Les chèques psy
Magali Sabatier,
16 février 2021, Paris
-Est-ce que vous prenez les chèques psy ? demande, il y a quelques jours, Mme O au début de sa séance.
-Les chèques quoi ?
– C’est mis en place par le gouvernement et je voulais savoir si je pouvais en profiter pour me faire rembourser des séances.
– Vous voulez tirer profit de votre souffrance ?
Ma question provoque un déferlement inattendu. Mme O fond en larmes, pendant de longues minutes, son visage ruisselle, son nez coule, elle n’arrive pas à reprendre sa respiration. Puis entre deux sanglots, elle murmure ne pas vouloir tirer bénéfice de sa souffrance mais c’est la question de l’argent qui lui pose problème.
Je l’invite à associer librement ses pensées. « L’argent, dit-elle, ça m’angoisse, j’ai toujours peur de manquer ». Pourtant, elle reconnaît qu’elle s’en sort avec ses petits boulots et l’argent que lui donnent ses parents, qu’il n’y a pas de réel problème. Mais elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut s’arrêter de pleurer.
Je l’encourage à continuer. Il est question ensuite de son ennui, de l’absence de cours en présentiel à la fac, elle est frustrée par le manque de relations aux autres. Et puis, elle cherche un stage et craint que les élèves de sa section soient pris dans un stage plus valorisant que le sien.
D’ailleurs avec son petit ami aussi, ça ne va pas, il ne répond pas à ses appels et vient la voir quand bon lui semble. Ça ne se passe pas comme elle veut, elle est insatisfaite, c’est insupportable reconnait-elle toujours en larmes.
Au milieu d’un défilé de mouchoirs, elle avoue avoir dépensé une importante somme d’argent récemment pour refaire sa garde-robe car elle est mal dans son corps, elle a beaucoup grossi et cette dépense la culpabilise.
Dans la suite de la séance, madame O articulera cette culpabilité à une colère ressentie envers sa mère. La demande de remboursement des séances ne vient-elle pas comme une mesquinerie du Moi pour ne pas assumer sa part de responsabilité dans sa souffrance ?
Certes le moment est un peu douloureux pour cette dame car le Moi est piqué au vif. Ma remarque, introduisant une castration symbolique, produit un flot d’associations libres jusqu’à dévoiler un pan de jouissance.
Mon refus du chèque psy qui, par ailleurs, est un dispositif de prise en charge restreint pour les étudiants, ouvre la voie à une culpabilité dont la patiente n’aurait peut-être rien dit si j’avais accepté. Et nous serions passées à côté de quelque chose d’essentiel pour sa cure.
Poursuivre dans la voie désirante dans laquelle la patiente s’inscrit, sans faire appel à une prise en charge de la Sécurité Sociale, d’une mutuelle, d’un chèque-psy est tout à son honneur.
Pourquoi faire payer à un tiers (ses parents, la société) pour sa souffrance et s’en dédouaner comme un petit enfant ou se victimiser ?
La psychanalyse a pour dessein de faire grandir davantage l’être en l’invitant à dire, en surmontant les résistances et en assumant ainsi la part de responsabilité dans ce qui lui arrive.
C’est pour cette raison que Mme O. accepte de régler selon ses moyens financiers et que la position du RPH, indiquée par F. de Amorim, de ne pas délivrer de facture pour la sécurité sociale ou tout autre organisme est une technique bénéfique pour l’avancée de la cure du patient.