Haute Autorité de Santé. Cette haute autorité qui a montrée récemment son impartialité vis-à-vis de la psychanalyse.
La formation du psychiatre, comme celle du psychologue doivent être vivement stimulées à suivre celle du psychanalyste au sein d’une école de psychanalyse, à savoir, psychanalyse personnelle, supervision, études des travaux psychanalytiques, groupes d’études, présentations en congrès et réunion cliniques.
La psychanalyse et les psychanalystes de France peuvent, puisqu’ils ont les moyens cliniques et théoriques, proposer de collaborer à trouver des solutions aux problèmes économiques et psychiques que notre société traverse aujourd’hui.
Je vous remercie de votre attention.
Abonnés absents
Jean-Baptiste Legouis
Paris, le 6. IV. 2012
Jeudi 5 avril 2012 a eu lieu, à l’espace Saint-Sulpice, dans le VIe arrondissement de Paris, le débat public organisé par le RPH qui avait pour intitulé : « La santé mentale en France ».
Nous pensions que le grand débat politique autour de l’élection du Président de la République méritait que les psychanalystes prennent la parole pour témoigner de leur pratique et questionner les candidats sur leur projet concernant la santé mentale puisque le psychanalyste est également un citoyen et qu’il a à prendre sa part pour maintenir vivant le débat démocratique, faire des propositions, accepter la controverse et la critique constructive.
Pour organiser ce débat : le contact de tous les candidats déclarés, l’information de l’ensemble des institutions psychanalytiques et psychiatriques de France. Puis, une première liste officielle des participants ayant été établie, ce fut le temps de l’étayage des promesses faites, le temps de la communication auprès des confrères. A la veille du débat nous étions tout au moins assurés de la présence d’autant de représentants des candidats de droite que de gauche. Pourtant, le jour venu, trois représentants de candidats nous ont gratifié de leur présence ; Madame Joëlle Melin (représentante de Madame Marine Le Pen), Monsieur Serge Rader (représentant de Monsieur Nicolas Dupont-Aignan) et Monsieur Guy Lefrand (représentant de Monsieur Nicolas Sarkozy). Qu’ils soient, ici, à nouveau, remerciés pour leur active participation à ce débat.
De toutes les institutions de psychanalystes, de psychologues et de psychiatres contactées, aucune n’a cru bon de se déplacer, ni de se faire représenter.
Comment interpréter cela ?
Certains professionnels nous ont fait savoir, à Fernando de Amorim en particulier, qu’ils refusaient d’échanger avec les représentants de certains courants politiques. Je me demande comment ils font dans leur pratique quotidienne avec des patients racistes, misogynes, homophobes, révolutionnaires, anarchistes ? Comment supportent-ils la parole, et le transfert, de ces hommes et femmes qui viennent nous voir et délivrent en séance leur flot de fantasmes, de rêves, de délires, bien souvent pétris de haine et de violence plus ou moins contenus ? Mais surtout, comment supportent-ils leur propre parole ? Plusieurs « psychanalystes » s’étaient préinscrits. D’autres avaient informé qu’ils comptaient venir. Mais leurs chaises sont restées vides.
Est-il seulement besoin d’interpréter ?
Lorsque la loi portant sur la cadre de l’hospitalisation sous contrainte a été votée à l’Assemblée Nationale au printemps dernier, une manifestation aux abords du palais bourbon était organisée à l’appel du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Je m’y suis rendu et je n’ai pas vu plus de 80 personnes à ce rassemblement.
La psychanalyse existe dans les lieux de consultation des psychanalystes. Mais cela ne doit pas empêcher ces derniers de mouvoir leur corps et de faire entendre leur voix pour soutenir et défendre la psychanalyse dans la cité.
Le RPH l’a fait, à sa manière, en organisant ce débat. Nous nous sommes frottés aux politiques et nous en tirerons sans aucun doute des enseignements. Bien sûr, tout cela ne nous empêchera pas de les inviter à nouveau, très amicalement, lorsque l’actualité, à laquelle nous sommes sensibles, nous amènera à organiser un colloque ou un débat. Parce que la fréquentation régulière du divan nous apprend à être ami avec notre désir et non avec notre symptôme, la haine et la pulsion de mort.
Merci encore à tous ceux qui ont fait le déplacement jusqu’à l’espace Saint-Sulpice, pour partager avec nous cette soirée du jeudi saint !