Édith de Amorim
Passée la fête, adieu le Saint !
C’est ainsi : l’été n’est plus à faire de gorges chaudes, du moins pour les personnes ordinaires qui sont « rentrées » dans leur année civile et militaire et ont repris leur route agonistique.
Je songe déjà avec envie aux belles opposées d’harmoniques automnales et aux moelleux des étoffes qui auront à sortir bientôt.
Évidemment, il y a fort à parier que l’été cacochyme se rebelle et nous fasse tirer la langue sous nos accoutrements hors saison, éclairant nos grossiers solécismes vestimentaires : lovés dans nos pulls, moulées dans nos collants, faisant suer le burnous aux indigènes du jour-le-jour et du bout-de-leur-nez que nous sommes sous la charge inattendue d’une hausse de la température. « Il est vrai, nous sommes encore en été ! » comme un rappel désappointant à une réalité au bord de finir mais qui bouge encore et mornifle notre raison obvie de penser l’été comme souvenir.
L’été s’achève, vive l’automne, il n’y a pas de raison de crier, penser ou dire « Vive l’été » et pas seulement parce que nous sommes en République mais parce que nous tous ici bas – du moins pour ceux d’entre nous qui avons franchi le cap de dix années consécutives – savons parfaitement que son tour, à l’été, reviendra : la saisonnalité, ça s’appelle. Alors, fêtons d’autres Saints qui viennent, arrivent, se font sentir ou entendre. Oublions vite ce Saint-ci.
Mais, dans ce calendrier aux saisons changeantes et variantes, il y a des Saints et des Saintes qu’on n’avait pas fêté depuis des lustres : je pense aujourd’hui à Madame Kate Millett « la grande dame du féminisme » comme il semble d’usage de dire depuis qu’elle n’est plus. Elle meurt à Paris le 6 septembre dernier et depuis c’est la fête à Kate et aussi, pas si bizarrement que cela, à Freud (pour lui, c’est toujours « sa » fête). Elle aurait été – selon Amandine Schmitt, journaliste à Bibliobs – celle « qui remettait Freud à sa place ». J’ai envie de demander à Amandine Schmitt : « laquelle ? ». Ce n’est pas la lecture de son article qui nous renseignera sur ladite place où Freud aurait été remis par Kate Millett ; tout au plus pourrons-nous supposer qu’il devait s’agir d’une place de mâle dominant et condescendant à l’égard des femmes qu’il a affublé du Penisneid.
Mais puisque Freud n’est pas cet homme ignorant le poids de la culture pesant sur les femmes… comme sur les hommes (Penisneid vs castration), revenons à Kate et à cette Sainte qu’elle fut, en tout cas, pour moi-même lorsque jeune fille je découvrais son existence par l’entremise d’une Sainte personnelle, une sœur cadette : elle a représenté, Kate, une lumière constituée plus de réjouissance que d’espoir tant à cette époque je ne m’étais jamais ressentie malheureuse et assignée à résidence par ma condition d’être femme : j’étais jeune encore et je me suis réjouis de la découverte d’être d’un statut qui me valait d’emblée l’amour et la bénédiction de cette forte femme.
J’entrai, sans le savoir, dans l’orbe féminin où règne en maître absolu la syllepse du genre. J’en sortirais des années plus tard un peu par hasard, un peu par angoisse, un peu par choix et beaucoup par ignorance puisque j’ignorais que j’y étais entrée.
Aujourd’hui c’est la fête à Kate et je ne peux m’empêcher de me demander à quelle place Madame Millett aurait remis le RPH et son colloque du 18 novembre prochain sur le thème : Les trois temps de l’Œdipe – Acte I : mère, enfant, phallus – l’étoffe d’un désir ? Kate Millet n’est plus, mais ses idées sont bien là et ce sera toujours intéressant de pouvoir défendre Freud et la psychanalyse de ces contresens. Et puis d’ici le 18 novembre peut-être sera-ce déjà Adieu la Sainte ?
À ce propos d’adieu, d’oubli, la question se forme presque d’elle-même : pourquoi Freud n’est-il, lui, jamais tombé dans l’adieu ? Je pense que la haine qu’il fédère encore sur son nom du fait de ses découvertes sur la Chose, ce présent gnomique de l’humaine condition qui nimbe et oint l’être parlant, y est pour beaucoup dans cet indéfectible sentiment. Et certainement aussi le fait que la psychanalyse est présente dans nos sociétés croisant le fer avec les ordalies de tout bord et les robins de tout poil, ne cédant rien aux palinodies, rien aux autolâtries, ne reculant devant aucun tohu-bohu du moi hérissé d’arêtes vénéneuses, d’angles affûtés, d’épines venimeuses, d’éruptions de dénis et de chancres. Dire ne sera jamais une fête et la parole jamais une sainte car, même pleine et vraie elle relayera et s’effacera.
En psychanalyse il n’y a pas de place pour le locus amoenus à l’année ; celui-là, ce paysage de l’esprit, l’être se le crée de toute pièce et le nomme, entre autre, « vacances ». Comme c’est la rentrée qui, donc, sonne le glas pour l’estival intervalle, je vous propose, bonne fille, un quiz qui vous servira lors de vos prochaines rédactions de cartes postales à vos amis et amies laissés en plan : n’écrivez plus que la montagne est belle ou que l’océan est majestueux ou que la forêt est profonde ou que la rivière chante ou encore que l’arbre est en fleurs, non. Parlez plutôt des Dryades qui s’enfuient à chacune de vos promenades ; ou des Hamadryades si fières de sa ramure ; ou des Oréades entrevues au détour d’un sentier de randonnée ; ou des Néréides qui vous éclaboussent sèchement, je veux dire vertement ; ou des Naïades qui égrisent les rochers juste pour vous ! Le locus amoenus ça se mérite.
Bonne rentrée de septembre.