Bataille
Édith de Amorim
À Paris, c’est en juin 2017 alors que sévit la canicule
C’est une lettre sans temporalité fixe – pour l’instant – qui est écrite comme une lettre à l’autre plus ou moins loin mais aussi à l’inconnu, l’inconnue, pour les découvrir et nous (me) découvrir.
La lettre me rongeait comme un manque évitable et pourtant toujours présent. Mais aussi, me rongeait comme une présence de bouteille à la mer. Arrive un moment où il faut tirer l’épingle de ce jeu énervant : à quelque chose, malheur est bon – dit le dicton – et c’est à la canicule que je dois, en partie, ce sursaut.
Sursaut qui doit aussi à une bataille pourtant remportée depuis longtemps par le RPH mais toujours méconnue par La Place, entendez le monde psychanalytique ; or, garder par devers soi une valide expérience n’est pas le défaut principal du RPH, non plus que taire un fait au motif qu’il met à mal un ordre établi, avec pignon sur fac et donc amplement admis et largement enseigné.
Ce courage se nourrit et s’appuie sur celui de Sigmund Freud qui eut à endurer, seul, les conséquences de la « découverte » du caillou du fantasme dans les godillots des réalités humaines, pour ne citer qu’un seul exemple. Il porta un rude coup au sinistre « c’est pas moi, c’est l’autre ! ». Sans oublier non plus le courage de Jacques Lacan qui n’hésita pas longtemps à bousculer le dogme des séances de quarante-cinq minutes en suspendant ou scandant, interrompant les instants de dire.
Le courage du RPH, quel est-il ? La bataille quelle est-elle ?
Le courage, c’est simple : c’est difficile de tenir face au grand Autre qui, plus il est grand, moins il est barré, et qui peut être une mère, des parents, un groupe, une société. Le courage a tout à voir avec le désir et la sortie de l’impasse que représente la relation imaginaire que Lacan décrit ainsi : « Ce n’est pas le mal, mais le bien, qui engendre la culpabilité »[1], le bien que l’autre nous fait, nous veut à nous qui nous vivons comme misérables, galeux, calamiteux et j’en passe.
La bataille du RPH, c’est la Consultation Publique de Psychanalyse, ladite CPP. Un nom qui doit beaucoup à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
La CPP. Un engagement à écouter l’être très éclopé, blessé, sans condition de durée, à la condition qu’il paye selon ses moyens, moyens pécuniaires parlés, débarrassés de leurs préjugés du « pas possible » et faire faire le pas-possible.
La CPP. Un engagement proposé aux étudiants de première et deuxième année de médecine et de psychologie de faire de la clinique sans attendre l’obtention de leur diplôme, absolument nécessaire et absolument insuffisant en ce domaine.
La CPP. Un engagement éthique à l’endroit de son désir en tant que psychanalyste. Position qui se fait bien moins assise puisqu’elle n’est plus que supposée et assurée qu’au cas par cas. Et qu’elle a à en passer par celle de psychothérapeute dans les moments initiaux des cures.
La CPP. Une question de nomination. Eminemment délicate, parmi les plus exigeantes : on ne cède pas sur les mots car ce serait céder sur les choses. Ainsi, pourquoi dire, se dire, « analyste » alors que le mot « psychanalyste » est là – un peu longuet, compliqué et un tantinet prétentieux – ? C’est vrai que « psychanalyste » vient couper l’herbe sous le pied au jeu de mots lacanien « ânes à listes » même s’il est « être ange » qu’on se régale d’être moqué jusqu’à s’en réclamer.
D’autant que ce mot d’ « analyste » pourrait, plutôt qu’à un âne, renvoyer à ce « conseilleur » qui, comme chacun sait, n’est pas – jamais – le payeur, en ce sens où l’analyste n’est plus, lui, sur le divan. Comme si le divan devenait la marque d’une peine, d’un pas de chance (et non d’un pas-de-chance, ce qu’est le divan), le stigmate au mieux d’une petite-vérole, au pire d’une infamie.
Dans cette bataille de nomination, qui déborde le cadre de la CPP, l’enjeu est qu’à la différence de l’analyste, le psychanalyste est lié à sa cure personnelle, le divan est présent dans sa vie.
La CPP vient frapper à la porte d’organisations qui s’essoufflent, à commencer par les Facultés de psychologie qui ne savent plus à quel saint se vouer pour décourager, dégoûter, leurs étudiants de poursuivre au-delà de la licence, une rançon amère d’un succès qu’elles peinent à assumer. Or, l’expérience de la CPP permet à des étudiants de mener de front un apprentissage théorique avec celui pratique et de pouvoir débuter immédiatement leur carrière une fois leur diplôme obtenu sans avoir à passer par le dédale de recherches d’emplois de plus en plus mythiques.
Cachez ce sein que je ne saurai voir dit la faculté. Quoi, permettre à des étudiants de première année de recevoir des patients ? C’est inadmissible, c’est illégal !
La légalité de former des étudiants à obtenir un diplôme sans qu’ils puissent – ou très rarement et, dans cette rareté, uniquement partiellement – trouver de quoi en vivre, aboutit à quelle légitimité ? Cette rançon du succès de la Psychologie conduit ses Universités à de bien tristes agissements à l’égard de ses enfants, les étudiants, qui se trouvent encouragés à aller voir ailleurs si « j’y » suis à peine leur troisième année bouclée.
Le RPH – École de psychanalyse, dans l’espace déserté par les analystes, les professeurs-psychanalystes-universitaires, les écartés, et les ennemis du désir assumé et de ses conséquences, a créé la Consultation Publique de Psychanalyse qui accueille et encadre ; les étudiants qui reçoivent ne sont pas laissés seuls, loin s’en faut.
Cette bataille a une cause, celle du désir inconscient qui partout jaillit, surgit, éclabousse, au temps pour celui (moi) qui n’en veut rien savoir.
[1] Lacan, J. (1974) Télévision in Autres Écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 544 cité par Julie Vu Tong dans ses notes de lecture, juin 2017, p. 3.