Lettre du RPH
Édith de Amorim
Juillet 2018
Comme un bain de (plein) midi même à minuit
C’est ma définition de la canicule qui sévit depuis quelques jours – mais ne dirait-on pas que le froid n’est déjà plus qu’un lointain souvenir d’un jadis à jamais disparu ? – dans la capitale et ailleurs. Et dans l’air chaud et bien enveloppant qui m’enserre dès les premiers pas dans la rue, j’ai une pensée un peu émue, un peu admirative pour tous ceux qui vivent en permanence sous de tels climats. J’en viendrai presque à jalouser les techniciennes de surface qui travaillent si tôt, ou les mineurs qui travaillent si profond, ou les livreurs de glaçons qui serrent contre eux les précieux sacs, ou… c’est tout, j’ai fait le tour des enviables qui travaillent en grande agglomération par plus de 30°.
Ça c’est pour les rues des villes ; mais le mercure haut perché nous poursuit jusque dans le moindre recoin de notre âme ramollie : c’est ce feu qu’alimentent media et opposants de tout bord dès le surlendemain de la victoire des bleus en Russie – moment extrêmement bouillant et échauffant lui aussi – à propos d’un « collaborateur » qui finit même par se voir offrir la une du grand périodique vespéral qui lançait l’affaire et un 20 heures sur une grande chaîne. À y regarder de plus près, qu’observe-t-on ? Une brute épaisse et deux adultes attardés dans les eaux adolescentes d’une croyance entre le bien blanc et le mal en bleu marine. Au secours !
Dans ma quête d’une eau un peu plus propre à me désaltérer en ces temps d’inondations saumâtres, je tombai sur un document de LCP sur cette autre affaire, ancienne au regard de la temporalité de l’information : la vente d’Alstom aux américains entre 2013 et 2014. Je n’ai plus soif après ça ! Mais une question me taraude – comme si je n’avais pas assez chaud comme ça – alors que j’ai bien quelques souvenirs de cette affaire qui prive la France de son autonomie nucléaire en cédant la turbine : pourquoi alors les boucles de l’information n’ont-elles pas été les mêmes qu’aujourd’hui ? Je veux dire : insistantes, en boucles courtes et serrées, redondantes à l’extrême, ad nauseam devrais-je dire. Allez comprendre…
Résignée, après la rue, je lâchai le petit écran pour me réfugier dans la lecture de magazines et de livres… Mauvaise idée ! Ça n’était plus un coup de chaud, mais de grisou. Petit spicilège :
Ainsi la Une de M Le magazine du Monde du 28 juillet 2018 présentait le visage de Madame Chimamanda Ngozi Adichie avec ce sous-titre : Une femme puissante, tout un programme. Elle une femme nigériane qui vit en Amérique du Nord, devenue célèbre notamment depuis la publication de son roman Americanah. Une féministe africaine dont le magazine rapporte – en page 32 – les propos suivants : « Vous avez un problème en France, votre culture de la galanterie est une infantilisation de la femme » énoncés à l’encontre de Catherine Millet et Catherine Deneuve qui, avec d’autres, dénonçaient les mots-dièses sans bémol des balancetonporc et autres metoo. Cela dit, cette jeune femme n’invente rien, ça fait longtemps que la galanterie en France et ailleurs prête le flanc à de tels assauts fleurant l’égalitarisme à tout crin et qui pourraient se résumer par cette formule : « je peux le faire toute seule ».
Mais puisque ça revient, je m’interroge : en quoi parce qu’un homme galant cède sa place assise ou le passage à une femme, lui tient la porte, porte sa valise ou ses paquets, prend sa défense contre un rustre… en quoi ces actes infantiliseraient une femme ? Il va de soi qu’une femme peut tout à fait rester debout, laisser passer les hommes pressés, porter ses valises et se défendre – quitte à prendre ses jambes à son cou – face à un butor, mais en quoi tout cela attesterait de sa maturité ? A l’inverse, la femme qui accepte qu’un homme s’efface pour la laisser passer en quoi se montre-t-elle plus infantile ? Ne peut-on pas y déceler la preuve inverse tant cette attitude à tenir mordicus à prouver qu’on peut y arriver seule tient nettement plus de l’enfantillage ? Car pour une femme la preuve n’est plus à faire de sa capacité et l’aide rencontrée – de plus en plus rarement – n’est plus synonyme d’un affront, d’un camouflet, voire d’une mortification mais bien plutôt d’une aubaine ou, mieux encore, d’un plaisir.
Quelques lignes plus bas, Madame l’écrivaine enfonce un clou : « je connais tant de femmes américaines en situation de pouvoir qui pleurent dans les toilettes. Vous ne verrez jamais ça chez une femme nigériane qui a du pouvoir. » Nous y voilà : le pouvoir qui, seul, permet le tarissement des flux lacrymaux. J’ai envie de demander à Chimamanda Ngozi Adichie ce qu’elle reproche aux larmes ; peut-être fait-elle partie de ces femmes qui pensent que seules les fillettes pleurent ? A l’en croire, la femme nigériane est la véritable égale de l’homme : a-t-on déjà vu un homme de pouvoir pleurer ? Ben … oui. À quinze ans, un dimanche, j’ai vu mon père essuyer quelques larmes après avoir été contraint d’abréger les souffrances de Maturine, la vieille chatte qui souffrait des affres d’un empoisonnement. Les seules que je le vis, moi, verser. Ce fut furtif, mais il n’alla pas se cacher dans les toilettes pour autant ; sans doute, parce qu’il ne s’est pas senti pour autant menacé dans l’exercice de son pouvoir de pater familias. De quel pouvoir se coiffe donc Chimamanda Ngozi Adachie qui lui interdise la moindre manifestation d’une humanité imparfaite, défaillante, en peine ? A y regarder, là aussi, d’un peu plus près, ce pouvoir semble tout droit sorti de la cuisse de cet autre Jupiter mythique, mythologique, fantasmagorique : le fameux et redoutable phallus imaginaire. Celui-là qui nous abreuve, nous aveugle, d’un « pouvoir » légendaire et légendé comme suit : « Il Duce ha sempre ragione » (le Duce a toujours raison, le dernier Duce en exercice fut Benito Mussolini) avec les conséquences qu’on sait, en général bêtes à pleurer.
Je refermai le magazine et revenait à mes livres où je piochais ceci qui me fit chaud, encore, au cœur : car ça parle d’émancipation auu sens, « … de revanche éclatante de l’intelligence sur la simple donnée du fait… ».
Mais de tout cela j’en fais un fagot pour août.
Salles obscures : ça brille de mille traits
Dogman, 2018, film policier italien de Matteo Garrone avec Marcello Fonte et Edoardo Pesce et d’autres bien sûr. Une banlieue pas riche du tout où circulent drogue et chiens en tout genre : du plus petit au plus méchant et ainsi des hommes qui habitent le quartier. Ça n’est pas sans rappeler Des souris et des hommes ou bien encore Laurel et Hardy mais en beaucoup moins tendre et drôle. Et pourtant entre deux coups glaçants, de la tendresse il y en a mais elle ne réussit à rien rattraper, rien apaiser à part pour la petite fille, mais nous n’en sommes plus ou pas. C’est le réalisme italien. Les deux comédiens qui incarnent Marcè et Simo’ sont saisissants…
Des paroles qui peignent des tableaux
Puisque le plus gros de cette lettre concerne la défense de la galanterie, voici quelques extraits de poèmes du XVIe siècle, des blasons du corps féminin qui disent combien la galanterie s’adresse bien à des femmes et non à des enfants. Tous ces morceaux choisis sont pris dans Poètes du XVIe siècle, Bibliothèque de La Pléiade, Édition établie et annotée par Albert-Marie Schmidt, Gallimard, 1953
Le Bracelet de cheveux
Mellin de Saint-Gelais
(pp. 305-06)
(…)
Ha cheveux, n’ayez nul regret
De vous voir en lieu si secret,
Loing de vos compaignons dorés
Qui du monde sont adorés.
Celle qui en peut ordonner
A moy vous a voulu donner
Pour appuy de ma foible vie,
Dont vous n’auriez deuil ny envie,
Si vous saviez, ô blonds cheveux,
Quel est le bien que je vous veux.
(…)
Le Front
Maurice Scève
(p. 307)
(…)
Front reveré, Front qui le corps surmonte
Comme celuy qui ne craint rien, fors honte.
Front apparent, affin qu’on peust mieulx lire
Les loix qu’amour voulut en luy écrire,
O front, tu es une table d’attente
Où ma vie est, et ma mort trespatente !
Le regard
Maclou de la Haye
(pp. 313-14)
Regard ardant, cruel meurtrier de l’ame,
Et qui le corps retire de la lame,
Portant l’enfer en son superbe trait,
Et Paradis en son plus doux attrait.
(…)
La langue
Eustorg de Beaulieu
(pp. 219-21)
O doulce langue, ô langue incoative
Du vray salut de lame estant captive,
Ains que la vierge yssue de Jessé
Eust proferé ce tant beau mot : Eccé.
(…)
Langue par qui les maulx sont corrigez
Et consolez les paovres affligez.
(…)
Langue eloquente et qui faict la femelle
– Tant layde soit – estre estimée belle,
Belle vous dys je en graces et vertus
Dont toutes gens belles ne sont vestus.
(…)
Le beau Tétin
Clément Marot
(pp. 331-32)
(…)
Quand on te voit, il vient à maintz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir :
Mais il se fault bien contenir
D’en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une autre envie.
(…)
Le…
Anonyme
(pp. 337-38)
Petit mouflard, petit… rebondy,
Petit connin plus que levrier hardy
Plus que Lyon au combat courageux,
Agille et prompt en tes follastres jeux
(…)
Source d’amour, fonteine de douceur,
Petit ruisseau appaisant toute ardeur,
Mal et langueur : ô lieu solacieulx,
(…)
Le cul
Eustorg de Beaulieu
(pp. 338-41)
Sans desroger aux premiers Blasonneurs
Du trou du Cul, et sauves leurs honneurs
Et de tous ceulx qui ont sçavoir condigne
Pour blasonner une chose tant digne,
Je de rechef luy donray ung Blason
Car sa louenge est tout jour de saison.
Et tout premier dys que, sans menterie,
Le cul au corps a haulte seigneurie
(…)
La galanterie une culture ? Mais aussi une longue histoire.