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La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ?

À propos de l’article de François Gonon (1) paru dans Esprit, novembre 2011

Édith de Amorim
Paris, le 10. XI. 2011

L’auteur dans cet article examine à la loupe la proposition – ambitieuse – de la psychiatrie biologique de lire tous les troubles mentaux en tant que maladies du cerveau. Inutile de préciser le brûlant de l’actualité de cet article dans le contexte de la journée du 5 novembre « pour en finir avec le carcan du DSM » !

En outre, la lecture de ce texte participe fortement, selon moi, à briser l’image de « carcan » indestructible du DSM en ce qu’il cite de nombreux psychiatres nord-américains et de nombreuses études nord-américaines qui dénoncent le « discours réductionniste » du tout biologique !

Ce qui est d’importance car, alors, le débat change de tournure, d’aspect, de champ : la psychiatrie européenne et la psychanalyse ne sont plus les assiégées, ce n’est plus un va-tout dont il est question alors mais bien d’avancer par le biais d’idées, de concepts, d’expériences, de stratégies, d’échanges… Le temps n’est plus à la Passion mais bien à l’avancée.

Ainsi, page 56, on peut lire : « Encore plus radicalement, dans un article du 19 mars 2010, la revue Science rapporte une nouvelle initiative du National Institute of Mental Health (NIMH) (…) [lequel] propose de financer des recherches en dehors du DSM afin “de changer la manière dont les chercheurs étudient les troubles mentaux » car, selon Steven Hyman, ancien directeur du NIMH, « la classification de ces troubles selon le DSM a entravé la recherche.” » 

Bien loin que de tels aménagements de cette politique du « tout biologique » entraînent la mort de la recherche : « l’épigénétique consiste à étudier les altérations d’activités des gènes qui ne sont pas dues à des variations de la séquence d’ADN. Elle recherche les mécanismes moléculaires expliquant qu’un facteur environnemental, par exemple une maltraitance sévère dans l’enfance, puisse entraîner des modifications de l’activité génique profondes, durables et parfois transmissibles à la génération suivante. » (p.59). 

Il est très intéressant de se retrouver face au credo des chercheurs qui, par ailleurs, aiment à asséner leur foi en une science-vérité-objective et sont toujours pourtant à la recherche de leur saint graal : « [de] nouvelles cibles thérapeutiques » ; mais indéniablement l’esprit scientifique n’a pas déserté tout à fait leurs rangs ; ainsi citant Greg Miller, rédacteur de la revue Science qui parle de l’exaspération de « Darlene Francis, l’une des pionnières de l’épigénétique, « vis-à-vis de ces gens qui, à partir de quelques observations chez l’animal, en déduisent que la méthylation (2) [des gènes] serait maintenant la cause et la solution à tout un tas de problèmes existentiels. » (p. 61). 

L’auteur analyse également les causes de la pénétration de ce discours dans le public et ses conséquences sociales. Concernant les premières, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’immédiateté – ce plaisir vénéneux et insidieux – joue un rôle de premier plan dans la diffusion des « promesses de lendemains qui chantent » : « De plus la fréquence des affirmations abusives augmente avec la renommée du journal. Comme les articles publiés dans les revues les plus prestigieuses sont ceux-là mêmes qui sont repris par les médias, ces perspectives thérapeutiques abusives nourrissent des espoirs illusoires dans le grand public. » (p. 64). 

Toutefois, ce phénomène d’engouement s’il accompagne souvent une première étude, celles, ultérieures, sur le même thème sont plus tempérées. Problème : « Du point de vue scientifique, il n’y a rien de choquant à constater que la plupart des relations supposées entre deux observations ne sont pas confirmées. Le problème surgit avec la médiatisation : comme les études initiales sont plus souvent publiées dans des revues prestigieuses elles sont bien plus largement médiatisées que les études ultérieures. » (p. 64). 

Prendre pour argent comptant ce qui est nouveau sans en passer par l’ouvrage cent fois reconsidéré c’est bien là un des effets pervers de notre façon de nous considérer aujourd’hui comme « informé » ! L’auteur revient sur la question de l’environnement qui déplaît tant aux tenants de la psychiatrie biologique. 

Je vous livre ici sa conclusion : « Je plaide donc pour une recherche en neurosciences dont la créativité ne serait pas bridée par des objectifs thérapeutiques à court terme, pour une pratique psychiatrique nourrie par la recherche clinique, et pour une démédicalisation de la souffrance psychique. Il me semble que, plus que les Etats-Unis, les pays européens ont su préserver les compétences nécessaires à ces deux derniers objectifs. C’est une telle voie que nous devrions continuer à explorer. » (p. 73). 

Ce résumé – succinct – pour vous dire tout mon enthousiasme à voir le monde de la santé mentale perdre ses ennemis puissants et redoutables et gagner un horizon plus vaste, dégagé de cet imaginaire plombant où l’Autre redouté menace et ourdit contre lui ! Cet auteur, François Gonon balaye devant sa porte sans renoncer et tend la main : à nous de la saisir ! 

(1) Neurobiologiste, directeur de recherche CNRS. 
(2) Dérivé de méthyle qui est un radical monovalent, dérivé du méthane, que l’on trouve dans de nombreux corps organiques ; la méthylation est une réaction qui consiste à fixer un radical méthyle sur un composé.