D’une politique du désir ?
Julien Faugeras
Paris 9e, le 06 mai 2017
Il y a plus d’un siècle, Freud découvrait cette maladie humaine que l’on nomme névrose et son moyen de traitement, la psychanalyse.
En tant qu’elle concerne la majorité des êtres humains, la névrose est à l’origine de la plupart des maux qui gangrènent nos sociétés. Pourtant, à quelques jours de l’élection présidentielle, nous pouvons constater que les différents discours politiques semblent ne pas tenir compte de la névrose et de ses ravages.
Au lieu de prendre la mesure de la responsabilité de chacun, c’est régulièrement le « système » qui est montré du doigt si bien que tous les candidats finissent par se revendiquer antisystème. Qu’est-ce que le système sinon un discours dominant dans lequel notre jouissance et notre subjectivité sont intéressées ?
Nous assistons alors à une sorte de discours en miroir où certains dénoncent l’assistanat infantilisant et le gaspillage économique d’un fonctionnement sclérosé par des réglementations étouffantes, d’autres critiquent le libéralisme et la finance pointant du doigt l’exploitation de l’homme par une poignée infime de la population.
Il est évident que tous ces constats sont criants de vérité mais plutôt que de les considérer comme des symptômes qui reflètent la névrose de chacun, ils nourrissent des discours idéologiques qui se structurent sur la méconnaissance de l’Autre.
Que le discours capitaliste produise des dérives mortifères, il n’y a pas de doute possible : huit personnes sur terre possèdent aujourd’hui plus de la moitié des richesses et un pour-cent de la population mondiale dispose de quatre-vingt-dix-neuf pour-cent de la fortune planétaire.
Qu’il y ait également certaines personnes qui abusent des biens publics, de leurs employeurs ou de leurs collègues, c’est également une réalité qui s’adjoint à des règlements étouffants qui asphyxient le désir.
Ce constat n’a rien de nouveau au regard de ce que Freud remarquait déjà quand il écrivait son « Malaise dans la civilisation » : le sadisme, l’accumulation, l’avidité, l’avarice, l’infantilisme et l’infantilisation, autant de symptômes névrotiques qui révèlent le rapport problématique de l’être humain au langage.
Si le discours capitaliste est aussi bien ancré, n’est-ce pas lié au fait qu’il s’appuie et se nourrit justement des failles névrotiques de l’espèce humaine, notamment sur le refus de la castration que révèle le désir de toute-puissance ou le désir de maîtrise du réel ?
Le libéralisme ou le libre-échange vient alors se nouer à la liberté au niveau du fantasme qui séduit le névrosé. Quand certains politiciens proposent par exemple que tout le monde soit milliardaire, ne nourrissent-ils pas ainsi le fantasme névrotique dans lequel tout est possible ?
Entre la perspective louable d’être riche et le désir infantile de ne pas avoir de limite, il n’y a qu’un pas, le pas de sens que nous reconnaîtrons avec Lacan comme l’alliage du signifiant à la jouissance.
De ne pas reconnaître la jouissance et le réel, les discours politiques semblent alors tourner en rond dans une danse entêtante et obstinée.
Le résultat de ce premier tour me laisse à penser, et ceci n’est que mon interprétation, que les Français n’en peuvent plus, qu’ils souffrent, qu’ils sont en colère. Ils veulent des limites, de la castration, de l’oxygène, ils veulent de la psychanalyse.
Il me semble en effet que les français souhaitent une possibilité de créer du lien social, de pouvoir parler librement pour donner du sens à leur existence et jouir autrement. Ils crient et appellent par leurs suffrages la possibilité d’un rapport éthique au réel, tant pour eux-mêmes que pour ceux qui les représentent.
Car le problème en soi n’est pas la mondialisation, c’est le terreau névrotique dans lequel elle se développe.
Un enfant de 5 ans sait qu’on ne peut jouer avec ses camarades si chacun joue avec des règles différentes.
N’importe quel lycéen qui suit des cours d’économie sait qu’une concentration de monopoles et d’oligopoles est particulièrement délétère.
Alors pour quelles raisons obscures si ce n’est le conflit névrotique, nos politiciens continuent-ils de maintenir un cap qui asphyxie toujours d’avantage les français ?
Car entre l’isolationnisme et le laisser faire, la passivité morbide, comment ne pas repérer les symptômes névrotiques qui s’y représentent.
Ainsi, au lieu de mesurer le poids du désir inconscient dans les maux de nos sociétés, chacun de ces discours politiciens exclut l’inconscient et le méconnaît à travers la figure d’un diable à éradiquer : l’Europe, l’étranger, le libéralisme, le riche, le pauvre, le fonctionnaire, Marine…
Cette méconnaissance contribue alors à nourrir les symptômes sociétaux qu’ils dénoncent au lieu de promouvoir de toute urgence la psychanalyse, seul et unique moyen de traitement de la névrose à ce jour.
Car les psychanalysants savent bien la difficulté de se regarder en face, de balayer devant leur porte en se rendant compte de la responsabilité qui leur incombe dans la souffrance qu’ils dépeignent.
Ainsi, le bateau est en train de couler et plutôt que de colmater la brèche, nos politiciens nous invitent à écoper l’eau qui s’infiltre ou à nous préoccuper de la peinture du mât.
Prenons un exemple concret à travers les politiques de santé : elles se soutiennent clairement de cette lecture névrotique qui consiste à panser les symptômes plutôt qu’à soigner la maladie.
En promouvant les psychothérapies avec psychothérapeute ou les traitements médicamenteux qui influencent les symptômes à court terme, cette logique est non seulement inefficace sur la névrose mais elle produit un gaspillage colossal de l’argent public.
En plus des vingt-deux milliards d’euros dépensés en 2014 dans les « maladies psychiatriques et psychotrope » combien de dizaines de milliards d’euros sont-ils encore alloués au traitement des symptômes corporels que provoquent les comportements autodestructeurs de la névrose ?
Entre le traitement par exemple du diabète ou de l’obésité, entre les arrêts-maladies ou les hospitalisations, a combien s’élève ce gaspillage de cette politique de santé qui s’occupe des conséquences de la névrose plutôt que de mettre toute son attention et son ardeur sur le traitement de la névrose elle-même en promouvant la psychanalyse ?
Il est évident que le crime profite aux laboratoires pharmaceutiques. Mais cette cupidité et cette avidité sans limite de quelques-uns n’est-elle pas déjà la marque de la névrose ?
Même si les laboratoires corrompent considérablement le discours médical, il convient toutefois de se demander pourquoi les médecins et les psychistes de manière générale se laissent autant influencer par un discours qui inverse littéralement la cause et la conséquence. Comment peuvent-ils croire qu’ils soignent une maladie avec une molécule qui influence seulement un symptôme et comment peuvent-ils traiter autant de troubles corporels en balayant leur cause d’un revers de croyance ou de superstition ?
Avec la découverte freudienne de la névrose obsessionnelle, il me semble que nous trouvons un éclaircissement intéressant.
A travers le mode de refoulement spécifique qui structure cette névrose, nous voyons s’opérer une déconnexion des liens logiques qui articulent la pensée. C’est cette désarticulation du cheminement de la pensée que l’on peut observer, par exemple, dans la construction du DSM où le symptôme vient prendre l’importance qui doit être conférée logiquement à la maladie elle-même, soit à la névrose.
Dans cette tentative défensive de détacher l’investissement de certaines représentations en nivelant leur intensité ou leur importance, nous reconnaîtrons les discours diplomatiques de quelques psychistes politiciens qui veulent favoriser « toutes les approches », tous les discours, dans une forme de bienveillance oblative qui masque mal la destructivité qui la sous-tend.
Nous pouvons alors repérer dans cette façon de minimiser, de sous-estimer voire d’ignorer la névrose un symptôme névrotique à part entière.
Il est tout de même notable que les différentes propositions sanitaires des candidats à la présidentielle se sont résumées à parler du remboursement des lunettes, de divers problèmes logistiques et vaguement, de prévention…
Cette lecture névrotique qui consiste à inverser littéralement le rapport entre la cause et la conséquence me semble être le point nodal qui conjoint tant les égarements des politiques de santé publique que toutes les thématiques en jeu dans cette campagne présidentielle : l’économie, le chômage, la sécurité…
A quelques heures maintenant d’une élection présidentielle où la barbarie frappe une nouvelle fois aux portes du pouvoir, il me semble urgent que les psychanalystes et les psychanalysants soutiennent le futur président dans un projet qui réveille et soutienne véritablement le désir des français.