Le médecin, ce héraut du symbolique face à l’imaginaire qui produit des ravages dans le réel
Fernando de Amorim
Paris, le 20. VI. 2007
Tout d’abord, expliquer ce titre. En psychanalyse, le symbolique concerne la relation de tout un chacun avec le langage et la parole, l’imaginaire, quant à lui, se caractérise par la relation à l’image et au semblable et le réel, enfin, peut être lu comme ce qui touche l’organisme et le côté insaisissable de la vie. La mort est un bon exemple du réel. Ces trois registres ont été articulés avec beaucoup de soin par Jacques Lacan. Mon objectif ici est de nouer les trois registres lacaniens avec les dires du cardiologue, Michel de Lorgeril, chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) publiés dans le journal Le Monde daté du mercredi 13 juin 2007.
Un exemple d’imaginaire est caractérisé par la plainte de quelques patients qui disent avoir « trop de cholestérol » (substance grasse qui se trouve dans la plupart des tissus et humeurs de l’organisme).
Cette « Théorie du cholestérol » arrange tout le monde dit le médecin à la journaliste, Sandrine Blanchard. Cela arrange « L’industrie pharmaceutique et l’agrobusiness, les laboratoires d’analyses, les fabricants de kits de mesure, mais aussi les médecins qui peuvent trouver un avantage à cette médecine automatisée et rémunératrice ; et enfin les patients auxquels ont fait croire qu’ils seraient ainsi protégés sans faire d’effort. ».
Le discours de ce médecin donne au symbolique toute sa raison d’être : son discours vient appuyer le titre de la présente Brève. L’imaginaire est soutenu par la croyance qu’on peut vivre en bonne santé sans faire des efforts de castration comme, par exemple, celui de ne pas manger selon son envie. Le symbolique est appauvri dans le discours que les médecins d’aujourd’hui tiennent à leurs patients, car la parole dans cette relation n’a plus son mot à dire et les conséquences ne se font pas attendre dans le réel de l’organisme. « Certains pensent qu’ils peuvent continuer à manger des graisses toxiques et à fumer parce qu’ils avalent leur statine [molécules efficaces dans la diminution du taux de cholestérol dans le sang] », dit le médecin. La logique qui consiste à croire qu’on peut continuer à jouir sans gêne parce qu’on prend ses médicaments est repérable un peu partout dans la clinique médicale de notre modernité. Ainsi, beaucoup de diabétiques se permettent de manger du sucre puisqu’ils ont pris leur Metformine®.
Quelques séropositifs continuent à avoir des relations non protégées parce qu’ils sont sous AZT®. L’imaginaire nous aliène de notre organisme et la maladie vient nous rappeler la mesure de notre éloignement. On ne tombe pas malade du jour au lendemain. Nous sommes pour quelque chose dans ce qui arrive à notre corps (pour ce qui est de l’organisme c’est un peu plus délicat). Dire ceci, qu’on y est pour quelque chose, annonce le début même du processus vrai du soin de soi, de son chez soi, l’autre nom du corps. L’aliénation envers le corps, par nous-mêmes et par ceux sensés nous soigner, est telle que Michel de Lorgeril se voit contraint de nous rappeler le manque de scientificité symbolique et le gonflement imaginaire de l’idéologie qui veut nous faire avaler, si j’ose dire, n’importe quoi ; ainsi il dira, à propos des études scientifiques en médecine (les essais cliniques) et sur la statine : « Nous sommes parvenus à un point de caricature qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la médecine. ».
Le cardiologue insiste sur le fait – où je l’appuie entièrement – qu’« Il faut produire de nouvelles données en se libérant de l’ethnocentrisme anglo-saxon qui fait croire que ce qui est supposé bon pour un citoyen d’Helsinki ou de Chicago est bon pour un Marseillais ou pour un Gascon. ». Pour finir il dit qu’il est « faux de se croire protégé parce qu’on diminue son cholestérol. Il ne tient qu’à nous de prendre notre santé entre nos mains […] ». Pour ma part, il faut justifier mes points de suspension au discours du cardiologue.
Dans la suite éludée, le cardiologue donne des conseils d’hygiène de vie et formule des propositions alimentaires.
C’est le devoir du médecin. Pas celui du psychanalyste.
Travailler en médecine en tant que psychanalyste suppose de ne pas se perdre dans le filet d’Hippocrate, mais de p(r)êcher avec lui.