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Le libéral après les études de psychologie, une construction possible (III) : La question de l’idéologie dans le champ de la psychologie

Dr Julien Faugeras
Paris, le 19 septembre 2024

La formation théorico-clinique dispensée au sein du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital met en lumière la dimension problématique de discours diffusés aujourd’hui dans certaines universités de psychologie et institutions de soins. Mon intention est de souligner le décalage entre le champ universitaire qui se présente comme neutre, objectif et scientifique et les ensembles de croyances qui tendent à s’y instituer au nom de la science.

Grâce au soutien de Fernando de Amorim et du RPH, j’ai commencé ma pratique clinique alors que j’étais encore étudiant. Cette pratique était alors vivement critiquée par des professeurs qui la condamnaient comme une forme d’hérésie, voir comme une apostasie.

Or n’est-il pas légitime qu’un étudiant en psychologie clinique se forme à la clinique en parallèle de sa formation théorique ?

Le paradoxe que crée l’exclusion de la pratique clinique dans la formation du psychologue dit clinicien nous invite donc à nous demander si ces jugements catégoriques – comme l’idée qu’un « étudiant n’est pas apte à recevoir un patient » ou qu’il faut nécessairement « avoir de l’expérience en institution avant de se lancer en libéral » – ne constituent pas finalement des formations symptomatiques. Car s’ils peuvent se voiler pour se confondre avec des mesures de précautions, leurs conséquences paradoxales – quelle est cette aptitude à fonder une expérience en fonction d’un milieu ? – laissent apparaître leur dimension néfaste.

En effet, au-delà des problématiques institutionnelles qui résultent de cette absence de pratique clinique dans la formation professionnalisante du psychologue, les apories qu’engendrent ces interdits sont déjà palpables dans le champs universitaire : quand la plupart des recherches sur des questions cliniques sont effectuées aujourd’hui sans s’appuyer sur une pratique clinique, quand il est même interdit, dans certaines universités, de citer des cas cliniques ou bien encore lorsque des étudiants en arrivent à payer des patients pour remplir des questionnaires, le constat de la dimension symptomatique de ces fonctionnements se confirme distinctement.

J’ai eu l’occasion, après mes études, de travailler dans un CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique). Le psychiatre qui m’avait embauché m’avait confié avoir choisi ma candidature du fait de l’expérience clinique que j’avais pu acquérir en parallèle de mes études, au sein de la CPP (Consultation Publique de Psychanalyse) du RPH. Par suite d’un changement d’obédience du psychiatre qui assurait la direction du centre, je notais un certain nombre de dysfonctionnements institutionnels et remarquais, par exemple, que le taux de prescription médicamenteuse avait été, pour l’ensemble du centre et en quelques mois, multiplié par trois. Je ne peux reprendre ici l’ensemble de ces fonctionnements paradoxaux, mais j’aimerais souligner au moins un autre élément. La plupart des psychologues et des psychiatres du CMPP rencontraient les patients à raison d’une fois par semaine, voire une fois par mois. Si ce tempo détonnait avec mon expérience à la CPP ou encore avec celle que j’avais en tant que psychanalysant – je faisais alors cinq séances par semaine – la normalisation de ces pratiques me déconcertait d’autant plus que la plupart des praticiens reconnaissaient l’importance de la cadence des séances pour la réussite du traitement. Quoi qu’il en soit, je tentais de mettre en place le travail psychothérapeutique le plus consistant et le plus régulier possible et constatais – sans compter les irrégularités liées aux jours fériés, vacances et autres RTT – que le nombre de séances par semaine que je pouvais proposer dans l’institution n’était pas suffisant pour assurer un suivi de qualité. Orienté par la clinique, je demandais alors au psychiatre référent si je pouvais laisser mes coordonnées téléphoniques pour certains patients dont la situation était préoccupante ou encore si je pouvais les recevoir davantage dans le cadre de ma consultation privée, tout en leur proposant bien sûr de régler une somme adaptée à leurs possibilités financières. Négatif, il était interdit d’orienter des patients du public vers le libéral.

Cette expérience qui fut la mienne illustre bien comment la logique clinique peut buter sur une forme voilée d’idéologie, en l’occurrence un système anti-libéral au sein duquel le soin doit impérativement être gratuit, où l’orientation vers le libéral est amalgamée à du clientélisme et où le fait-même de bien gagner sa vie est peut-être considéré comme un tabou. Aussi, et de la même manière que nous pouvons identifier ces systèmes de prescriptions et d’interdits rigides dans certaines organisations religieuses ou politiques, nous pouvons tout aussi bien repérer que ces systèmes symptomatiques – que Freud nous a appris à reconnaître comme des systèmes obsessionnels – sont particulièrement représentés au sein du champ médico-psychologique.

Finalement, en proposant aux étudiants de se former à la clinique dès leurs premières années d’études, l’expérience que mène le RPH depuis plus de trente ans met en lumière a posteriori que la précarité de la situation des psychologues en France n’est pas une fatalité : elle résulte en partie des formes voilées d’idéologies qui s’y sont instituées. Aussi, et contrairement aux litanies qu’entendent les étudiants selon lesquelles ils n’auront pas de travail une fois diplômés, qu’ils seront condamnés à multiplier les temps partiels, à se reconvertir dans les ressources humaines ou même à chercher un travail alimentaire – litanies qui ne laissent pas de m’intriguer par leur illogisme car, en effet, comment comprendre que des jeunes gens puissent sagement s’engager dans une voie ardue qui ne serait que de garage ?– le RPH, quant à lui, démontre à ceux qui souhaitent devenir cliniciens qu’il leur est possible de vivre de leur clinique et ceci qu’ils aient vingt-cinq, trente ou cinquante ans.

En effet, cette expérience qui se déroule maintenant depuis plus de trente ans démontre qu’il est possible pour un clinicien de vivre de sa clinique libérale, et ceci même s’il vient juste d’être diplômé d’un master de psychologie. Ces faits entrent donc en contradiction avec ces discours fatalistes, amplement serinés auprès des étudiants de psychologie, selon lesquels « il est impossible de vivre du libéral », « il ne faut envisager une installation en libéral qu’après des décennies d’expérience professionnelle » ou encore « il ne faut pas espérer s’installer en libéral et en vivre avant d’avoir quarante ans ».

Quel impact peut avoir sur des étudiants de telles assertions ou encore le fait de leur asséner, dès leur première année, « qu’il n’y a pas beaucoup de travail », qu’ils auront « des difficultés à trouver un emploi » ou encore qu’ils « ne peuvent pas vivre de leur clinique » ?

S’il est possible de remarquer le sabotage et le sadisme qu’induisent ces assertions, il est tout aussi possible de dégager leur dimension imaginaire : les étudiants de psychologie qui se sont formés au sein du RPH, en parallèle de leur cursus universitaire n’ont pas rencontré de difficultés à trouver un emploi et, surtout, ils ont commencé très rapidement à vivre de leur clinique libérale.

Cette contradiction qu’apporte l’expérience des cliniciens du RPH aux discours diffusés aujourd’hui au sein des universités de psychologie ne vient-elle pas souligner que ces derniers constituent des formes voilées de croyances, de superstitions ou encore d’idéologies prospérant en un lieu, l’Université, qu’on aimerait savoir exempt de tels fourvoiements ?


LE LIBÉRAL APRÈS LES ÉTUDES DE PSYCHOLOGIE, UNE CONSTRUCTION POSSIBLE
Première partie : Une logique moïque n’est pas une logique de désir
Deuxième partie : Invitation aux étudiants de psychologie
Troisième partie : La question de l’idéologie dans le champ de la psychologie